mardi, juillet 10, 2007

COMME PERSONNE (Denis Lachaud) Actes Sud

"ça fait longtemps que je suis aussi grand que toi à l'intérieur" lui avait dit le gamin de dix ans.
William (son père) lui avait alors demandé ce qu'il entendait par là.
-Un soir, je ne sais + quand, j'étais dans mon lit, je vous ai vus, toi et maman, en train de ranger mes jouets, au moment de me lire mon histoire, je vous ai regardés et je me suis dit: "vous n'avez rien de + que moi à part la taille et les avantages que donne l'âge, je n'ai + qu'à attendre".
William se souvenait à quel point il s'était senti con, dépassé, gêné d'entendre son fils exprimer un tel malaise. Il avait bafouillé quelque chose, "arrête de dire des bêtises tu veux, tu es un petit garçon et un petit garçon ça sent plein de choses...en tout cas, ça ne m'ennuie pas". Il avait souri, n'avait pas chercher à discuter, il était descendu des genoux de son père pour ne plus jamais y remonter. page 36
A ce moment de sa vie, Walter (le fils de William) considérait que quelque chose se perdait toujours chez les gens quand ils devenaient parents, une capacité à rester curieux, ouverts. page 38
William se souvint de son premier mariage. Il lui en restait un goût sucré d'un continuel éclat de rire parmi une bande de copains. Il n'avait + envie de rire. Il se sentait nu, désarmé, tout à la fois intimidé de prononcer un "oui" qu'il voulait gage d'une véritable offrande, d'un engagement sérieux, indéfectible. page 42
Fabien (le copain de Walter) somnolait sur sa chaise. Il ne dansait point, refusait de monter se coucher dans la chambre du manoir qu'il devait partager avec Walter, lui jurait qu'il ne s'ennuyait pas, qu'il aimait regarder les gens danser. Fabien était d'une nature curieuse. Il s'intéressait à découvrir ce qu'il ne connaissait pas. Il n'était pas habitué aux mariages dans les manoirs, aux costumes et aux robes de grandes marques. Ces gens étaient différents de ceux qu'il avait côtoyés pendant son enfance, ils étaient moins bruyants, même quand ils avaient bu ( les deux ou trois trouble-fêtes vraiment bourrés avaient disparu manu militari). Il fut particulièrement marqué par les chaussures des convives, cela paraissait si simple d'en porter de si belles, finesse du cuir, pureté des formes. Il était presque inimaginable qu'elles aient été achetées un jour, elles habillaient naturellement les pieds de ces gens. Fabien essaya d'imaginer le prix qu'une seule de ces paires pouvait bien coûter. Il se sentait ridicule. Il lui faudrait encore plusieurs années à observer ce monde nouveau pour s'ennuyer d'un spectacle dont il aurait fini par connaître tous les ressorts dramaturgiques. page 48
Je ne suis pas conforme. Je ne pourrai jamais l'être. Je pense être allée jusqu'au bout de ce que la loyauté envers mes parents, mes aînés m'a imposé comme arrangements avec (contraintes sur) ma personne. Je me suis absentée de moi-même pendant quinze ans. J'ai donné à mes parents, ma mère vivante et mon père mort, ce qu'ils attendaient de moi en toute bonne foi: un mari (William)et un enfant(Wanda). Ma mère a enfin pu se débarrasser de son plus gros souci (que va-t-elle devenir?), mon père n'était plus là pour le voir, s'en réjouir, mais cette loyauté n'a pas de frontière, je l'ai écouté jusque dans le souvenir...Malgré tout, j'ai pu préserver en moi mon envie d 'être, ce qui est moi, voilà la bonne nouvelle. Je suis solide. page 89
Tout était si fragile. On pouvait s'enfoncer dans une noirceur que rien ne semblait suffire à dissiper, on pouvait constater un jour, après un coup de téléphone, qu'on avait atteint un degré respectable de reconnaissance dans sa profession, on pouvait décider d'écrire soi-même une histoire et se demander si on était en train de devenir écrivain, on pouvait mourir sans prévenir.
page 133
Elle baille beaucoup, dit régulièrement" je suis fatiguée", pense " je n'y arriverai pas". Changer de vie, prendre des risques, accepter un autre monde à côté du sien, encore une fois, déjà? Comment trouver la force de construire en aveugle, comment prendre ces réflexes qui ramènent sur les rails de la conjugalité et tuent l'amour? page 164

Aucun commentaire: