lundi, janvier 11, 2021

L'OPPOSANTE DE LA PRESQU'ILE ( Lydie Parisse) 2019

 "Une bouleversante adresse aux vivants et un témoignage sidérant sur le 4è âge" Valérie Hernandez ( La Gazette de Montpellier. )

Presqu'île de Crozon. dans un émouvant compte à rebours, cette Bretonne de 97 ans,  prend enfin la parole. Avec lyrisme et poésie, elle évoque, au moment de sa mort, le temps de sa jeunesse, au temps de l'Occupation allemande, celui des derniers jours de sa vie.

Lydie  Parisse est écrivaine, metteuse en scène et maître de conférences  à l'université de Toulouse2, où elle enseigne les ateliers d'écriture dans le master de la création littéraire. Elle publie des fictions dramatiques et des essais  sur la littérature, l'art et le théâtre d'aujourd'hui. Son activité artistique et son activité de chercheuse sont étroitement liées. Née en Lorraine, elle est liée à la Bretagne par sa belle-famille. 

100 pages

En votre absence, c'est pour les fleurs que je vivais, je me baisse, je tire sur la tige, elle vient toute seule, je la mets dans la paume de ma main, j'en arrache d'autres....page 20

Il n'y a pas assez de fleurs dans le jardin, les hortensias , les marguerites, toutes sortes de marguerites, en Bretagne, la vie est plus éphémère qu'ailleurs, surtout en bordures. page 21

Je suis morte ce dimanche et je vous vois dans ma maison Phoenix. Vous avez parlé de ma vie, du passé. Mon fils aîné a lu des pages de son livre sur ma vie. Le mari de ma fille qui est morte a beaucoup parlé, il a dit que j'étais allée à Cologne, que je parlais souvent de Cologne, que ma fille cadette, celle qui est morte, répétait souvent que son père n'était pas son vrai père, que son vrai père était un Allemand. Mon plus jeune fils a dit que j'avais voulu lui  apprendre l'allemand quand il était petit.  Ma belle-fille a dit que quand je faisais la cuisine,  je prononçais des mots d'allemand, je disais  kleine Loffel au lieu de petite cuillère. Ma plus jeune fille a dit qu'elle avait trouvé bizarre que j'accouche en ville de mon fils aîné, on n'accouchait pas en ville  à cette époque, on accouchait chez soi, avec une sage-femme, ma plus jeune fille  a dit qu'elle avait pensé que  j'avais eu un autre bébé avant mon fils aîné, elle a même dit qu'elle avait retrouvé l'acte de naissance de votre demi-soeur, une soeur dont vous n'aviez jamais rien su, l'enfant de votre mère et de son premier amour, pas votre père en tous cas. La partie visible de l'iceberg, vous avez commencé à en faire le tour, mais pas ce qui est sous l'eau! Vous avez parlé de ma vie, vous avez cherché à disséquer mon cadavre, mais , moi, j'ai tenu bon, faut bien, je n'ai rien dit jusqu'à mon dernier souffle, vous cherchez à reconstituer le puzzle mais tout est  au fond de l'eau. Ce que j'ai vécu, je suis seule à l'avoir vécu, je suis seule à l'avoir vécu, et voilà le pire , j'ai tout oublié.  page 28

Je ne suis plus là mais la vie continue. Page 33

Vous allez devoir vivre sans moi maintenant, devenir des adultes. page38

Oui Hans , il est venu me chercher quand il a perdu sa seconde femme, on avait plus de soixante-dix ans. Oui, il est venu  en secret me voir au port, il a voulu me ramener en Allemagne, oui, on s'est vus chez Paulette, la fille de Paulette vous explique tout. ....oui, j'ai décidé de ne pas le suivre. Hans, j'avais encore mon vieux mari à soigner, je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai manqué de courage pour nous deux. page 47

Je regretterai la lumière qui caresse toute forme au lever du jour, ses reflets changeants sur n'importe quelle façade ordinaire, je regretterai  les mouettes qui traversent en diagonale la fenêtre du toit et crient la joie de l'azur. Je regretterai la lande et la plage de Pen Hat près du manoir e Saint Pol Roux, le manoir en ruines avec son poulailler, de sa fenêtre, ce poète aimait contempler l'infini, quand j'étais jeune, tous les lundis, avant la guerre, je faisais le ménage chez lui, tous les lundis, je passais le torchon sur les piles de manuscrits pour qu'ils reluisent, fallait bien avant qu'ils soient dispersés aux quatre vents sur la lande, avant qu'il meure d'abandon et de chagrin, ce poète.....Je regretterai la lande haute, avec ses terriers de lapins, ses nuées de corbeaux qui picorent par groupes de quatre sur l'herbe humide. Je regretterai la brume quand elle noie le port. page 50 ...

.........J'ai peur. Le promeneur me fait signe, je l'ai reconnu dans la brume, c'est bien toi, depuis presque soixante ans tu viens tous les étés ici, avec ta fille Andréa, c'est bien toi, j'ai fait tant de photos de toi, de nous, tous les étés, une photo de nous, tu es parti mais je n'ai pas changé, je ne t'ai pas rejoint quand nous étions vieux, je ne suis pas partie avec toi quand tu es venu me chercher pour m'emmener en Allemagne, deux fois tu es venu me chercher pour m'emmener en Allemagne, je ne t'ai pas suivi, aujourd'hui, c'est différent, nous sommes jeunes de nouveau, je te reconnais, toi et ton rire, et  nos pirouettes dans les dunes, quelle complicité entre nous, toi, tunes un soldat allemand, Hans, c''est la guerre, je m'emmitoufle dans ta redingote militaire, les cheveux au vent, et je ris, je ris devant l'incendie de la maison du poète, je ris devant les dunes détruites, c'est la guerre, et après? L'amour n'a pas de frontières, suis-moi, je connais l'océan, les chemins des dunes, place tes pas dans les miens, nos pas s'impriment sur la page vierge du sable...nous sommes hiver-printemps-été, contre vents et marées, notre ailleurs est ici, notre ici ici est ailleurs, , nous, nous, nous, c'est comme ça et pas autrement...Pages 100, 101

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