samedi, mars 02, 2019

IDISS (Robert Badinter) 2018

"J'ai écrit ce livre en hommage à ma grand-mère maternelle, Idiss. Il ne prétend pas être ni  une biographie, ni une étude de la condition des immigrés juifs de l'Empire venus à Paris avant 1914.
IL est simplement le récit d'une destinée singulière à laquelle j'ai souvent rêvé.
Puisse - t -il être aussi, au-delà du temps écoulé, un témoignage d'amour de son petit-fils."
 
Idiss, ma grand-mère maternelle, était née  en 1863 dans le Yiddishland, à la frontière occidentale de l'Empire russe. Elle connut la pauvreté, sinon la misère, des juifs des shtetels  (village peuplé de juifs dans la Russie tsariste) bessarabiens. la prière du vendredi soir s'achevait par des remerciements au Seigneur qui nous avait donné du pain pour nourrir sa famille. C'était absurde dans sa condition actuelle. Mais la formule la rassurait. Dieu vieillait sur sa famille, en France, comme jadis en Bessarabie. page 10
 
..pour les juifs du Yiddisland  notamment en Bessarabie, l'horizon  était toujours chargé de menaces.  Un antisémitisme virulent trouvait dans ces régions frontalières u foyer constamment prêt à s'allumer. La détestation des juifs n'était pas l'apanage  des nationalistes orthodoxes. Elle imprégnait aussi  l'administration tsariste. ....Les juifs souvent reconnaissables à leur tenue ancestrale, étaient battus, les barbes coupées. Les pogroms se déchaînaient dans les ghettos , avec leur cortège d'incendies. page 24
 
Les idéaux de la révolution française et la devise républicaine résonnaient au cœur des plus jeunes. L'Amérique brillait de mille feux dans les lettres adressées par les proches déjà établis à New York, ou à Chicago.  Pour eux, partir n'était pas fuir. C'était aller ailleurs, gagner d'autres lieux où ils bâtiraient un autre avenir. page 25
L'affaire Dreyfus , née  dans le pays de la Déclaration des Droits de l'Homme, témoignait de sa  persistance. Mais la  loi était là pour les protéger, pas pour les accabler.  Alors pourquoi hésiter? page 25 (Deux frères d'Idiss sont venus en France)
 
En vérité, si les juifs se retrouvaient en communauté à Paris, en ce début du XXè siècle, ce n'était qu'à l'occasion de grandes fêtes religieuses , pour célébrer le Kippour ou Pâques. L'esprit du siècle incitait davantage au culte du savoir et de la raison qu'au mysticisme et à la foi.  Les Juifs, à cet égard, n'étaient pas différents des autres Français. Par fidélité à une tradition familiale plus qu'au culte...Page 32
 
Idiss, Chifra, la mère de Badinter, son mari, Schulim sont à Paris , ils ont rejoint leurs deux fils, Avroum et Naftoul )) Depuis 1791, les juifs français étaient en principe des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits et soumis aux mêmes lois. Première nation européenne  à accorer aux juifs,une totale égalité de droits , le pays autorisait les citoyens de "confession israélite," comme on les désignait officiellement, à devenir fonctionnaires, magistrats,ou officiers, et à exercer toutes les professions libérales.  Cette parfaite égalité faisait la gloire de la France  dans le Yiddisland. S'y ajoutait l'éclat  d'une langue reconnue comme celle  de l'élite dans toute l'Europe. L'Alliance israélite universelle veillait à l'enseigner aux jeunes juifs dans le bassin méditerranéen. page 54
 
Le véritable clivage  entre les juifs   était d'ordre social et culturel. Les Israélites nés en France et souvent français depuis es générations, parlaient la langue française sans accent étranger. Certains même y excellaient. Orateurs réputés au Parlement et  au Palais de Justice, ils rivalisaient avec leurs homologues chrétiens. Il en allait de même avec les écrivains et journalistes. page 56
 
Pour Idiss, le premier problème  n'était pas son judaïsme, ni sa nationalité étrangère, mais son analphabétisme....La revanche  d'Idiss allait venir de sa fille  Chifra et se poursuivre avec ses petits-enfants.... Schulim et Idiss étaient pauvres mais Schulim voulait absolument que Chifra sache lire, écrire et compter. . C'est ainsi qu'il l'avait envoyée à l'école du village. page 58
 
Arrivée à Paris, parlant couramment le yiddish et le russe, Chifra, prénommée dorénavant Charlotte, gagna l'école primaire gratuite et républicaine, conformément à la loi française...;Ainsi Chifra - Charlotte fit son entrée à douze ans dans le monde du savoir.  page 59
 
Vint le temps du certificat d'études, Charlotte, bien préparée par M. Martin ( son instituteur)  triompha de ses épreuves, notamment en français. Page 62
 
La tradition voulait cependant,  que l'étude soit le privilège des hommes et que la vie quotidienne, l'éducation des enfants et le soin des parents âgés demeurent l'apanage des femmes...La rigueur des mœurs conjuguée à la tradition religieuse affectait autant les jeunes filles juives que les catholiques. page 64
 
La Grande Guerre se poursuivait. Elle s'étendait bien au-delà  du continent européen. ....Schulin décida de quitter le centre de Paris pour gagner avec les siens la banlieue proche....Un appartement  se trouvant libre à Fontenay-Sous- Bois, ...la décision fut prise de s'y établir. page 71
 
Schulin avait quitté ce monde en bon juif, à cinquante-six ans. page 80
 
A cette époque , apparut à l'horizon familial  un nouveau personnage qui allait jouer dans la vie de Charlotte un rôle décisif: Simon, mon père.
En vérité, il s'appelait Samuel, comme le prophète, mais à l'époque, les Juifs francisaient leur prénom. ....Sa volonté d'intégration, de francisation était si forte que mon frère et moi fûmes déclarés à l'état civil, avec l'accord de  notre mère, sous un seul prénom, lui Claude  et moi Robert. page 85
 
Simon, mon père était né  en 1993 dans le Yiddishland, en Bessarabie, comme Charlotte....Comme c'était un garçon, ses parents avaient veillé à ce qu'il reçoive une bonne éducation.  page 89....A Moscou, Samuel, ( Simon) mena l'existence  des étudiants pauvres, vivant des maigres ressources qu'il tirait de leçons données aux enfants de familles bourgeoises. Dans cette société de castes, Samuel rêvait d'égalité, dans cette monarchie, de République; dans l'antisémitisme régnant, d'une société fraternelle; dans l'orthodoxie pesante, d'une laïcité libératrice. page 90
 
Pour Idiss, le mariage de Charlotte et de Simon fut un grand bonheur. Sa file épousait le jeune homme juif qu'elle aimait. page 94
 
Simon avait consulté quelques amis. Il ne pouvait pas espérer faire en France la carrière intellectuelle et politique dont il avait rêvé.  page 97
 
Mon père était travailleur. ma mère ambitieuse. Leur ascension sociale fut rapide. De revendeur de fourrures , mon père, qui analysait l'évolution des marchés internationaux, devint négociant en gros.. On le voyait à Londres et à Leipzig aux grandes ventes de fourrure. page 99
 
Le retour à Paris avait rendu à Idiss un accès plus aisé au quartier du Marais où s'étaient établis Avroum et Marguerite avec leurs enfants. page 103
 
A la faveur de la loi  de 1927 et aussi des services de mon père dans l'armée russe alliée de la France, mes parents obtinrent leur naturalisation . Ainsi,  suis-je né en 1928 français de parents français...depuis quelques semaines. page 107
 
Idiss avait connu l'antisémitisme traditionnel du  tsarisme et les violences qui dégénéraient parfois en pogroms.  Des années plus tard, elle conservait le souvenir apeuré de tous ces maux qui frappaient les juifs dans l'empire russe. La réussite en France  de  sa famille lui donnait un sentiment de fierté. page 112
 
Dans les années 1930, nous habitions un petit appartement dans le XVI è arrondissement de Paris...
Pour sa part, ce qu'Idiss ressentait profondément à Paris, c'était pas  d'être étrangère mais d'être illettrée. page 118
 
Idiss menait parmi nous une existence qu'à cette époque là, les années 0930, elle déclarait heureuse parce que le sort des enfants lui paraissait tel. Sur le bonheur de mère et de grand-mère planait cependant une ombre. page 125
 
....Natfoul avait suivi Avroum à Paris....Natfoul , lui , était demeuré seul jusqu'au jour où il s'éprit de celle que toutes les mères juives redoutaient pour leur fils, une femme qui n'était pas juive, une Chiksé, disait-on, en yiddish, qu'elles considéraient  comme une créature dépêchée par le diable pour détourner  leur fils du judaïsme, c'est-à-dire trahir leur famille et d'abord leur mère.  ...La porte pouvait s'ouvrir pour Avroum , jamais pour elle. pages 126, 127
 
L'écho des crises internationales, et surtout celle de l'été 1938 qui s'acheva par le désastreux accord de Munich , parvenait jusqu'à Idiss. Mon père, de plus ne plus tendu, en parlait fréquemment à la maison avec des amis. Beaucoup avaient obtenu leur naturalisation. Ils nourrissaient à l'égard de la France,  des sentiments  complexes, mélange de reconnaissance et de susceptibilité, comme des enfants blessés parce que leur mère adoptive ne leur donne pas toutes les preuves d'amour espérées, ou pire, paraît regretter leur présence. page 134
 
Pour Idiss et la famille, comme pour tous les juifs en Europe, c'était Hitler et le nazisme. L'idéologie nazie, se réclamant non plus de  la religion, mais de la science, dénonçait les juifs comme une race inférieure et perverse dont il fallait purger l'humanité.  page 140
 
Mon père redoutait les bombardements aériens sur Paris....Il décida donc avec l'accord de ma mère  qu'elle s'établirait loin de la capitale, en Bretagne. Ma mère ouvrirait là un magasin de fourrures pour y écouler le stock  de l'entreprise. Ainsi, la famille vivrait-elle  à l'abri jusqu'à la victoire finale dont mon père ne doutait pas....Le hasard voulut qu'à Nantes, un fourreur encore jeune mît en location sa boutique pour la durée de sa mobilisation. Page 150
 
Soudain, en mai, la guerre , la vraie, fit irruption dans notre vie. Elle ne devait plus nous quitter pendant les cinq années qui suivirent.
Mon enfance a pris fin le 10 mai 1940, lorsque les armées allemandes se ruèrent sur la Hollande et la Belgique...page 155
La victoire allemande fut ressentie par Idiss comme une catastrophe. page 159
On ne pouvait échapper au froid en ce dur hiver 1940-1941. Dès la mi-décembre, l'eau gela dans les tuyaux. Dans les immeubles, le chauffage était coupé....page 174
Pendant cet hiver, Idiss dut s'aliter à plusieurs reprises. Elle se plaignait de brûlures à l'estomac. Nous la voyions amaigrie, le visage émacié...Page 175
 
En cette année 1941,...les mesures antisémites se succédaient, ^tantôt  décidées par les autorités d'occupation, tantôt décrétées par le gouvernement de Vichy. page 180
 
Pour faire diversion, mon frère et moi rapportions à Idiss les échos et les résultats de notre vie scolaire, plus marquée par la continuité de l'institution que par le changement de régime. page 192
 
Le 14 mai 1941, plus de six mille juifs étrangers, notamment polonais et tchécoslovaques furent convoqués  à la demande  des autorités d'occupation par la préfecture de police....
Mon père mesura le péril. Ma mère le pressa de partir sans délai. Elle lui promit de le rejoindre très vite  avec mon frère et moi, à Lyon. Très tôt , le lendemain matin,  ma mère nous réveilla, mon frère et moi. La valise de mon père était posée dans l'entrée. Il nous dit qu'il partait...page 196
 
Nous savions que nous allions partir, retrouver notre père  dont,  sans jamais le dire,  l'absence était cruelle. Changer de vie aussi en laissant derrière nous les amis. Et surtout, quitter Idiss en sachant que nous ne la reverrions plus. page 206
..Déjà, nous tournions le coin de la rue, vers la station de métro. Adieu Idiss, adieu l'enfance. C'était la guerre, l'Occupation. jamais je ne reverrai ma grand-mère. page 208
Idiss  mourut quelques mois plus tard, le 17 avril 1942. page 209

Simon Badinter fut arrêté à Lyon, le 9 février 1943, sur ordre de Klaus Barbie et déporté au camp d'extermination de Sobibor, en Pologne, par le convoi no 53 du 25 mars 1943. Il n'est pas revenu.
Sa mère fut arrêtée à Paris par la police française lors d'une rafle du 24 septembre 1942. Agée de 79 ans, elle mourut  dans le convoi no 37 qui la conduisait au camp d'Auschwitz_ Birkenau.
Natfoul Rosenberg (oncle de Robert Badinter et frère de sa mère)  fut arrêté à Paris sur dénonciation et déporté au camp d'Auschwitz - Birkenau par le convoi no 12 u 39 juillet 1942. Il n'en est pas revenu. -  page 217
 
 
 

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