mercredi, mars 20, 2019

REQUIEM POUR UN PAYSAN ESPAGNOL ( Ramon Sender)

1936. Un prêtre s'apprête à célébrer une messe de requiem pour un jeune homme du village qu'il a vu naître et grandir, et qui a été exécuté par des phalangistes...à cause de lui... et malgré lui... Tel est l'argument du Requiem pour un paysan espagnol. Interdit sous Franco, ce chef-d'oeuvre circula clandestinement durant des années avant de devenir un des livres les plus lus et traduits au monde.
 
Requiem est suivi d'un récit rare et inédit , plus bref et plus frappant encore: Le Gué, ou l'histoire d'une jeune fille convaincue d'avoir, par dépit amoureux, dénoncé l'homme qu'elle aimait. Entre ces deux lettres, c'est tout le drame de l'Espagne, et de l'auteur lui-même qui a perdu sa femme et son frère sous les balles franquistes, résumé en quelques dizaines de pages....peut-être les plus belles du XXè siècle espagnol.
 
Mosen Millan ( le prêtre) se disait :il est  tôt. Et puis, les paysans n'ont pas fini de battre. Mais la famille du défunt ne pouvait pas ne pas venir. . Les cloches  sonnaient toujours, pour les offices funèbres, les coups étaient lents , espacés, graves.
Mosen Millan se rappelait le jour où il avait baptisé Paco dans cette même église. le matin était  froid et doré.. pages 12,  13
 
"Ils les emmènent, ils les emmènent,
les bras liés derrière le dos."
L'enfant de chœur revoyait la scène, qui avait été sanglante, avec beaucoup de détonations.
Le curé se remémorait encore la fête du baptême. page 17
 
- Il n'y a toujours personne"
Le curé levait les sourcils en pensant : " Je ne comprends pas". Le village entier aimait bien Paco. Sauf Don Gumersindo et Don Valeriano et peut-être  Catulo Pérez. Mais personne ne pouvait être sur des sentiments de ce dernier. L'enfant de choeur lui aussi parlait tout  seul, se récitant la romance de Paco.:
La lumière arrivait de la montagne
Et les ombres sur le plateau".
Mosen  Millan ferma les yeux et il attendit. Il se rappela de nouveaux détails sur l'enfance de Paco.Il aimait bien le garçon et le petit l'aimait bien, lui aussi. Les enfants et les animaux aiment ceux qui les aiment. page 22
 
Paco allait souvent à l'église, mais il ne servait la messe que lorsqu'il manquait deux enfnats de chœur. page 28
 
(Paco et Mosen Millan sont allés porter l'extrême-onction  à quelqu'un qui était gravement malade)
" Ces gens sont pauvres, Mosen Millan?
- Oui , mon enfant.
- Très pauvres?
- Très
- Les plus pauvres du village?
- Va savoir, mais il y a pire que la pauvreté. Ce sont des malheureux pour d'autres raisons.
L'enfant de chœur voyait que le prêtre répondait à contrecoeur.
- Pourquoi? demanda-t-il.
- Ils ont un fils qui pourrait les aider, mais j'ai entendu dire qu'il est en prison.
- Il a tué quelqu'un?
- Je ne sais pas , mais cela ne m'étonnerait pas.
Paco ne pouvait rester silencieux. Il marchait dans l'obscurité sur un sol inégal.  page 34
"Pourquoi personne ne va le voir, Mosen Millan?
- Qu'est -ce -que cela peut faire, Paco? Celui qui meurt , qu'il soit pauvre ou riche,  est toujours seul, même si les autres vont le voir. La vie est ainsi et Dieu qui l'a créée sait pourquoi.
Paco se rappelait que le malade ne disait rien. La femme non plus.....Paco  dit qu'il allait prévenir les gens , pour qu'ils aillent voir le malade et aider sa femme. page 36
 
"Personne n'est encore arrivé, Mosen Millan.
Il le répéta , parce que, les yeux fermés, le curé ne semblait pas l'entendre. Et l'enfant de chœur se récitait d'autres passages du romance, et au fur et à mesure qu'il les retrouvait:
 ..Dans les monts, ils le cherchaient
mais ils ne l'ont point trouvé;*ils allaient chez lui avec des chiens,
pour qu'ils prennent son odeur;
 et ils flairent, ils flairent,
les vieilles nippes de Paco.
 
Paco se risqua à lui (Mosen Millan) - il l'avait entendu  de son père -  qu'il y avait au village des gens qui vivaient plus mal que des animaux et qu'on pouvait faire quelque chose pour remédier à cette misère.
- Quelle misère? dit Mosen Millan. Il y  a plus de misère ailleurs qu'ici.  page 41
 
- "Mosen Millan, don Valeriano vient d'entrer dans l'église."
Le curé avait toujours les yeux fermés et la tête contre le mur. L'enfant de chœur  se rappelait encore la romance:
Et le Clos du mont
Là-haut , ils trouvèrent Paco;
rends-toi , rends-toi à la justice,
ou ici, ils te tueront.
Mais don Valeriano apparaissait déjà dans la  sacristie " avec votre permission" dit-il.  Il était vêtu comme les messieurs de la ville, mais il avait plus de boutons à son gilet que d'habitude et une grosse chaîne en or avec des  breloques pendantes qui sonnaient quand il marchait. ...Voyant que Mosen Millan gardait les yeux fermés,  sans faire aucun cas de lui, il s'assit  et dit:
" Mosen Milan, dimanche dernier, vous avez dit en chaire, qu'il fallait oublier. Ce n'est pas facile d'oublier. , mais c'est moi qui suis ici le premier.
Le curé opina de la tête sans ouvrir les yeux.
- Je la paye , la messe, sauf si vous trouvez mieux. Dîtes-moi ce qu'elle vaut et je vous donne ça.
Le curé refusa  de la tête et garda les yeux fermés. Il  se rappelait que don Valeriano avait été un de ceux qui influèrent le plus sur la fin malheureuse de Paco. pages 42, 43
 
Enfin, Paco et Agueda échangèrent leur consentement. La jeune femme était plus vive que sa belle-mère et, bien qu'elle se montrât humble et respectueuse, elles ne s'entendaient pas bien. La mère de Paco avait l'habitude de dire:
"- L'eau qui dort. Mon fils, il faut se méfier de l'eau qui dort."
Mais Paco le prenait à la plaisanterie. page 48
 
La cérémonie terminée, ils sortirent ( les mariés  et les invités)....Le cortège alla jusqu'à la maison du marié....
Avant de prendre congé du curé, le cordonnier trouva encore le temps de lui glisser quelque chose  de vraiment extravagant. Il lui dit qu'il savait de source sûre qu'à Madrid, le roi chancelait, et que  s'il tombait, bien des choses allaient tomber avec lui. Come le cordonnier sentait le vin, le curé n'en fit pas grand cas. le cordonnier répétait avec une joie extraordinaire:
- A Madrid, on coupe  à pique, monsieur le curé. ...
Mosen MiIlan se rappelait que le journal du chef-lieu ne dissimulait pas son inquiétude devant ce qui se passait à Madrid.  Et il ne savait que penser. pages 50, 51
Autour de lui (du curé)  setenaient six ou huit invités, les moins assidus à l'église. Il devait être en train de leur parler - pensait Mosen Millan -  de la chute prochaine du roi, leur dire qu'à Madrid on coupait à pique  page 51
 
M. Castulo Pérez entrait dans la maison.  Sa présence fit sensation  parce qu'on ne l'attendait pas....Voyant le curé, il s'approcha:
- Mosen Millan, il paraît qu'à Madrid, on va retourner l'omelette.
On pouvait douter du cordonnier , mais confirmé par M. Castulo, non. C'était un homme prudent,, il cherchait apparemment l'appui du Paco du Moulin. Dans quel but? Le curé  avait entendu parler d'élections.?  M. Castulo répondait  évasivement: " un bruit qui court...." Puis,  s'adressant au père du marié, il cria joyeusement:
" Ce qui importe, ce n'est pas de savoir ce qu'on va faire du roi, c'est de savoir si les vignes ne pâtiront pas des gelées...page 52
 Quelqu'un chantait:
Dans les yeux des mariés
deux étoiles brillaient;
elle est la fleur de l'armoise,
 il est la fleur du romarin"
 
"Vive le Paco du  Moulin
et Agueda la belle,
hier, ils n'étaient que fiancés,
maintenant, ils sont mariés."
 
Sept ans plus tard, assis dans le vieux fauteuil de la sacristie, Mosen Millan  se rappelait la noce. Il n'ouvrait pas  les yeux pour éviter  d'avoir à adresser la parole à don Valeriano, le maire.  Il lui  avait toujours été difficile de s'entendre avec lui car cet homme  n'écoutait jamais....
Mosen Millan  semblait très fatigué , et il ferma  de nouveau les yeux, appuyant sa tête contre le mur. A ce  moment, l'enfant de chœur entra et don Gumersindo l'interrogea:
-  Hé, petit, tu sais pour qui  est la messe d'aujourd'hui?
L'enfant, en guise  de réponse, dit le romance:
Ils l'emmenèrent par la colline,
sur  la route du cimetière....
- Ne dis pas tout petit, le maire est ici, il va t'emmener en prison...
....Le curé ordonna à l'enfant de chœur d'aller voir sur la place s'il y avait des gens qui attendaient pour la messe...le curé voulait éviter que l'enfant de chœur ne dit le morceau du romance qui parlait de lui:
Et celui qui l'avait baptisé
qu'on appelle Mosen Millan,
le confessant du fond de la voiture,
écoutait ses péchés.
Don Gumersindo parlait toujours  de sa propre bonté - comme on dit -  et des malheureux qui rendaient le mal pour le bien. page 59
 
Tout à coup, on apprit que  le roi avait fui l'Espagne. la nouvelle fut terrible pour don Valeriano et pour le curé...Mosen Milan resta quinze jours sans  sortir de sa cure, allant à l'église par le jardin et évitant  de parler à qui que ce fût. Le premier dimanche, il y eut beaucoup de monde à la messe, on attendait  la réaction de Mosen Millan. Mais le curé ne fit pas la moindre allusion. A la suite de quoi, le temple fut complètement vide le dimanche suivant.  
Paco recherchait le cordonnier  et il le trouvait taciturne  et réservé. page 63
 
A Madrid, on supprima les droits seigneuriaux , d'origine médiévale et on les intégra  dans les municipalités. page 64
 
il ( l'enfant de chœur)  se rappelait toujours le romance:
 A quatre ils l'emmenaient,
à travers le cimetière.
Mères, vous qui avez des fils,
que Dieu vous les garde,
et que leur saint ange gardien....
Ensuite, le romance parlait d'autres  accusés, morts eux aussi à ce moment-là, mais l'enfant de chœur ne retrouvait pas leurs noms. Tous, ils avaient été assassinés ces jours-là.. A vrai dire, le romance ne disait pas cela, mais qu'ils avaient été exécutés. page 69
A cette époque, le cordonnier était nerveux, désorienté....Le cordonnier avait passé sa vie  à attendre cela et, en le voyant arriver,  il ne savait  que penser, ni que faire. page 71
Un groupe de jeunes gens arriva au village, des fils de bonne famille avec des bâtons et des pistolets...Jamais on n'avait vu des  gens aussi effrontés...La première chose qu'ils firent  fut de passer une formidable raclée au cordonnier....Puis ils abattirent six paysans....Et ils laissèrent leurs corps dans les fossés de la route.
Le lendemain du jour où Jéronima s'était moquée du cordonnier, on le trouva sur le chemin du carasol, la tête fracassée..page 74
Quatre autres cadavres avaient été abandonnés entre le bourg et le carasol, quatre conseillers.  page 75
Elle avait entendu dire que les petits messieurs  allaient tuer tous ceux  qui avaient  voté contre le roi.....Elle essaya de savoir  ce qu'était devenu le Paco du Moulin. page 76
Mose Millan  don na l'impression de savoir où Paco était caché...L'ironie  de la vie voulut que le père de Paco tombât dans le piège.  page 77
Dans le courant de la conversation,  le père de Paco révéla la cachette de son fils...page 78
- Savez - vous où il se cache?  demandèrent tous les quatre en même temps.
Mosen Millan baissa la tête. C'était une affirmation.  cela pouvait être une affirmation. page 81
 
Un an plus tard,  Mosen Milan  se rappelait  ces épisodes comme s'il les avait vécus la veille. page 82
 
Le curé  ajouta: - Je suis venu ici à la seule condition qu'ils ne te fassent rien. C'est à dire qu'ils te fassent passer devant un tribunal, et si tu es coupable de quelque chose, tu iras en prison. Mais rien d'autre.
- Vous en êtes sûr?
- C'est ce que j'ai demandé
....Quelques instants plus tard, ils l'avaient fait sortir des pardinas et ils le poussaient jusqu'au village à coups de crosse et de bourrades. Ils lui avaient  attaché les mains dans le dos. page 88
 
" vous m'avez promis qu'ils allaient m'amener  devant un tribunal et me juger.
- Ils m'ont trompé moi aussi. Que puis-je y faire? ..
 Pourquoi ils me tuent?  Qu'est-ce-que j'ai fait?  Nous, nous n'avons tué personne. Vous savez bien vous que je suis innocent, que nous sommes innocents tous les trois.
- Oui, mon fils. Vous êtes tous innocents, mais que puis-je y faire?  page 90
....Deux hommes prirent Paco par les bras et l'emmenèrent au mur où étaient déjà les autres.
..;La décharge résonna...Les deux autres tombèrent, mais Paco, couvert de sang,  courut vers la voiture.
- Mosen Milan, vous me connaissez , cria-t-il comme fou. .
Le centurion mit son revolver derrière l'oreille de Paco...page 92
 
Il passa dans le chœur et commença la messe. Il n'y avait personne dans l'église, sauf don Valeriano, don  Gumersindo  et M. Castulo....;Et maintenant, je dis, pour son âme,  la messe de requiem   que ses ennemis veulent  payer. page 94, 95
 
 
 

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