mardi, mars 26, 2019

LE GUE (Ramon Sender)

Requiem est suivi d'un récit rare et inédit, plus bref et plus frappant encore: Le Gué, ou l'histoire d'une jeune fille convaincue d'avoir, par dépit amoureux, dénoncé l'homme qu'elle aimait...
 
La vieille ajouta, en baissant la voix:
- Je donnerai les jours qui me restent à vivre pour savoir qui l'a dénoncé. Mon fils était bien caché entre les pierres sèches d'un fourneau qu'on allumait jamais. page 101
Lucie ne répondait pas. Lucie se disait en son for intérieur:
" Je sais qui l'a dénoncé. Comment ne le saurais-je pas puisque c'est moi qui l'ai dénoncé....page 102
Appuyée contre le mur, Lucie se disait:
" Il n'est pas nécessaire de vouloir du mal à quelqu'un pour le dénoncer et lui faire perdre la vie. " page 104
 
Regardant l'eau, elle songeait: " cela fait deux ans que mon cœur a cessé de battre."
Un jour, il y a plusieurs mois, elle était sortie de chez elle, désespérée, et était allée sur la place du village...décidée à crier sa culpabilité; mais là, elle se sentit sans force.  page 111
(Lucie est allée se confesser au curé) Le curé lui dit, après l'avoir confessée:
- Ma fille, tu n'as pas besoin de te repentir d'avoir dénoncé un ennemi de Dieu. Le seul mal, c'est d'y avoir été poussée par une passion coupable"
... - Ce n'est pas vrai, monsieur le curé. l'ennemi de Dieu, c'est moi. "
....Il lui donna l'absolution et lui imposa une petite  pénitence, pas pour la délation, mais pour la passion coupable. page 112
 
(Sa sœur Joaquine,  femme de l'homme tué est  à la rivière pour la lessive )
- Aujourd'hui, ça fait deux ans.
Lucie ne répondit pas. Après un silence plein d'évocations tristes, Joaquine ajouta:
 - Je voulais rester à la maison, mais ma belle-mère est allée au four et je ne pouvais rester seule. page 117
Le ton de Joaquine était naturel et avait parfois comme un accent de gaieté.
"Elle s'est habituée à sa peine parce que c'est une peine honnête" pensait Lucie. page 119
 
Lucie cria, sentant qu'à chaque mot, son âme s'en allait.
-Parce que c'est moi qui ai dénoncé ton mari pour qu'on le tue.
Elle n'osait pas lever la tête.
Lucie frissonna:
-Pourquoi elle ne m'a pas entendue?
Elle avait fait un  effort gigantesque et maintenant elle se rendait compte qu'elle ne serait pas capable de le refaire. page 123

Elle se levait pour respirer plus profondément et recommencer à se dire:
" Je ne peux pas vivre. J'ai vécu deux années de supplice et parfois, je suis tellement  désemparée que je ne saurais dire si j'ai aimé ou haï cet homme.  La peine est plus grande  que le souvenir de la tendresse.  page 125
 
Toutes les choses vont dormir. Toutes les choses dormiront cette nuit, sauf le vent et moi.  Et la rivière. la rivière ne dormira pas non plus. page 135
 
"Et qui as-tu dénoncé?
- Ton mari . je l'ai dénoncé pour qu'on le fusille.
Joaquine ressentait tant de peine qu'elle ne parvenait pas à parler, attentive à contenir ses larmes. Elle poussa sa sœur par les épaules pour mieux la protéger de son fichu, entoura  sa taille de ses bras et lui dit :
- Marchons plus vite.  page 143
 
La belle-mère promit de passer par le pont. En sortant, elle rencontra une voisine et lui dit:
- Pauvre Lucie.  Ce qui lui arrive ne m'étonne pas parce que c'est elle qui a toujours montré le plus de peine pour le port de mon fils. page 146
 - Pauvre Lucie. c'est la folie qui la travaille de l'intérieur. page 147
 
"Ce que tu as entendu hier est pure vérité.
Joaquine restait toujours sans réaction, la regardant  avec des yeux vides, et Lucie cria:
- Tu n'arrives pas à le croire? Et tu disais que tu aimais ton homme? Tu es sa veuve?
Lucie sauta du lit pour se rapprocher de sa sœur qui s'était reculée jusqu'au mur.
- Tu n'es pas sa veuve. Une vilaine vision, voilà ce que tu es. Une vieille sorcière. Une vieille sorcière! page 152
 
Lucie sortit du lit, complètement nue. Elle erra à travers la chambre sans savoir que faire, puis ouvrit la porte et descendit à la cuisine.
 "Tant d'années  déguisée, à tromper les gens! Mais ils verront comme je suis maintenant page 159
 
Puis elle sortit dans la rue sans se préoccuper de  sa nudité, et quand elle fut au centre de la place, elle regardé autour d'elle.
Aux fenêtres des maisons,  tout autour, il y avait, derrière les vitres.. des  visages humains.
- Oui, à cause de moi. A cause moi, ils lui ont tiré huit fois au cœur. page 160
 

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