lundi, novembre 29, 2010

LE JOUR AVANT LE BONHEUR (Erri De Luca)

J'aimais l'école. Le maître parlait aux enfants. Je venais de mon réduit où personne ne me parlait, et là, il y avait quelqu'un à écouter. J'apprenais tout ce qu'il disait. C'était si beau de voir un homme expliquer aux enfants les nombres, les années de l'histoire, les lieux de la géographie. Grâce à une carte en couleurs du monde, sans jamais avoir quitté la ville, on pouvait connaître l'Afrique qui était verte, le pôle Sud blanc, l'Australie jaune et les mers bleues. Les continents et les îles étaient du genre féminin,les océanc et les montagnes étaient masculins.
A l'école, il y avait les pauvres et les autres. A onze heures, ceux de la pauvreté comme moi recevaient du pain avec de la confiture de coing que leur donnait le surveillant. Avec lui, rentrait une odeur de four qui fondait dans la bouche. Les autres n'avaient rien, seulement leur goûter apporté de chez eux. Il existait une autre différence, on rasait la tête à ceux de la pauvreté au printemps à cause des poux, les autres gardaient leurs cheveux.
On écrivait avec une plume et de l'encre versée dans un trou de notre pupître Ecrire était un peinture, on trempait sa plume, on faisait tomber les gouttes jusqu'à ce qu'il n'en reste qu'une , avec laquelle on arrivait à écrire la motié d'un mot. Puis, on la trempait à nouveau. Nous de la pauvreté, nous séchions notre feuille à la chaleur de notre respiration. Sous notre souffle, le bleu de l'encre tremblait en changeant de couleur. Les autres l'essuyaient avec un buvard. Le vent que nous faisions sur la feuille à plat était plus beau. Les autres écrasaient les mots sous leur petit carton blanc. Page 13
Il est impossible de parler avec les pensées des autres, elles sont sourdes. Page 20
Un enfant qui grandit sans une caresse endurcit sa peau, il ne sent rien, même pas les coups de bâton. Il lui reste ses oreilles pour apprendre le monde. page 27
Les livres gardent l'empreinte plus que les vêtements et les chaussures. Les héritiers s'en défont par exorcisme, pour se libérer du fantôme. Le prétexte est qu'on a besoin de place, qu'on étouffe sous les livres. Mais que mettent-ils alors contre les murs où se desssinent leurs contours? page 40
Je t'ai attendue jusqu'à oublier quoi. Une attente est restée dans mes réveils. J'ouvre la porte non pas pour sortir mais pour le faire rentrer.
J'appuie ma tempe sur la sienne..
"Anna , il s'est écoulé une éternité. c'est fini. Maintenant, commence le temps, qui dure des moments.page 65
J'étudiais comme d'habitude. Le latin m'amusait, cette langue inventée par un auteur d'énigmes. Le traduire était chercher la solution. Je n'aimais pas l'accusatif, il avait un vilain nom. Beau le datif, théâtral le vocatif, essentiel l'ablatif. L'italien qui renonçait aux cas était paresseux. En histoire, les trois guerres d'indépendance m'ennuyaient, alors que la résistance du Sud , classée sous le nom de brigandage , m'intéressait. Les vainqueurs ont toujours besoin de dénigrer les vaincus. Le Sud était resté attaché à ses vaincus. page 72
Le voyage devait servir à oublier le point de départ. Il durait preque un mois et à la fin, débarquaient des hommes prêts, le nez en l'air .(la traversée en bateau pour aller en Argentine) page 75
"Avec ton sang, tu peux faire ce que tu veux, avec le sang d'un autre, non". page 87
Le soleil tapait contre les vitres du dernier étage et faisait gicler des ricochets jusqu'à terre. Les vitres de Naples se passaient le soleil entre elles. Celles qui en avaient plus, le renvoyaient vers le bas. à celles qui en avaient moins. Elles étaient complices. Les maîtres verriers les montaient exprès un peu de travers, pour multiplier les surfaces réfléchissantes. En bas, dans la loge, arrivait un carambolage de lumière qui faisait dix rebonds avant de finir dans le trou où j'étais...Le soleil aime ceux qui vivent en bas, là où il n'arrive pas. Plus que tout, il aime les aveugles et leur fait une caresse spéciale sur les yeux. Page 111
La première chose que fait un pauvre avec de l'argent, c'est de s'acheter un vêtement. Il met un beau tissu sur lui et croit être une autre personne. Mais l'argent ne peut pas faire ça, te faire croire. page 114
Ses récits(de Don Gaetano) devenaient mes souvenirs. Je reconnaissais d'où je venais. Je n'étais pas le fils d'un immeuble mais d'une ville. je n'étais pas un orphelin de père et de mère mais le memebre d'un peuple. page 128
L'instruction nous donnait de l'importance, à nous les pauvres. Les riches s'instruiraient de toute façon. L'école donnait du poids à ceux qui n'en avaient pas, elle rendait égaux. Ellle n'abolissait pas la misère mais entre ses murs, elle permettait l'égalité. La différence commençait dehors. page 130
Je descendis vers la plage aux côtés de Don Gaetano. La journée était une étreinte de nature autour de la ville. Nous marchions, je ne posais pas de questions. Le soleil était un buvard, il séchait le sang, la peinture des bateaux, la misère de ceux qui étaient descendus des ruelles froides pour profiter de sa chaleur. page 134
(le personnage principal part pour l'Argentine) Je vis le golfe allumer ses lumières du Pausilippe jusqu'à Sorrente. C'étaient autant de mouchoirs blancs, il saluaient les yeux ouverts de ceux qui partaient. Ceux près de moi étaient trempés de larmes. Ceux près de moi ne sont pas de première classe, ils n'ont pas de billet de retour. page 138

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