En mission à la frontière turque, Bérénice, archéologue française dévoyée en receleuse d' antiquités, se heurte à l'expérience de la guerre. dans la convulsion des événements, elle recueille la fille d'une réfugiée, et fait la rencontre d'Asim, pompier syrien devenu fossoyeur. Poussé par l'avènement de l'Etat islamique, ce dernier s'est exilé en Turquie, où il fabrique de faux passeports. Aux morts enterrés dans son pays, il tente de redonner vie par la résurrection de leurs noms. La grandeur de sa tâche est à la mesure de sa folie. Celle de maintenir une mémoire vive, au moment même de son effondrement. Cette cause, qui perdure au-delà du seul parti individuel, les mènera jusqu'au Rojava, sur les trace des guerrières peshmergas et de leur combat vers la liberté. Entre ce que Bérénice déterre et ce qu'Asim ensevelit, , il y a l'élan d'un peuple qui se lève et qui a cru à sa révolution. Quand les événements s'emballent et qu'ils contractent les existences, seules les coïncidences peuvent retisser ce qui a été défait par la guerre. Sondant notre histoire contemporaine à la recherche des Furies antiques, le roman de Julie Ruocco rend un hommage puissant aux femmes qui ont fait les révolutions arabes, à leur quête de justice.
C'était le jour où elle avait enterré son père. Elle ne savait pas encore qu'elle venait de faire la connaissance de "l'Assyrien." page 11
Des drapeaux noirs flottaient sur Palmyre. Bérénice n'avait suivi que très distraitement la montée de cette marée...Des cohortes fanatiques se dressaient du fond des âges pour en finir avec la civilisation, pour anéantir tout ce en quoi elle et son père croyait. A la télévision, les masses continuaient de s'abattre sur les statues, les pierres étaient défigurées à coups de pic. ...Palmyre était tombée. Elle était seule au monde , prisonnière de ruines qui n'existaient plus. pages 16, 17 Alors, quand l'Assyrien était venu à elle pour lui demander de ramener les débris de Palmyre, de Mossoul, elle avait accepté. page 19
Décidément, elle n'avait jamais été archéologue mais une voleuse. Rien qu'une profanatrice qui déplaçait ls objets d'un monde à l'autre. Ce que la pierre empaquetée de sable du chantier qu'elle représentait, elle avait attendu d'être rentrée chez elle pour le découvrir. ...C'était une effigie de Furie qu'elle tenait entre ses doigts. L'une des fille de Gaia et du sang d'Ouranos mutilé.(Lors d 'une fouille, elle a découvert un bijou ancien mais l'a gardé). page 24
La ville s'était transformée en plaie ouverte sur les enfers. ..L'humanité avait été labourée par la guerre et toutes les chairs mélangées fumaient d'une même vapeur page 36...L'aberration des souvenirs. Les écoles avaient fermé à cause des fanatiques ou des bombes. Le gaz, ça faisait longtemps qu'il n'y en avait plus. Les maisons étaient glacées par le manque de tout. Les jours s'étiraient dans la suie et la faim. page 38
Pour les régimes meurtriers, l'homme qui a goûté à la liberté est plus dangereux que le chien qui a goûté au sang. page 45
En ce temps-là, tout était encore possible. Il y avait cru, il avait dansé, espéré de toutes forces. ...Son peuple s'était levé, mais le monde était resté assis. page 47
Cela faisait des mois que les djihadistes s'étaient installés, des mois qu'il était sans nouvelles de Tayn (sa soeur) Tous les jours, Asin se levait et se couchait avec ce sentiment de vertige, les mêmes questions dont il ne voulait pas imaginer les réponses. ...Dehors, l'abject avait rendu floues les limites entre la prison et l'extérieur. Les barreaux étaient partout dans les esprits, la peur déteignait sur tout. page 63
Le quotidien peut rapidement devenir un tissu de parjures. Oh, rien d'abord, mille petites lâchetés, des mesquineries anodines et sans force qu'on traîne et qui deviennent de plus en plus lourdes au fil des années. Un dégoût de soi que l'on garde comme une gêne obscure , et puis, on se rappelle ce main qu'on a refusé de tendre, la phrase qu'on n'a pas prononcée, l'acte mille fois rejouer qui aurait peut-être fait la différence. page 103
Les jours passaient et le soleil indifférent à tout continuait de se lever. Asin était orphelin de sa soeur. Pas seulement lui, pensait-il, le pays, le monde avait été privé de Tayn. Sa perte était un crime permanent, un scandale renouvelé toutes les heures qui les éloignait toujours un peu plus de la paix. Comment pouvait-il y avoir reconstruction après ça? Comment rassembler au nom de qui? page 112
( Asin a récupéré la clé USB de sa soeur après son assassinat le jour de ses noces) Asin tremblait de fièvre. Dans ce même dossier, à la suite d 'une série d'articles, sa soeur avait dressé une liste de lieux où les exécuteurs d'Assad, puis les milices islamistes avaient pris l'habitude de se débarrasser des corps. page 120
Rien n'est mauvais par essence dans la nature, il n'y a que les hommes qui l'enlaidissent à force de mal voir et mal nommer. page 149
On ne naît jamais seul, il y aura toujours dix personnes derrière nous. page 154
" La peur , avait-elle écrit ( Tayn) est obscurité et solitude. Elle est un manque absolu de repères qui nous isole, nous prive de nos forces. " page 178
Entre deux entretiens, Bérénice comparaît les dates avec sa propre vie. Ces années d'indifférence où la Furie dormait dans sa valise. Elle n'avait pas entendu l'orage, elle n'avait pas entendu le vent se lever lorsque d'autres étaient sortis offrir leu nom à crier dans les nuits de révolte. Longtemps, Bérénice avait cru que l'histoire, c'était un peuple qui se levait, mais elle n'avait jamais pensé à ce qui arriverait après. Après la résurrection des spectres et l'indifférence des nations. Il avait fallu la soeur d'un faussaire pour qu'elle puisse mettre des mots sur cette trahison. page 191
Sans doute, le monde existe parce que les générations se sont succédé pour le raconter. Je crois que des vies peuvent être libérées du néant parce que quelqu'un les aura entendues.je crois à la fraternité des mots et des peuples qui se lèvent et chantent alors que tout se tait autour d'eux. Il y a des hommes et des femmes qui se sont tenus droits dans la tempête avant d'être engloutis. Il faudra bien que quelqu'un les raconte. - Pourquoi toi? - Peut-être parce que pendant longtemps, je n'ai rien écouté, j'ai refusé de les voir, de les entendre. Aujourd'hui, je ne veux pas parler à leur place, je veux seulement parler d'eux. Je veux parler....page 213
" Tu parles de la guerre comme les hommes, avec des noms d'empereurs et de batailles. Tu penses qu'elle transforme et évolue au fil des siècles, que c'est elle qui change le monde et les peuples. Mais regarde autour de toi, le monde n'a pas changé. Les hommes se battent pour les mêmes arpents de terres et ils meurent au pie des mêmes montagnes. Les haines s'allument et s'éteignent, les fleuves, eux, s'écoulent toujours dans le même sens. Ne crois pas que les vainqueurs et les perdants d'aujourd'hui sont différents de ceux qui ont gagné ou perdu avant eux. Cette guerre, c'est la même depuis le début du monde et elle a toujours été totale et permanente. page 248
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire