jeudi, juillet 22, 2021

LA NATURE EXPOSEE. ( Erri De LUCA) 2017

  " Comme tu peux le voir, il s'agit d'une oeuvre digne d'un maître de la Renaissance. aujourd'hui, l'Eglise veut récupérer l'original. Il s'agit de retirer le drapé. " J'examine la couverture en pierre différente, le semble bien ancrée sur les hanches et sur la nudité. Je lui dis qu'en la retirant on abîmera forcément la nature.  " Quelle nature? " La nature, le sexe, c'est ainsi qu'on nomme la nudité des hommes et des femmes chez moi". 

 Dans un petit village au pied de la montagne, un homme, un grand connaisseur des routes qui permettent de franchir la frontière, ajoute une activité de  passeur pour les clandestins à son métier de sculpteur . C'est ainsi qu'il attire l'attention des médias. Il décide alors de quitter le village. Désormais installé en bord de mer, il se voit proposer une tâche bien particulière, restaurer  une croix en marbre, un Christ vêtu d'un pagne. 

Réflexion sur le sacré et le profane, sur la place de la religion dans nos sociétés. La Nature Exposée est un roman dense et puissant , dans lequel Erri De Luca souligne plus que jamais le besoin universel de solidarité et de compassion. 

Depuis quelque temps, des étrangers  désorientés arrivent au village. Ils essaient de passer la frontière, les autorités laissent faire pour ne pas avoir à s'occuper d'eux. Nous vivons sur une terre de passages. Certains d'entre nous pourraient s'arrêter, mais aucun de ceux qui sont arrivés jusqu'ici ne l'a fait. Une adresse de poche leur sert de boussole. Pour nous qui n'avons pas voyagé, ils sont le monde venu nous rendre visite.  Ils parlent des langues qui font le bruit d'un fleuve lointain. On a créé pour eux  un petit service d'accompagnement au-delà de la frontière Nous sommes trois, tous des vieux, parce qu'ici, on est vieux à soixante ans Nous trois seulement  savons par où passer, même la nuit.  page 13

Je fais prendre l'air aussi à mes bouquins, je les offre en lecture, je fais office de bibliothèque municipale qui n'existe pas. Les livres m'ont servi à connaître le monde, la diversité des personnes, qui sont rares dans le coin. Compacts contre la paroi au nord, ils gardent la maison au chaud.  page 17

Ce ne sont pas des mendiants, ils ont assez d'argent pour voyager en première classe. Au lieu de ça, ils doivent nous suivre, en cachette, à  payant chaque mètre parcouru. Ils sont habitués aux bandits, nous sommes les derniers qu'ils rencontrent , et pas les pires. .;Je me fais payer comme les autres et, une fois que je les ai conduits de l'autre côté, je rends l'argent. Il leur est plus utile. je ne leur dit pas avant que j'ai l'argent sur moi, pour qu'ils n'aient pas l'idée de le reprendre de force....Je suis content d'être utile à un âge où, dans cette région, on est voué au pilon, au délire alcoolique, à l'hospice. L'avantage de ne pas être père, c'est de ne pas avoir un fils qui veuille m'enfermer dans le handicap. La montagne est mon hospice. page 18

Quelqu'un me dit à voix basse qu'il a aidé aussi un réfugié. Il prend un air de conspiration, conscient de commettre une transgression. C'est comme ça dans la plaine. Ici, on fait autrement. Ils les appellent  des réfugiés. pour moi,  ce sont  des voyageurs d'infortune qui en  ont eu trop à faire à la fois. Ils tentent de s'en débarrasser avec le voyage. page 24

Je regarde les mains d'un homme pour comprendre qui il est. page 31

(Le narrateur est obligé de quitter son village, Les médias répandent l'info qu'il rend l'argent aux étrangers , une fois qu'il les a conduits à la frontière, ses deux collègues lui en veulent. Un curé et son évêque lui demandent de restaurer une croix en marbre sur laquelle un soldat de la première guerre mondiale a sculpté un Christ auquel des "bonnes âmes" ont demandé de le vêtir d'un pagne. Le narrateur doit le lui enlever, " dévoiler la nudité de ce corps". " Vous êtes croyant? " Pas dans la divinité, je crois à quelques représentants de l'espèce humaine. " Qu'entendez-vous par sacré? " - Ce pourquoi une personne est prête à mourir. "Considérez-vous l'homme de la statue comme sacré?  La raison pour laquelle il accepte le sacrifice sans se dérober est sacrée.  " Alors, continuez" page 52

Nous parlons  de tout le mal que l'espèce humaine a inventé pour elle-même. Aucun animal ne se rapproche de notre pire. page 61

" Tu as vu une bomme partie du monde, lui dis-je - " Vu, oui, mais seulement vu, le moins important des sens. Il faut rester dans le monde  pour y comprendre quelque chose. "page 67

Je dis qu'un livre sert de porte-bonheur, de compagnon de voyage, d'ange gardien. Il sert même de  passeport à ceux pour qui il est sacré.  page 72

A la fin de la journée, je sors pour  me dégourdir les jambes. J'ai besoin de mettre des kilomètres sous mes pieds.  page 76

Un philosophe de l'Antiquité recommandait de vivre caché.  - "Epicure". - oui, c'est lui, vis caché à voix basse, sans te faire remarquer en clamant  ta chance. j'ai plus que le nécessaire et s'il me manque quelque chose, je ne n'en aperçois pas".  - "Donc, c'est de ça qu'est fait un homme? de ce qu'il a en poche? " demande-t-elle irritée. Pas un homme mais sa dignité de se suffire à lui-même, sans peser sur les autres." page 78

Je ne pense pas. Je ne me crois pas capable de suffire à une femme. page 84

La nudité du corps est la chasteté  de la misère.  page 96

Ce tapage lui est nécessaire. le silence le distrait. page 99

La fin de l'hiver étire les minutes de la journée. page 118

Elle (une amie) n'est pas croyante. Moins que ça même: elle est indifférente. Pour elle, Les religions sont la réponse au besoin de se sentir poussé par une cause importante. Pour elle, la seule cause dont nous sommes les effets, c'est la vie, rien d'autre. page 120

(Pour moi) Ce sont des dettes de reconnaissance, insolvables,  qui vont de mes parents au cadeau de l'ouvrier algérien. ( ce dernier lui a offert le marbre dont il se servira ) page 121

(L'Algérien) " J'ai appris chez vous à n'être personne. Je garde les yeux baissés et ainsi je disparais, je les lève et apparais à nouveau. je me tais et je suis accepté, je parle pour demander un renseignement et je suis repoussé. Vous préférez personne. C'est bon, disons que nous n'existons pas les uns pour les autres. Toi, non, tu t'assieds, tu parles, tu poses des questions. Tu es quelqu'un et tu me fais aussi devenir quelqu'un. " page 129

Celui qui meurt ne se sent pas mourir lui-même: il sent mourir le monde, les personnes tout autour, les jours, les nuits, les planètes, les mers. Celui qui meurt sent s'étendre l'univers hors de lui. C'est la miséricorde offerte à chaque mort qui dissout le désespoir dans l'immensité de toutes les extinctions. page 152

( Chez le rabbin) " Les livres, ils ne sont pas fragiles. Ils  se laissent maltraités...Leur prodige est de savoir prendre le temps de celui qui lit. On ouvre Homère e ton le trouve à côté de soi. On le referme et il s'en retourne dans les siècles". (Réflexion du narrateur)  Il n'en va pas de même pour le crucifié, pour son discours de la montagne, sur les égalités, sur le bonheur. Je referme les pages de Matthieu et elles ne retournent pas dans leur millénaire. Elles se sont glissées dans l'écoute, elle font du lecteur un témoin, quelqu'un qui était là. Telle est peut-être la différence entre Homère et Matthieu. ( Le curé) IL lit rarement Homère. Pour lui, Matthieu est son journal quotidien qui lui raconte la dernière nouvelle, tandis qu'Homère a le charme de la légende. ...." Matthieu, c'est la terre ferme. Homère, c'est la mer". page 157

Avant de descendre dans la grande salle pour la dernière fois, je passe chez le curé. je redis mon désir de ne pas voir mon nom figurer en marge de la restauration. L'oeuvre est celle du sculpteur, moi, je suis son adjoint dans un détail....Je n'assisterai pas à l'inauguration, je connaîtrai le résultat final avant  les autres, puisque c'est moi qui l'inaugurerai.  page 162

Je mets de la résine sur les deux surfaces de contact. . J'approche la nature  de son point de jonction J 'ai peur de mal l'attacher, d'être imprécis. Les deux parties s'attirent toutes seules. J'approche. J'unis. Fin. page 165


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