Retranchées dans des cités qui tirent leur nom de la légende biblique - Puissance Divine, Bethléem - des gangs de bandits pillent, violent et assassinent, en toute impunité. Celia, adolescente, cherche à survivre, tantôt en se prostituant, tantôt en faisant la chronique des femmes de la cité sur les réseaux sociaux, où elle devient influenceuse. Les Villages de Dieu dit l'effondrement et la banalité du mal, dans cette ville de Port-Au -Prince livrée à ses démons.
Les jours s'étaient écoulés lentement, lourdement. Neuf mois. C'est long. (La grand'mère est décédée). Je ne pensais pas que tant de silence pouvait entourer la maison. Malgré les tirs qui quelquefois essaient de déchirer la nuit ou de blesser de jour. Malgré les brouhaha quotidien de la Cité, les disputes entre voisins, les séances de prières qui s'y tenaient jour et nuit comme s'il fallait insister jusqu'à ce que Dieu finisse par rétablir un quelconque ordre, dire le mot de la justice, du silence, réponde à ces prières, si dérisoire pourtant. page 25
Ma n'avait jamais parlé à ses enfants. Elle n'avait que des devoirs que ses maigres revenus lui permettaient d'accomplir. C'est vrai qu'elle avait rêvé pour eux d'un avenir meilleur quartier, à défaut d'une meilleure maison, qu'ils fassent des études, mais elle avait té toujours une femme seule. ..Ma en était certaine. Partir en était certaine. Partir voulait dire améliorer sa vie, celle des amère et de sa soeur. ( Frédo veut aller en Amérique). ..à tout moment de changer de vie, que son frère serait bientôt en mesure d'envoyer de l'argent à sa famille. page 28 ( Fredo a été choisi pour participer aux Jeux Olympiques 'Atlanta;...Haïti n'avait obtenu aucune médaille) La plupart des athlètes avaient choisi de ne pas revenir. page 30
Le lundi matin, alors qu'on était à la fin du mois de novembre, elle m'a emmenée à l'école " Les Anges de la Cité" dirigée par le professeur Jean-Claude , un homme affable, mercantile. " "Comment t'appelles-tu? "..Je balbutiai "Cécé, Célia Jérôme". Il ajouta qu'il était temps d'apprendre à lire, à écrire, et à parler français...Moi, Cécé, j'avais pour la première fois un livre et un cahier... ...Page 37 " Cécé sait lire" Grand Ma le disait les larmes aux yeux à ses clients. page 40 Je n'aimais pas étudier. page 41
La Cité de la Puissance Divine était d'abord du bruit. Des bruits qui couvraient d'autres bruits...Il y avait toujours un mort à pleurer dans la Cité. Les membres des gangs s'entretuaient ou l'un d'eux tuait le chef pour prendre sa place. page 44 Pour vivre dans la Cité, il fallait croire très fort au présent et l'inventer à chaque seconde. page 45 La Cité de la Puissance Divine sentait mauvais. Ce devait être toutes ces rigoles, ces eaux qui stagnaient et autre chose. Beaucoup d'autres choses... page 46
(Fred est revenu des USA) Tonton n'était pas un criminel, ni même un voyou, c'était un coureur raté qui n'avait pas franchi les obstacles qui avaient été érigés devant lui dans un pays où il n'avait pas pu prendre pied. Il avait raté son entrée. page 52...ça tirait de partout. . Joël avait tué Fred. Il avait déchargé sur lui son AR15. Freddy était mort et les autres continuaient à lui tirer dessus, expiant leur rage, leur jalousie au cours de ces longs mois pendant lesquels ils avaient subi ses caprices de sociopathe. page 53
Il s'appelait Carlos..;Il n'était qu'un client. Je souhaitais en avoir beaucoup comme lui. Des qui ne parlaient pas, se contentaient de payer, ne demandaient même pas un verre d'eau, ne racontaient pas leur vie. page 57...La première fois, ce fut avec lui, Fénelon. ..J'avais moi aussi besoin d'argent. Comme Mimose avait dû en avoir besoin. Je ne l'avais pas compris. J'étais trop jeune. page 58 J'avais pris tout ce qu'il avait comme argent....Je m'étais acheté un téléphone et un forfait Internet. page 61
L'eau, il fallait aller la chercher. Loin parfois. ...C'était tout un périple pour en trouver certains jours. Je le souviens de longues marches et exténuantes sous le soleil, d'infinies palabres de gens qui finissaient par constituer un groupe pour partager un renseignement, une adresse où l'achat d'un seau donnait droit à un gallon. ..La vente de l'eau était un commerce important dans la Cité, où il fallait se débrouiller, inventer quelque chose à faire, quitte à casser des pierres pour en vendre les morceaux à ceux qui avaient les moyens de construire des maisons en dur.. page 89
C'était mon anniversaire. Je n'avais pas de rapport avec le temps de toute façon. Il ne passait pas vraiment le temps à Bethléem et à la Cité de la Puissance Divine. Probablement partout où les gens n'attendaient rien. On oubliait d'être, on n'essayait pas de comprendre. page 111
La première fois que j'ai vu des Blancs de ma vie, c'était à l'église. Il en venait plein avec des maillots sur lesquels il y avait des inscriptions comme " Coeurs pour Haïti", " Ohio aime Haïti". Ils paraissaient toujours heureux dans notre paysage désolé, nous leur donnions à donner un sens à leur vie, ils nous apportaient la charité qu'ils avaient recueilli en notre nom auprès de leurs compatriotes et nous offraient beaucoup de prières, tout en souhaitant que rien ne change pour nous afin qu'ils ne manquent pas de bonnes missions dans les années à venir et ne perdent pas l'occasion de sauver leurs âmes à eux. page 123
Pierrot n'avait pas d'ami. Il était au service de sa propre cause, comme tous ces hommes qui se promenaient avec une arme et qui n'avaient pour acquis que le moment qu'ils vivaient. page 134
Elle marchait vite pour laisser derrière son passé. page 141
Le traducteur était aussi le chauffeur. J'étais assise derrière, au milieu de deux hommes. Mimose m'avait raconté quand j'étais petite que les Blancs étaient des loups-garous qui mangeaient les enfants, qu'ils les mettaient sur leur dos, s'envolaient avec eux jusqu'à des pays froids et lointains, qu'ils étaient à jamais séparés de leurs familles. J'avais regardé l'homme à ma droite et il avait souri. Ils n'avaient pas l'air de vouloir me manger, ils bavardaient joyeusement en anglais, je ne comprenais rien. page 145
J'étais couchée. J'avais des milliers "d'amis ", "enfermés dans mon téléphone, que je ne connaissais pas, qui m'insultaient, ou me louaient selon le jour. Leur existence réelle tenait au fait que la batterie de mon téléphone était chargée ou pas, à ce que je postais. page 184
Le privilège d'avoir de l'argent. Celui qui soutire aux autres à titre d 'impôt. Celui dont on déleste ceux qui empruntent la voie publique aux marchandises. Celui provenant de chantages aux autorités d'un Etat faible jusqu'à la caricature. Celui que l'on exige des commerçants, des entrepreneurs pour avoir le droit de travailler, de circuler. Le privilège de profiter d'abuser, d'humilier.. ;Page 197
Victor désespérait de me persuader de fréquenter l'église. Il avait frappé à ma porte un vendredi matin, sa Bible, sous le bras....Victor était un concentré de ces vies, ces corps, ces âmes nées dans la défaite, qui se laissaient prendre sans rien dire. IL avait l'air épuisé. Il réussissait sa mission...Il faisait venir des divers coins es Etats-Unis des missionnaires blancs, compatissants...qui pleuraient devant le dénuement des gens, mais comprenaient l'utilité de cette misère pour écouler les promesses de vie éternelle et meilleure dans le Royaume du Christ. Il était né ici, lui aussi mais il avait compris que la religion est un bon tremplin pour s'en sortir. Victor était assailli par le doute....page 199
Personne ne pouvait marcher plus vite que ses regrets. page 202
J'avais un pincement, mais la vie c'était u sable mouvant par ici, il fallait saisir la brièveté es choses et s'en accommoder. page 210
La voix de Jules faisait partie du bruit. Celui qui n'a même p d'écho. ...Il portait cette nostalgie qui habite les désespérés, c'était même à cela qu'on les reconnaissait, ceux qui cassent, tuent et brûlent parce que leur avenir est flou....Tonton était revenu de sa course d'obstacles...Les cartes étaient dessinées pour que certains ne retrouvent jamais leur chemin dans ce vaste monde. page 213