samedi, octobre 17, 2009

UN LEOPARD SUR LE GARROT (J. C. Ruffin)

Et voilà qu'à travers ce lent voyage (en Afrique) que nous accomplissions, chaque horizon franchi faisait surgir devant nous de nouveaux peuples, des hommes dissemblables dans toute leur santé. En coupant vers le Golfe de Guinée, nous traversions des zones de peuplement , disposées en bandes horizontales. Ethnies, langues, coutumes, religions, tout changeait en quelques kilomêtres. Touaregs, Haoussas, Peuls, Bambaras, Yorubas, nous écoutions le devisement du monde, selon la formule de Marco Polo. Et pour la première fois, il ne me parlait pas le langage de la souffrance. Moi qui ai étudié l'être humain abstrait, isolé, l'individu, celui qui sert de support à la science médicale, seul et nu au fond d'un lit, je découvrais l'être en société, fortement déterminé par son groupe, relié aux autres dans l'enceinte de la maison, la clôture du village, le territoire de la tribu, les frontières de la nation. page 133
Et, confusément encore, je compris que je voulais , moi aussi, avoir affaire à tout l'homme...L'être humain qui m'intéressait était celui qui vivait en société, interagissait avec les autres, capable, certes de maladie mais aussi de génie créateur, de révolte, de courage, de foi, de partage et d'affrontement....Je ne serais pas le médecin d'un organe ou d'une maladie. je serais le médecin du tout. page 134
Mais le plus grand mérite de cette mission sans gloire (faire en sorte que Médecins sans Frontière n'existe pas aux USA) fut de m'ouvrir les yeux sur la véritable nature de l'action humanitaire. J'étais venu avec mon idéal, un peu flottant , un peu naïf. Voilà qu'à l'épreuve de l'action, je découvrais autre chose: une guerre de clans, un domaine hautement politique, les jeux d'intérêts et de pouvoir. Mieux valait le savoir tout de suite. page 173
"L'humanitaire est la poursuite de la diplomatie par d'autres moyens que la guerre". (Clausewitz)

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