Mâche ton propre sort, même si c'est une pierre. Ne digère aps celui d'autrui , même si c'est du beurre. Proverbe tibétain;
Cendrillon est l'une de ces cassettes merveilleuse de la littérature orale, intemporelle, et présente dans toutes les civilisations. L'une des versions (qui ) semble être la plus ancienne, approximativement datée du IXè siècle. page 7 ....Le parcours d'une jeune fille qui perd sa position favorable au sein de la famille. Elle est jalousée et maltraitée par sa belle-mère et sa demi-soeur, avilie, dépersonnalisée. Soumise à une série d'épreuves, aidée par des personnages surnaturels, , elle passe de l'enfance à l'âge adulte et trouve enfin sa place en tant que femme respectée au sein de sa communauté....le monde est accepté comme imparfait, voué à l'impermanence, tout est passage, et transformations continuelles. ...Leur enchainement débouche sur la libération et l'épanouissement par le mariage avec un homme puissant, qui n'est autre que la force retrouvée de la jeune femme. Si les Cendrillons occidentales s' arrêtent à cet épisode, l'intérêt des versions d'Asie se situe dans la poursuite du chemin...Si elles veulent vivre, il faut en finir avec ce qui les a menacées et qui risque encore de les atteindre. Il ne suffisait pas de l'image du mariage pour faire de l'héroïne une femme en pleine possession d'elle-même. Il s'agit aussi de savoir distinguer le bon grain de l'ivraie et se situer au sein de ce vaste monde. page 10
La vraie vie des Cendrillons n'est pas un conte de fées. On dénombre 500 versions de l'histoire de Cendrillon dans le monde; en voici une douzaine venues de Chine, Birmanie, Thaïlande, Indonésie, Corée, Vietnam, Cambodge, Japon, Tibet. Le parcours de ces Cendrillons d'Asie ont l'odeur du sang, du mensonge, la convoitise, mais aussi un parfum céleste. Elles ont perdu leur mère dont elles sont les seules à conserver le souvenir vivant. dans le foyer paternel, où le père est absent - mort ou remarié - elles sont maltraitées, affamées, humiliées. Les épreuves s'enchaînent comme autant de métamorphoses pour accéder à la pleine conscience de leurs forces et de leur liberté, dans un désir fragile mais vibrant de devenir femme. Les cendrillons sont les harmoniques d'un récit universel et de fascinants emblèmes de la condition féminine. Chacun d'elles nous ouvre les portes sur une part secrète de nous-mêmes.
Ces cendrillons d'Asie nous font voyager dans des milieux d'agriculteurs ou de pêcheurs, où la croyance animiste règne. La nature y est enchantée, active, messagère. Elle est le substitut maternel, la mère Nature. Sous la forme de poisson, tortue, corbeau, arbre, elle est l'initiatrice des héroïnes qui ont perdu leurs propres mères dont elles sont les seules à conserver le souvenir vivant, tandis que le père est absent - mort ou remarié. Ces orphelines oscillent entre deux mondes, celui des vivants et des morts, entre un passé brisé et un présent chaotique. Cependant, guidées par cette bienveillance nature, elles s'ouvrent à une autre forme de perception de la réalité ordinaire. page 9
Les récits que nous allons partager abritent un panthéon de figures et de motifs inattendus. Etres surnaturels, objets, animaux et humains se côtoient, interfèrent les uns avec les autres, guident et éprouvent nos héroïnes. Leurs apparitions et leurs actions échappent à notre logique, participent non seulement à l'onirisme, à l'humour, de ces contes de fée, mais surtout dotées de sens...page 13
Du premier pot sortit un pantalon de soie, du deuxième, une ao dai de brocart bleu, du troisième, une paire de sandales brodées d'ailes de phénix. Tam se vêtit. Tout était parfaitement taillé et ajusté. Elle était de toute beauté, à en faire voler les poissons et trébucher les oies sauvages. Au fond du quatrième, dormait un tout petit cheval. Quand il sortit, il devint fort et vigoureux, une vraie monture royale. Sans attendre, Tam le chevaucha. page 33 (Vietnam)
Les récits de notre héroïne naissent de la mort de sa mère. Nous connaissons très peu de choses de ce personnage. Elle ne s'esquisse que sous les traits de sa fille, héritière de ses grâces et vertus, et par la douleur de son orpheline , pleurant une mère idéale: aimante, attentive, protectrice, dévouée. Elle a sacrifié sa vie pour son enfant. page 45....Tout se passe comme si la fonction de la mère était dédouanée entre la mère protectrice et la cruelle marâtre, pointant ainsi l'ambiguïté de la relation entre mère et fille. page 46
Les pères sont à nos histoires ce que les nuages sont à la terre. Ils la survolent et s'évanouissent en pluie, laissant sol et averse s'ajuster l'un à l'autre. Leurs actions, rapides mais décisives provoquent des déluges qui s'abattent sur leurs filles et dont ils ne les protégeraient pas: ils contractent un deuxième mariage, mettent en présence fille et belle-mère, puis disparaissent dans le silence ou la mort. Aucune des pères défunts ne franchit les mondes pour interférer dans celui des vivants, à l'image de la mère. les hommes maris rivalisent d'indifférence ou, charriés par les vents contraires soufflés par leur seconde épouse, prennent part aux maltraitances. Tous laissent l'enfant du premier lit à la charge de l'épouse qu'ils imposent, selon une structure familiale répondant aux codes sociaux de leur communauté: dans les cultures sinisées, l'alliance familiale est primordiale. Elle participe à la reconnaissance du chef de famille par ses semblables et engage l'honneur de siens. Cette implication sociale est l'apanage des hommes tandis que les femmes régentent le cercle domestique. Happés par le tourbillon de leur vie, les pères s'évanouissent. Ils laissent en écho le gémissement d'un passé dont leurs filles sont sur une mémoire embarrassante, mais rien n'est plus terriblement vivant qu'un souvenir que l'on voudrait effacer.. page 53
Une demi-soeur ou une soeur adoptive suffit à notre héroïne. A l'image de leurs mères respectives, l'une rassemble autant de qualités que l'autre compte de défauts. L'imperfection de l'une illumine la perfection de l'autre. Miroirs inversés, on peut envisager dès le début de l'histoire qu'elles obtiendront le juste retour de leur comportement. Observons au fil de leur parcours, que ces deux figures contraires ne restent étriquées dans leur place qui leur est attribuée. Si notre héroïne est présentée comme une victime et sa soeur comme un bourreau, la victime est active et le bourreau subit. L'orpheline est isolée mais elle bénéficie d'aides et de conseils- surnaturels, à la hauteur de ses qualités. Elle est encouragée, conseillée et portée vers ce qui lui permettra d'agir et de se réaliser. Dans un mouvement contraire, sa soeur est entourée mais les conseils et la transmission qu'elle reçoit font d'elle le bras armé de sa mère. Elle est privée d'espoirs, de rêves, de réalisation, épouse la volonté maternelle et finalement, subit ce qu'elle inflige à sa soeur, en miroir inversé. page 81
Les comptines. Ces petits chants de l'enfance qui a accompagnent généreusement les soins maternels scandent les récits. ..L'être qui porte l'âme incarnée de la mère chante une comptine à sa fille , lui apprend comment lui signaler sa présence. C'est par la voix que le lien avec la mère peut se renouer. Ces chansons d'enfance sont ludiques, jouent sur les sons, la répétition, comptent peu de mots mais ceux qui sont employés décrivent avec simplicité la situation de l'héroïne et formulent ce dont elle a besoin. Elles rappellent l'intimité chaleureuse du lien maternel. page 141
Dans ce voyage au gré des variantes du conte de Cendrillon, se dessine le difficile apprentissage de la féminité. Nous suivons la traversée de l'héroïne depuis l'état d'enfant à celui de femme accomplie. Deuils, privations, morts et renaissances ponctuent son parcours, comme autant de rites de passage , une initiation sévère qui lui permettra d'accéder au statut de femme en capacité d'être admise et respectée dans sa communauté. ...Dans cette junte obscure, elle découvrira ses capacités et peu à peu construira son identité. page 169
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