jeudi, juillet 26, 2007

PERDU LE PARADIS (Cees Nooteboom)

"J'ai toujours envie de savoir ce que les gens lisent, mais en général, les gens sont des femmes, car les hommes ne lisent plus. Et les femmes, l'expérience me l'a appris, que ce soit dans le train, sur un banc de parc ou à la plage, tiennent souvent leur livre de telle sorte qu'on puisse en lire le titre. Essayez pour voir". pages 15,16
Voir pour la première fois un tableau que l'on ne connaît que par des reproductions, c'est comme une hallucination.On ne peut pas croire que ce soit là la chose elle-même, devant laquelle Boticelli s'est assis un beau jour, il y a tant et tant de centaines d'années, et qu'il l'a regardée de ses propres yeux, ces yeux depuis longtzmps disparus, après y avoir apposé une dernière touche de son pinceau. Je sens qu'il est toujours au voisinage de ce tableau, mais qu'il ne peut pas le rejoindre, il s'est écoulé tant de temps que ce tableau est devenu autre chose, et pourtant, c'est la même chose matérielle, de quoi vous donner le frisson. page 32
Ce qui nous attirait (chez les Aborigènes), je le pense aujourd'hui, c'est qu'ils n'avaient jamais rien écrit. Rien n'avait été figé, toutes sortes de choses étaient sacrées, mais rien n'était consigné dans un livre...Ils n'avaient pas anéanti la nature et la nature les avait nourris. Tout ce qu'ils avaient pu inventer au cours de leur temps infini n'était visible qu'en art, encore était-ce , la plupart du temps , un art qu'ils détruisaient immédiatement, dessins sur le sable, peinture sur le corps pour les fêtes rituelles, un art qui appartenait à tous, sauf à nous, parce que nous ne possédons pas les clés de ses secrets. Nous ne pénètrerions jamais au-delà de la surface. Nous voulions comprendre et nous ne pouvions pas comprendre, c'était une abstraction et une réalité physique. page 41
Ceci (l'Australie) était le pays de vainqueurs, j'entendais leur langue dure et mordante qui avait supplantée toutes les autres. Page 58
Moi, je les trouve beaux (les Aborigènes) , c'est l'ancienneté de leur monde qui les embellit. Du moins à mes yeux. Et ce qu'ils font, leur art, leurs chants. Ils vivent leur art, il n'y aucune différence entre ce qu'ils pensent, leur façon de vivre, et ce qu'ils font. Quelque chose comme au Moyen-Age, avant les grandes déchirures.page 77
'C'était tellement triste"
-"La même tristesse qu'on peut voir chez nous à San Paulo.
-Non, ce n'est pas pareil. D'abord, là-bas, on rit tout le temps, dans les pires situations. Nos esclaves à nous venaient d'Afrique, au moins ils savaient danser. Vraiment danser, je veux dire...Tu connais la phrase de Groucho Marx? "Nous étions au bord du gouffre, mais nous avons fait un pas en avant"? Eh bien, même cela, ils n'y sont pas arrivés ici. Ils les ont évacués juste avant le bord du gouffre, mais ce qui reste, c'est essentiellement de la frime.
-Qu'est-ce qui est de la frime ?
-Tout. Autrefois, ils traçaient leurs peintures dans la sable ou sur leur corps. Elles avaient une signification, et puis elles disparaissaient. Un coup de vent et envolé le dessin. Rien n'était à vendre.page 93

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