dimanche, juin 03, 2018

LAROSE ( Louise Erdrich)
 
Dakota du Nord,  1999. Un vent glacial souffle sur la plaine et le ciel, d'un gris acier, recouvre les champs d'un linceul.Ici, les coutumes immémoriales marquent le passage des saisons, et c'est une chasse au cerf qui annonce l'entrée  dans l'automne. Landreaux Iron , un Indien Ojibwé,  est impatient d'honorer la tradition. Sûr de son coup, il vise et tire. Et tandis que l'animal continue de courir sous ses yeux, un enfant s'effondre. Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich, avait cinq ans.
Ainsi débute le nouveau roman  de Louise Erdrich, couronné par le National Book Critics Circle Award, qui vient de clore de façon magistrale le cycle initié avec La Malédiction des colombes  et Dans le silence du vent . L'auteur continue  d'y explorer le poids du passé, de l'héritage culturel , et la notion de justice. Car  pour réparer son geste, Landreaux  choisira d'observer une ancienne coutume en vertu de laquelle il doit donner LaRose, son plus jeune fils aux parents en deuil. Une terrible décision dont Louise Erdrich , mêlant passé et présent , imagine , avec brio, les multiples conséquences.
 
Il la calma, lui parla, pria avec elle.( Landreaux et Emmeline). La rassura. Ensemble, ils avaient pratiqué la danse du Soleil. Ils évoquèrent ce qu'ils avaient entendu lorsqu'ils étaient entrés en transe. Ce qu'ils avaient vu pendant qu'ils jeûnaient  au sommet d'une falaise rocheuse. Leur fils était sorti des nuages en demandant pourquoi il devait porter les vêtements d'un autre garçon. Ils avaient vu LaRose flotter dans les airs. Il avait posé sa main sur leur cœur et murmuré : "Vous vivrez". Ils savaient comment interpréter ces images à présent. ...Dans la famille d'Emmaline, il y avait eu des LaRose à chaque génération, depuis plus d'un siècle. A un moment donné, la famille s'était scindée en deux. La mère et la grand'mère d'Emmaline s'étaient appelées aussi LaRose. Elles étaient donc apparentées aux LaRose des générations passées. les deux femmes connaissaient les histoires, les récits. page22

Cette nuit là, LaRose dormit entre son père et sa mère. Il se souvenait de cette nuit. Il se souvenait de la nuit suivante. Il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé entre les deux. page 25

Landreaux et Emmaline Iron  étaient toujours sur le pas de la porte. (Ils sont chez les parents du garçon que Landreaux a tué en croyant visé un cerf). Personne ne les avait invités à entrer. "Qu'est-ce que vous voulez?  s'enquit Peter. ...
Ils répondirent simplement : Notre fils sera votre fils maintenant.
Landreaux posa la petite valise  à ses pieds. Emmaline était en miettes. Elle posa l'autre sac dans l'entrée et détourna les yeux.
Ils durent expliquer à Peter le sens de leurs paroles : Notre fils sera votre fils et lui expliquer encore.
Il en resta abasourdi , bouche bée  et accablé.
-Non répondit-il, je n'ai jamais  entendu une chose pareille.
- C'est ainsi que l'on faisait autrefois, lui assura Landreaux. Il le dit très vite, prononça les mots une fois de plus. leur décision était bien plus complexe que ça mais il n'arrivait plus à parler. Emmeline jeta un coup d'œil à sa demi-soeur, (la maman du garçon tué par son mari) qu'elle n'aimait pas . Elle se retint d'émettre le moindre son, leva la tête et aperçut Maggie (la sœur du garçon tué) , accroupie dans l'escalier....Elle s'avança dans un brusque sursaut , posa sa main sur la tête de son enfant , embrassa LaRose, lui tapota la joue, profondément absorbé par son jeu.
"A plus dit-il pour imiter ses grands frères.
-Non,répéta Peter en agitant les mains, non. C''est impossible. Ramenez....
Puis, d'un coup, il regarda Nola et vit que son visage  s'était ouvert d'un coup.
Toute sa douceur  s'en échappait à flots. Et aussi l'avidité, une volonté désespérée d'appropriation qui la fit se tendre insidieusement  de tout son corps vers l'enfant. pages 28, 29
 
Maintenant, allongé là où la vie de Dusty s'était épanchée dans le sol, il ferma les yeux et écouta les bruits de la forêt environnante. Il entendit une mésange à tête noire, puis une sitelle, un corbeau épuisé au loin. Il entendit sa propre voix qui criait. page 38
A présent, come tous les quinze jours, Landreaux allait donner un coup de main  à la mère d'Emmaline. Avant d'être sa belle-mère, elle avait été son institutrice préférée. En réalité, elle l'avait sauvé comme elle sauvait toujours les gens. Elle ne figurait pas sur la liste de ses patients, mais il venait quand même l'aider. ;. page 38

Au bout de quelques semaines, LaRose tâcha de ne plus pleurer, au moins en présence de Nola. Maggie lui répéta toute l'histoire, pourquoi il était là. Ses parents lui avaient déjà expliqué, mais il ne comprenait toujours pas. Il avait besoin de l'entendre indéfiniment.
"Tu ne sais même pas ce que ça veut dire, mort, remarqua Maggie.
- C'est quand on ne bouge pas, affirma LaRose.
- C'est quand on ne respire pas, corrigea Maggie.
- Respirer c'est  pareil que bouger!
- Bon, dit Maggie, viens , on va dehors et je vais tuer un truc pour te montrer...page 51

LaRose attendit que Nola lui demande quelque chose. Plus tard, ce jour-là, elle décréta que LaRose devait l'appeler maman.
- D'accord maman.
- Tu me fais un calin?
Ce qu'il fit. Nola lui ramena ses cheveux en arrière, le regarda dans les yeux  et son visage se gonfla et  s'empourpra comme si elle allait rougir.
- C'est quoi ton plat préféré? s'enquit-elle. Les gâteaux?
Elle promit de lui préparer plein de gâteaux. Quand il lui passa les bras autour du cou, il sentit les os  pointer sous sa peau. page 52
LaRose aperçut sa vraie mère au supermarché. Il se précipita  vers Emmaline et leurs deux corps se fondirent l'un dans l'autre. page 53

L'an 2000 accaparait Peter, et pendant qu'il travaillait aux préparatifs, il pouvait penser à autre chose qu'à Dusty.....Le père Travis et  lui coupaient du bois pour se calmer; à des kilomètres de distance, ils empilaient leur chagrin. page 66
Son rire avait changé, se dit Peter. ( celui de Nola) Maintenant, elle riait  de ce qui était triste, pas de ce qui était drôle. page 70

Tous les ans Emmaline confectionnait pour chacun une paire de mocassins neufs taillés dans de la peau de watipi fumée et doublés de chutes de couverture; le tour de la cheville était bordé de fourrure de lapin....Elle avait confectionné ceux de LaRose, raconta  Landreaux à son ami Randall, qui tenait des loges de sudation et enseignait la culture et l'histoire  ojibwés au lycée tribal, ainsi que la manière de dépouiller le cerf. page 75

Le père Travis répondit au téléphone, bascula sa chaise en arrière.  Lorsqu'il entendit le nom du nouvel évêque, il ne dit rien.
Aucune surprise.
Ce nouveau prélat, Florian  Sereno,  adopterait une position ferme  vis-à-vis de tous les sujets sensibles - l' Etat était rouge républicain. Le père Travis travaillait dans  un secteur bleu. Les réserves étaient des points ou des taches  bleu qui votaient démocrate....Avec la nomination du nouvel évêque, le père Travis risquait d'hériter  d'un dominicain tourné vers la théologie de la libération., parce qu'il voulait punir ce genre de prêtre en l'expédiant  sur une réserve. .. Les autres sujets, toutefois, tels que l'avortement, le laissaient indifférent. Son père lui avait appris que les affaires de femmes sont les affaires de femmes. Il y avait une autre possibilité - les autorités ecclésiastiques continuaient  à jouer au bonneteau avec leurs prêtres pédophiles. pages 84, 85
 
31 décembre 1999, Peter fourra suffisamment de bûches dans les paniers à bois pour alimenter le poêle toute la nuit - il était convaincu que l'alimentation électrique informatisée tomberait en panne. Il remplit des pichets d'eau potable et des seaux pour les toilettes, puis coupa l'eau au cas où les tuyaux gèleraient ....page 86
 
Ils ne s'étaient pas parlé depuis que Landreaux  avait emmené son fils chez les Ravich.  Landreaux hocha la tête et prononça quelques mots insignifiants en guise de réponse....Il (Peter) demanda à Landreaux s'il voulait passer.
-Bien sûr, dit Landreaux, sans songer à la bière...Landreaux sortit lentement de sa voiture, et d'un geste, Peter le pria d'entrer. Le chien que leurs familles avaient nourri se tenait derrière lui...Merci dit Peter, les yeux rivés à la table.
Merci dit Landreaux , les yeux rivés à la cannette. Ils laissèrent une vague d'émotions les envelopper. Pages 95, 96
...Dusty . je rêve de lui toutes les nuits. (dit Peter)
- Même avec LaRose ici?
-Oui,  et je me sens coupable, tu sais, j'adore ton garçon. Landreaux se détendit en entendant ce ton garçon. Il regarda Peter.
Je donnerais ma vie pour te rendre Dusty, assura-t-il, LaRose est ma vie. J'ai fait du mieux que j'ai pu.
Peter se posa une main sur le visage, bascula sa chaise en arrière, puis la ramena en avant et regarda  Landreaux  dans les yeux. page 98

(Mrs Pearce évoque le pensionnat où sont allées Nora et Emmaline) Au pensionnat de  Fort Totten, j'avais une robe  de cette couleur dans une cotonnade imprimée blanc et bleu. Juste la ceinture.....Après tout c'était militaire....On buvait du lait. Du porridge et du lait écrémé. Qu'Est-ce qui reste quand on a ôté la crème, hein.  C'était ce qu'on buvait. La cloche sonnait. Tout le temps les cloches...La première année, ils m'ont pris ma couverture, ma petite couverture chaude  en lapin. Ils m'ont pris mes makazinan doublés de fourrure. Mon habit traditionnel, tout ça. Mes petites boucles d' oreilles en coquillages, mon collier;. Ma poupée. Elle est toujours là -_bas , dans la vitrine à souvenirs. Les objets avec lesquels nos familles nous envoyaient là-bas, ils les vendaient comme souvenirs. Ils les échangeaient. C'est à se demander.
Ce qu'ils ont pu faire!
Je sais. Pense à toutes ces nattes qu'ils ont coupées aux garçons et aux filles au fil des ans. pages 100, 101
 
 
...La question c'est... poursuivit Peter.
Le cœur de Landreau s'arrêta.
La question c'est...reprit Peter. Qu'est-ce que ça lui fait?
Le cœur de Landreaux se remit à battre.
Qu'est-ce que ça lui fait, répéta Peter d'une petite voix.
Il est triste, reconnut Peter. Sa famille lui manque. Il ne comprend pas. Vous êtes juste au bout de la rue. je vois son visage dans le rétroviseur, quand on passe. Il regarde son ancienne maison, c'est tout.
Peter ne pouvait supporter d'en révéler  davantage. Sur les pleurs étouffés, rien. Sur LaRose qui donnait des coups de poing  sur la tête, rien. Sur les questions secrètes qu'il ne chuchotait qu'à son oreille. Elle est où, ma vraie maman?, il ne pouvait rien dire. page 107
 
Tout ira bien. Nous vieillirons ensemble., après tout.
Voilà ce que pensa Landreaux la première fois que Peter déposa LaRose.  Ils passeraient ensemble le printemps et l'été jusqu'aux journées de canicule, quand la chaleur imprégnait la maison et que les vieux rondins exhalaient le parfum de terre du torchis. page 126
 
Comment expliquer ce coup de fusil? Il aurait voulu cesser d'exister pour recommencer à tirer, ou ne pas tirer. Mais la plus difficile, la meilleure, la seule chose à faire, c'était de rester en vie. De vivre avec les conséquences, au sein de la famille. D'assumer la honte, même s'il étouffait sous son poids nauséabond. page 210
" Mais d'abord, il faut que je te dise quelque chose.
LaRose attendit.
"C'est un secret, un grand secret. Nous devons jurer que c'est notre secret, d'accord?
 LaRose devint sérieux. Ils se serrèrent la main quatre fois.
"OK, je te fais confiance.
LaRose regarda son père, les yeux écarquillés, sans ciller.
"Je n'avais pas, euh, la tête à l'endroit le jour où j'ai tué Dusty. Ce n'était pas ce que je voulais faire, mais je ne sais pas, j'ai peut-être mal visé. En réalité, ce jour-là, je me suis mal pris.
LaRose fronça les sourcils, et le cœur de son père s'en trouva transpercé.
"Est-ce que tu as vu Dusty là-bas? voulut savoir LaRose. Est-ce que tu as vu le chien?
- Quel chien?
-Dusty est tombé d'une branche d'arbre. Une nuit, en rêve, j'ai tout vu. Dusty a suivi le chien dans les bois. Le chien t'a vu. Demande-lui.
Landreaux fu pris d'un mal de tête.
"Tu as toujours bien visé avant. c'est mon autre papa qui me l'a dit.
-Peter?
-Ouais.Il a dit autrement tu aurais touché le cerf...
Dusty m'a expliqué que tu l'as abattu par accident.
Landreaux ouvrit les bras à son fils et celui-ci vint se glisser contre sa poitrine....page 213
 
Les institutrices de la mission considéraient qu'apprendre aux femmes l'art de bien tenir une maison et de discipliner les enfants était fondamental pour éradiquer la sauvagerie. page 265
Elle corrigeait leur grammaire dans les deux langues. En anglais, il existait un mot pour chaque objet. En ojibwé, il existait un mot pour chaque action.  L'anglais possédait davantage de nuances pour évoque l'émotion intime, mais l'ojibwé  était plus subtil pour évoquer les liens familiaux. page 269
 
Pratt disait aussi: Un général célèbre a déclaré un jour qu'un bon Indien est un Indien mort  et que le profond accord suscité par leur destruction a considérablement encouragé les massacres d'Indiens. page 283
 
Ce même matin, Emmaline se réveilla le cœur serré et presque incapable de respirer. Quand? ...Maintenant LaRose était censé retourner chez les Ravich, mais quand elle caressa l'épaisse chevelure brune du garçon, elle eut la certitude. Il fallait en finir, et le moment était venu.  Derrière la porte fermée de leur chambre à coucher, elle composa le numéro des Ravich, Peter décrocha.
Je n'en peux plus avoua-t-elle
Peter sentit vaciller le lourd fer à repasser en fonte qui tenait  lieu de cœur.  Il attendit , mais la chose  était coincée du mauvais côté de sa poitrine.
Oh non, je t'en prie Emmaline.
je ne peux continuer . Ce n'était pas censé durer toujours , hein? ..
...Nola va tellement mieux , reprit-il. Elle oublie enfin Dusty.  Elle , euh, intègre.  Là, elle est en train de peindre le poulailler....Page 324
 
...Avant,  dès qu'elle était seule, elle (Nola) avait les larmes aux yeux. Aucun médicament n'y faisait rien, même pas LaRose, au début. Mais après l'avoir entendu , la veille,  jouer avec Dusty,  ce matin là, elle s'était réveillée et levée comme avant. ...Quelque chose d'inconnu  s'était remis d'aplomb, à l'intérieur. Qui l'avait  fait se sentir moins seule....Parce que le tissu  entre les réalités , les vivants et les morts, était poreux, et pas uniquement pour elle. Ce passage de l'un à l'autre existait . LaRose allait lui  aussi là-bas. Elle n'était pas folle après tout. Peut-être simplement plus consciente , comme l'était LaRose, sur quoi tout s 'accordait . Spécial.  C'était une bonne  chose qu'il faisait pour elle , de jouer avec son fils  venu de l'autre côté. page 379
On donna à LaRose une plume d'aigle et une coquille d'ormeau au creux de laquelle fumait une boule de sauge. Il déambula en encensant la nourriture. Il passa la fumée sacrée sur les cocottes électriques, les ¨gâteaux, les tables et la corbeille de félicitations....LaRose prépara une assiette  où il mit un peu de tout, même un petit bout de gâteau et une pincée de tabac, . Il longea le bord du jardin et s'enfonça parmi le arbres, posa l'assiette au pied d'un bouleau. debout à côté du tronc, il regarda à travers les jeunes feuilles l'endroit où il avait jeûné, où Dusty et les autres étaient venus le visiter. LaRose ne savait pas quoi leur dire, s'ils étaient effectivement là. Oh bon, il allait les traiter comme des gens normaux.
"Vous êtes invités," annonça -t-il d'une voix naturelle. page 507

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