samedi, octobre 23, 2021

UN ALLER SIMPLE (Didier van Cauwelaert) 1994

 Ni beur malgré son nom, ni gitan malgré son adoption par des tsiganes, marocain d'après ses faux papiers, Aziz est un jeune marseillais qui se retrouve expulsé de France pour rejoindre son pays d'origine. Dans l'avion qui l'emporte vers le Maroc où il n'a jamais mis les pieds, Aziz devient le confident et ami de son chaperon ministériel, un jeune "attaché humanitaire" , rigide et idéaliste, tout aussi paumé et floué dans la vie que lui-même. Pour ne pas le décevoir, ni faire échouer sa mission, Aziz s'invente un pays natal de légende, une vallée imaginaire où vivent en paix des "hommes gris". A la recherche du pays qui n'existe pas, les hasards du voyage seront nombreux, le suspense permanent et  le dénouement des plus inattendus. 

Le soir, à la veillée, chacun se rappelle ses origines, ses traditions, les pays où il a roulé ses racines,...Moi, je suis là et je me tais. je hoche la tête, et j'ai l'esprit ailleurs. Je n'aime pas d'où viennent les autres. je veux bien être sans histoire, à part l'Ami 6, mais ça me fait mal d'être le seul. Alors, le bonheur , c'est quand je suis allé à l'école. Le bonheur , c'était d'apprendre. Je m'inventais une autre famille , rien qu'à moi, avec les mots et les chiffres que je pouvais changer d'ordre comme je voulais, additionner, conjuguer, soustraire, et tout le monde me comprenait.  Au tableau, je récitais les batailles et les fleuves, on m'écoutait comme si c'était mon histoire à moi. Les millions de morts, les inondations   et la haine des hommes se transformaient en bons points. ..Et ce n'était qu'un début: il restait tant de choses à connaître, j'en aurais pour la vie. Mais j'ai dû arrêter l'école au milieu de la sixième, à cause de Vallon-Fleuri qui n'aime pas les bouches inutiles. ...M. Giraudy, le professeur de géographie, a dit qu'il avait de la peine que je parte...M. Giraudy m'a dit que la vie était mal faite...Il avait l'air si triste...IL m'a souhaité bonne chance, et m'a offert un livre incroyable, un atlas de trois kilos qui s'appelait Légendes du monde". Je n'ai rien dit pour ne pas pleurer. page 14

(Aziz est accusé de vol d'une bague qu'il dit avoir achetée pour son mariage)  - "On va te ramener chez toi, Aziz. J'ai remercié, mais ce n'était pas la peine: je n'avais plus de "chez moi" et j'ai perdu Lila; autant la justice suivre son cours. - Tu n'as pas compris, Aziz. Te ramener chez toi, ça veut dire: dans ton pays.  - Mon pays? - Le Maroc. J'ai mis un temps à comprendre, et puis je me suis souvenu que, sur mes papiers, j'étais marocain....page 41

 (Pignol, un ami, gendarme)  " ça vient de plus haut. , Aziz. Le gouvernement a pris des mesures contre les clandestins, Enfin, ...pour les clandestins. C'est une opération conjointe avec les Droits de l'Homme  et l'OMI, l'office des migrations internationales. " Et il m'a expliqué en gros que pour lutter contre le racisme, en France, il fallait renvoyer les immigrés chez eux.  page 42    A cinq heures moins vingt,  Pignol est revenu. Il évitait mon regard, mais j'avais eu le temps de réfléchir et je m'étais rassuré. Il   a laissé tomber " Ton attaché est arrivé". J'ai demandé , les jambes croises, l'air de rien: " On lui a donné mes papiers? - Oui. - Bon, ben ça v alors: il a vu que c''étaient des faux.  - Non. ..;tout ce qu'il a vu, c'est que ton permis est périmé. " Il s'est assis , près de moi, sur le matelas, les mains entre les genoux, la tête basse. Mon inquiétude est revenue d'un coup. - Mais vous le lui avez dit que c'était un faux?  Il n'a pas répondu tout de suite.  page 43, page 44

Depuis des dizaines d'heures, je ne pensais qu'à mon atlas, aux Légendes du monde, parce que ...mon livre serait vendu vingt francs à un bouquiniste et personne n'aurait jamais les mêmes rapports que j'avais eus avec lui. page 48 (L'attaché veut savoir dans quelle région du Maroc, il est originaire) J'ai sèchement dit qu'on verrait plus tard; j'étais dans mon rêve. page 49

J'ai très peur au décollage, mais je n'ai rien montré.  Je ne savais pas si une nouvelle vie commencerait pour moi, mais la précédente était bien morte;  c'était déjà un espoir. page 69

" Vous êtes d 'où, monsieur l'attaché.? - Tu peux me dire "tu". , comme dans ton pays, ça ne me gêne pas. " Je n'ai pas osé lui répondre que moi, ça me gênait qu'il me tutoie. J'avais un si doux souvenir de mes six mois  de sixième où, pour la première fois, des gens m'avaient dit " vous" - mais il s'est remis à me vouvoyer de lui-même, au bout d'un moment. page  75

C'était vraiment un têtu, ce type. Je lui ai sorti en vrac, pour en finir, que j'étais un enfant marseillais percuté par une Ami6, d'où mon prénom, et que la vallée des hommes gris était une légende de l'atlas que m'avait offert Mr Giraudy, le jour où j'avais quitté l'école pour devenir une alouette. Il souriait avec un air fin...page 88

(A Rabat) Pour la première fois de ma vie, je me sentais un immigré. Et je pensais , pour me tenir compagnie, à la solitude de l'Arabe  qui débarque en France, surtout quand il est clandestin. J'avais drôlement de la chance, moi,  d'avoir un attaché, un garde du corps muni d'un laisser-passer du Roi pour me fiche la paix...Page 105

l'Occidental est coupable, comme toujours, où il passe, il accumule, en créant le besoin. page 136


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