mardi, octobre 19, 2021

NOTES SUR LE CHAGRIN ( Chimamanda Ngozi Adichie) 2021

 Chimamanda Ngozi Adichie a été invitée à La Grande Librairie le 20 octobre 2021

 Comment dire adieu à un être cher alors que le monde entier est frappé par une crise sanitaire, que le défunt repose au Nigeria et que ses enfants sont bloqués en Angleterre et aux Etats-Unis.? Le père de Chimamanda Ngozi Adichie vient de mourir. Séparée de ses proches, cette dernière vit un deuil empêché et solitaire. Elle écrit alors sous la forme de courts chapîtres, composés comme de soubresauts de chagrin et de rage, où l'amour et l'admiration qu'elle portait à son père explosent à chaque page. James Nwoye Adiche a traversé plusieurs époques de l'histoire du Nigeria. S'il a transmis la culture et la langue igbos à ses enfants, essentielles à l'oeuvre de l'autrice, il s'est aussi élevé contre certaines traditions de son pays. En partageant des anecdotes familiales simples et touchantes, Chimamanda Ngora Adiche rend hommage au professeur émérite de l'université du Nigeria mais surtout au père humble et affectueux qu'il était, son " dadounet originel". La perte se voit ainsi transcendée par l'amour et la transmission. 

Tous les dimanches, mon frère organisait  une réunion zoom depuis l'Angleterre, notre turbulent rituel de confinement: deux d'entre nous, les enfants, nous connections depuis Lagos, les trois autres depuis les Etats-Unis, et mes parents;, avec parfois de la friture, depuis Aba, la ville d'origine ancestrale de notre famille dans le sud-est du Nigeria. Le 7 juin, mon père était là, du moins sur front sur l'écran....Le 10 juin, il était parti. Mon frère a appelé pour me prévenir et je me suis effondrée. page 11

Le rire devient larmes, devient tristesse et devient fureur.  Rien ne m'a préparée à ma rage rugissante et malheureuse. Face à cet enfer qu'est le chagrin, je suis dépourvue d'expérience et de formation.  Mais comment est-il possible qu'il parle et plaisante  le matin, et qu'au soir, il soit parti pour toujours?  page 18...Comment le monde peut continuer à tourner, à inspirer et expirer  sans rien de changé, alors que dans mon âme , c'est une déroute  permanente? page 23

Je  regrette, je regrette. La culpabilité me ronge l'âme. Je pense à toutes les choses que auraient pu arriver et à toutes les façons  dont on pourrait remodeler le monde pour  empêcher  ce qui s'est produit le 10 juin, le faire se déproduire.  page 30

Parce que j'aimais mon père, que je l'aimais si  farouchement, si tendrement, j'ai toujours, dans un coin de ma tête, redouté ce jour.  page 33

Je fuis les condoléances. Les gens sont gentils, les gens sont de bonnes intentions, mais  savoir cela ne rend pas leurs paroles moins irritantes.  page 37

Le chagrin n'est pas vaporeux; il a du corps,  il est oppressant,  c'est chose opaque.  Son poids est plus lourd  le matin, après le sommeil...Je ne reverrai jamais mon père. Jamais plus. page 41....Il y a quelques années, quelqu'un est mort et un de ses proches a dit: " L'épouse ne doit rester seule" et je m'étais dit: " Mais si elle veut l'être? " page 41

Nous lui achetions souvent des choses dont il se servait jamais parce que , disait-il, sa chemise  de 1970 ou ses chaussures de 1985 étaient encore en bon état.  page 59

Il n'était pas matérialiste, ce qui ne serait pas aussi remarquable s'il  n'était pas un Nigérien   vivant au Nigeria, pays à l'impitoyable culture de la cupidité, à l'instinct de la possession débridé de bas en haut de l'échelle sociale. Nous sommes tous touchés, à différents degrés, mais lui seul n'était absolument pas contaminé. J'aimais son sens du devoir....Il donnait du sens aux descriptions les plus simples: un homme bon,, un bon père. J'aimais le qualifier de " gentil et gentleman".  page 64

"Jamais" est entré dans ma vie pour y rester. "Jamais " semble si injustement punitif. Pour le restant de mes jours, je vivrai en tendant les mains vers des choses qui ne sont plus là. page 66

(A propos des obsèques de son père) Organiser cela veut dire calmer les ego de l'église et des groupes traditionnels et obtenir leur approbation pour une date d'enterrement....Mais la chose la plus importante , c'est le "règlement"...Il témoigne de ce que la culture igbo  demeure, profondément et fermement, une culture communautaire.  page 75

"Le chagrin était la célébration de l'amour, ceux qui pouvaient ressentir un véritable chagrin avaient la chance  d'avoir aimé". ( Une  phrase d'un des livres de l'auteur).  page 78...;Jusqu'à présent, le chagrin appartenait à d'autres. L'amour apporte-t-il , même inconsciemment, l'arrogance trompeuse de croire qu'on ne sera jamais touché par la douleur de la perte? page 79..;Ma mère m'a dit que des veuves sont venues lui expliquer la coutume. Tout d'abord, la veuve aura la tête rasée - sans la laisser continuer, mes frères s'empressent de dire que c'est ridicule et qu'il n'en est pas question.  Je dis que personne ne rase jamais la tête des hommes  quand leurs épouses meurent, personne n'impose aux hommes de manger frugalement des jours durant, personne ne s'attend à ce que des hommes portent l'empreinte de leur perte.  Mais ma mère dit qu'elle veut tout faire. " Je ferai tout ce qui se fait. Je le ferai pour Daddy." page 80

Les épaisseurs de perte donnent le sentiment que la vie est mince du papier. page 96....Le chagrin vous dit que c'est fini et votre coeur que ça n'est pas: le chagrin essaie de réduire votre amour au passé et votre coeur dit qu'il est présent. page 98

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