mardi, novembre 24, 2009

LE CRI DES OISEAUX FOUS ( Dany Laferrière)

"Nous sommes près d'une dizaine de personnes à bouillir littéralement dans cette cuve montée sur quatre roues. Taxi déglingué...Les gens causent, comme toujours, des mêmes problèmes dans tous les taxis de Port-Au-Prince. Le prix exorbitant du riz, le prix élevé des médicaments périmés, le prix incroyable du loyer, le prix absurde de l'électricité. Prix, prix, prix, prix. L'argent, l'argent, l'argent, l'argent. Le chômage, le chômage, le chômage. Quelle vie! Personne ne dit un mot sur la grève de Ciment d'Haïti. Ce serait dangereux d'en parler avec des inconnus. La presse en parle très peu, d'ailleurs. page 23
(L'auteur répète une pièce de Musset)...C'est un univers très raffiné.De plus, Musset, c'est la France. Je suis imbibé de culture française: raffinée, élégante, luxueuse, bien que la France ne soit pas bien vue en Haïti depuis quelques temps. La nouvelle génération veut retrouver ses racines. "Le français est un carcan pour nous, disent mes copains.. C'est une langue qui ne sert qu'à grimper l'échelle sociale. On parle français pour faire savoir à notre vis-à-vis qu'on n'est pas n'importe qui. Maintenant, on veut autre chose d'une langue. Un rapport différent. Plus authentique." Authenticité, le mot est lâché. Auparavant, le français ne servait qu'à montrer qu'on était allé à l'école, qu'on avait été formé par une culture universelle, qu'on était quelqu'un de civilisé. Maintenat, on veut autre chose. Quelque chose de plus proche de nous. On veut aussi se retrouver entre nous dans une émotion vraie. On veut retrouver nos racines, notre culture et d'abord, notre langue. C'est le débat de ma génération. Alors, Musset et sa musique si française, ne conviennent plus. page 38
(Son ami Gasner a été tué par les tontons macoutes) La mort met-t-elle un terme au mouvement perpétuel? Elle entraîne peut-être vers autre chose. Le voyage immobile. page 88
L'Haïtien est vaudouisant dans l'âme, catholique dans le coeur et franc-maçon dans l'esprit...Je ne rêve pas d'un autre monde. Je rêve dans ce monde. Le seul que j'aie. pages 104, 105
Toute tragédie n'est pas forcémént personnelle, même quand elle devient un drame collectif? Antigone, c'est d'abord le drame personnel d'une jeune femme du nom d'Antigone. Quand un tonton macoute vous pourchasse avec un 38 à cause de vos opinions, est-ce un tragédie personnelle ou une tragédie nationale? Qui est le plus en danger dans une telle situation, vous ou votre pays? C'est le genre de devinettes qu'on vous pose dans les pays pauvres. Le Sphinx, dans ce cas-là, c'est le dictateur. Voilà une situation détestable: votre mort ne vous appartient pas...L'Etat arrête, interroge, emprisonne, torture, fusille. En ligne droite. page 116
La moitié des gens qui habitent cette ville pensent qu'ils ont un destin national, et qu'ils ont mission de changer ce pays. L'autre moitié, armée jusqu'aux dents refuse qu'on y apporte le moindre changement. Une bonne partie des membres du premier groupe finissent avec une balle dans la nuque (la nuque des femmes est le centre du désir tandis que celle des hommes attire la mort.)119
(les discussions dans le bus): Pour eux (les passagers), le monstre est toujours celui qui passe à côté d'un homme en grande difficulté sans tenter de le secourir. page 121
La mort de Gasner m'a transfiguré....Je suis désormais décidé à prendre ma vie en main, à plonger les yeux ouverts dans les eaux les plus tumultueuses. Décidé à jouer le tout pour le tout. C'est cette nuit ou jamais. Je le sens. Je le sais. Un sang neuf coule dans mes veines. page 133
Celui qui voyage ne revient jamais. Car si jamais il revient, tout aura changé. Il ne reconnaîtra rien de ce qu'il avait laissé.Et lui-même, il ne sera plus le même. page 175
La même culture produit les mêmes hommes. La dictature a surtout touché la culture de l'homme. Les femmes ont continué, à quelques exceptions près, à faire ce qu'elles ont fait de tout temps: s'occuper de l'éducation, de la santé, de la maison et de tout ce qui regarde la vie quotidienne. D'ailleurs, j'ai toujours pensé que c'est par la vie quotidienne, que passerait la seule révolution possible, donc que ce sont les femmes qui détiennent les clés du véritable changement social. page 187
La ligne droite n'existe qu'en géométrie.La vie est une ligne brisée.Tout en zigzags. page 191
Un intellectuel, c'est quelqu'un qui est prêt à risquer sa vie pour sa réflexion parce qu'il la croit juste, scientifique...Un intellectuel , c'est quelqu'un qui essaie sa théorie d'abord sur lui-même. Donc, c'est un être courageux. page 234
'(L'auteur prend l'avion pour fuir ceux qui veulent le tuer) Je n'appartiens plus au monde de la dictature. Je suis dans un autre univers. Sous la protection d'un dieu puissant. les dieux du vaudou ne voyagent pas dans le Nord. Ils sont trop frileux. Je serai donc seul pour affronter ce nouveau monde. Comme ça, du jour au lendemain. Un univers avec ses codes, ses symboles. Une ville nouvelle à connaître par coeur. sans guide, ni dieu.Les dieux ne m'acccompagneront pas. L'ancien monde ne pourra m'être d'aucun secours. Au contraire, il me faut tout oublier de mes dieux, de mes monstres, de mes amis, de mes amours, de mes gloires passées, de mon éternel été, de mes fruits tropicaux, de mes cieux, de ma flore, de ma faune, de mes goûts, de mes appétits, de mes désirs, de tout ce qui a fait jusqu'à maintenant ma vie et non sombrer dans la nostalgie du passé ( ce présent que je vis encore et qui deviendra passé dans moins de trente secondes, au moment où l'avion quittera le sol d'Haïti.) Et Montréal ne m'attend pas. page 344

Aucun commentaire: