mardi, juillet 17, 2007

UNE EDUCATION ANGLAISE (Christian Lehman)

Le 13 juillet de cette année-là, nous ne nous rendîmes pas directement au bureau. Mon père m'entraîna, sans rien dire, dans un magasin de fournitures professionnelles. Là, aiguillé par un employé zélé, il acheta un engin surprenant, le dernier cri de la bureautique, une machine à écrire Olivetti électrique, munie d'une tête à boule unique. Il la posa sur le siège arrière, à côté de moi , et je caressai furtivement, pendant le trajet en voiture, sa valise de plastic noir. L'ascenseur nous hissa jusqu'au troisième. J'avais hâte de le voir essayer la machine, de voir s'inscrire les premiers mots sur une feuille blanche avec son en-tête.Il poussa la lourde porte recouverte de cuir de son bureau. Un de mes cousins, un de mes innombrables cousins du clan Rohan, se tenait debout dans la pièce, étudiant d'un regard fixe la tranche des ouvrages juridiques qui ornaient les étagères. page 37
"La famille très éprouvée ne recevra pas les condoléances"
-C'est insensé. Après deux heures de plein soleil, ils pourraient au moins recevoir les condoléances"
Brutalement, je pris conscience que la mauvaise humeur des gens qui m'entouraient, des collègues de bureau descendus de Marseille dans le car spécialement affrété par les Postes et télécommunications, n'était pas lièe à la chaleur, ni à la fatigue, mais au fait que depuis le matin, chacun d'entre eux avait dû tourner et retourner dans son esprit à la gloire du défunt, et se voyait soudain floué de ses trente secondes de compassion d'usage. page 56
Ma mère avait une idée arrêtée de ce qui était convenable et de ce qui ne l'était pas: les enfants ne devaient pas regarder de film avec"carré blanc"...Yvonne De Gaulle, elle, s'occupait de l'extérieur; à l'arrière des DS présidentielles, elle avait, à plusieurs reprises, été choquée par des affiches de réclame publicitaire par trop suggestives, et en avait obtenu la suppression quasi immédiate. Seuls les bas Dim se risquaient parfois à enfeindre la tacite loi du silence et des convenances.
L'arrivée d 'Anne-Marie changea totalement le cours de mes vacances...Moi, j'étais fasciné. Je l'écoutais parler, je l'écoutais raconter et nous dévoiler une vision du monde qui n'avait rien à voir, avec celle de mes parents ou des siens.Car si mon oncle René avait choisi la loi et l'ordre, sa fille avait découvert très jeune les joies du marxisme-léninisme. J'étais fasciné par le monde étrange dans lequel elle vivait.
-"C'est une orange d'Afrique du Sud, un fruit de l'apartheid, martelait-elle" Et comme nous restions muets, elle enchaîna: "L'apartheid, la ségrégation raciale. Vous n'êtes pas au courant?"page 80-81
-Bien sûr, c'est facile , pour les belles âmes, de dire que les Américains bombardent le Vietnam! Les Américains ne bombardent pas par plaisir, mais parce qu'ils y sont obligés! Si demain le Vietnam tombe aux mains du Viêtcong, ce sera ensuite le tour des Cambodgiens, des...
-Ce n'est pas le Viêtcong. C'est le Front de Libération National." Anne-Marie avait dit cela d'une voix égale, sa voix tremblait à peine...page 86
Quarante kilomètres qui achevèrent de me convaincre qu'en traversant la Manche, j'avais débarqué dans un autre monde. Tout était neuf et excitant. Les routes étaient différentes, les ronds-points étaient différents, les maisons semblaient avoir sommeillé depuis la deuxième Guerre Mondiale sans modification. page 126

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