mercredi, octobre 17, 2018

NO HOME (Yaa Gyasi)

Deux sœurs à la destinée bouleversante.
Trois siècles d'histoire.
 
XVIIIè siècle, au plus fort de la traite des esclaves, Effia et Esi naissent de la même mère, dans deux villages rivaux  du Ghana. La sublime Effia est mariée de force à un Anglais, le capitaine du Fort de cape Coast. Leur chambre surplombe les cachots où sont enfermés les captifs qui deviendront esclaves, une fois l'océan traversé. Effia ignore que sa soeur Esi y est emprisonnée avant d'être expédiée en Amérique où des champs de coton jusqu'à Harlem, ses enfants et petits-enfants seront inlassablement jugés pour la couleur de leur peau. La descendance D'Effia, métissée et éduquée, connaît une autre forme de souffrance: perpétuer sur place le commerce triangulaire familial puis survivre dans un pays meurtri pour des générations.
 
"Baaba, demanda-t-elle, pourquoi Adwoa (une jeune fille du village) va se marier avec cet homme?
- Parce que sa mère l'a dit.
Quelques semaines plus tard, l'homme blanc revint pour présenter ses respects à la mère d'Adwoa, et Effia ainsi que tous les villageois se rassemblèrent pour voir ce qu'il allait offrir. Il y avait le prix de la mariée qui était de quinze livres. Il y avait les cadeaux venus du fort, transportés sur le dos des Ashantis.  Cobbe ( le père d'Effia) laissa Effia se tenir derrière lui et observer  l'entrée  des serviteurs chargés d'étoffes, de millet, d'or et de fer.  page 17
 
"Nous travaillons avec les Anglais , Effia, pas pour eux. C'est le principe du commerce. page 19
 
"Abeeku ( le chef du village) a fait alliance avec un des plus puissants villages ashanis. Nous allons les aider à vendre des esclaves aux Anglais."
C'est ainsi que les hommes blancs vinrent dans leur village . Gras , maigres, rouges ou hâlés, ils arrivèrent en uniforme, l'épée au côté, le regard oblique, plus que jamais méfiants. Ils vinrent chercher les marchandises qu'Abeeku leur avait promises. page 26
 
"Plus belle femme n'a jamais vu le jour" dit-il finalement ( Abeeku qui se tint face à Effia) page 30
 
(Effia a été mariée à James, un Anglais,  au fort et elle le visite avec lui.)
Elle voulut s'arrêter  avant que James la conduise à son escalier privé et appuya sa tête contre un des canons. Elle sentit alors un courant d'air sous ses pieds , sortant de petits trous percés dans le sol.
 "Qu'est-ce qu'il y a en dessous demanda-t-elle à  James. Un mot lui parvint.
"Cargaison".
Puis, apporté par le même courant d'air, sortit un faible bruit de pleurs.  Si faible qu'Effia crut l'avoir imaginé avant de se baisser et de poser l'oreille contre la grille.
"James, il y a des gens en bas? demanda-t-elle.
James s'approcha vivement et la souleva du sol. Il la prit par les épaules et la fixa droit dans les yeux.
"Oui". dit-il calmement  dans un fanti plus assuré. page 32

Effia ne comprenait pas ce besoin d'appeler une chose "bonne"  et une autre "mauvaise", celle-ci "blanche" et cette autre "noire". dans son village, chaque chose était un tout. Chaque chose pesait le poids de tout. page 41

Esi était enfermée dans le cachot des femmes du fort de Cape Coast depuis deux semaines. Elle y avait passé l'anniversaire de ses quinze ans. page 47
 
(Dans les sous sols du fort) Les murs de terre étouffaient le temps.  La lumière du soleil ne pénétrait pas.  On ne voyait ni jour, ni nuit. Il y avait tant de corps entassés dans le cachot des femmes qu'elles devaient se coucher à plat ventre, pour que d'autres puissent être empilées au-dessus d'elles. page 50
 
Elle apprit  à diviser son existence entre "Avant le fort " et  "Aujourd'hui".  Avant le fort, elle était la fille du Grand Homme et de sa troisième femme, Maame.  Aujourd'hui, elle n'était que poussière. Avant le fort, elle était la plus jolie fille du village. Aujourd'hui, elle n'est rien. page 51
 
"Tu veux savoir ce qu'est la faiblesse?  C'est de traiter quelqu'un comme s'il t'appartenait. La force est de  savoir  qu'il n'appartient qu'à lui- même". ( Maame à sa fille, Effia) page 61
 
Elle se souviendra ( Esi) que lorsque les hommes blancs souriaient, cela signifiait seulement que d'autres malheurs étaient à venir. page 76
 
Chaque fois qu'il voyait ( Quey, le fils de Effia et de James) les bomboys partir avec une  pirogue remplie d'esclaves, il pensait à son père attendant au fort de cape Coast, prêt à les recevoir.  En observant la pirogue s'éloigner,  Quey était rempli  de la même honte qu'à chaque départ d'esclaves. Qu'avait ressenti son père sur la même rive?  James était mort  peu de temps après l'arrivée  de Quey à Londres. La traversée avait  été inconfortable, pour ne pas dire épouvantable.... Sur le bateau, une seule pensée occupait son esprit: le sort que réservait son père aux esclaves. C'était donc ainsi  que son père traitait les problèmes: les mettre sur un bateau, les pousser au large. page 93
 
"Tu es resté  en Angleterre trop longtemps; Quey. Peut-être as-tu oublié  qu'ici, les mères, les soeurs et les fils sont ce qui compte le plus. Si tu es  chef,  le fils de ta sœur est ton successeur  parce que ta sœur est née de ta mère, mais pas ton épouse. Le fils de ta sœur est même plus important pour toi que ton fils. page 101
 
Quand on avait vendu Ness en 1796, les lèvres d' Esi s'étaient figées en une ligne mince. Ness se souvenait d'avoir  tendu les mains vers elle, agité les bras et les jambes, tentant de repousser le corps de l'homme qui était venu l'emmener. page 104
 
James savait aujourd'hui, comme alors, que ses parents ne s'étaient jamais aimés. c'était un  mariage de convenance; le devoir les maintenait ensemble, même si cela semblait à peine suffisant. page 130
 
"Rien n'est jamais assez pour cette femme, dit Quey.
- C'est  ce qui arrive quand on se marie pour le pouvoir au lieu de se marier  par amour. " Pge 132
 
Les Anglais ne vendaient plus d'esclaves en Amérique, mais l'esclavage n'avait pas pris fin, et  son père ( de James)  ne croyait pas qu'il finirait un jour. Ils troqueraient simplement  une sorte de chaînes pour une autre, changeraient les chaînes réelles qui encerclaient les poignets et chevilles pour d'autres invisibles qui  enchaînaient les esprits. James ne l'avait pas compris quand il était plus jeune, quand le commerce des esclaves avait pris fin et que l'illégal avait commencé mais il comprenait aujourd'hui.  Les Anglais n'avaient pas l'intention de quitter l'Afrique, même après l'abolition  de la traite des Noirs. page 134

" Pourquoi tu as refusé de me serrer la main  aux funérailles du roi?
- Je te l'ai dit. Je ne serre pas la main d'un négrier fanti.
- Et je suis un négrier? demanda James...page 140

Cela faisait trop longtemps qu'il ne s'était pas promené dans Baltimore, qu'il n'avait pas savouré la fraîcheur de la brise de mer, ne s'était pas réjoui de voir des Noirs , certains  esclaves , mais d'autres aussi libres qu'il était possible, travailler, vivre, jouer autour de lui. Jo avait été esclave  jadis. page 158
 
"Si la Californie rejoint l'Union comme Etat libre, le président Taylor aura les mains pleines de sécessionnistes du Sud.
- Et le Maryland sera pris au milieu, dit une autre voix.
- C'est pourquoi nous devons tout faire pour nous assurer que le plus d'esclaves possibles soient émancipés à Baltimore." Page 161
 
"Le dieu de l'homme blanc est comme l'homme blanc. Il pense qu'il est le seul dieu, juste comme l'homme blanc pense qu'il est le seul homme." page 173
 
"Je vais vous dire, c'est mauvais signe. Un des Etats du Sud fait sécession et les autres suivront. On peut pas appeler les Etats-Unis d'Amérique si la moitié des Etats foutent le camp. Ecoutez-moi bien , il y aura la guerre. page 186
 
"Mon père était un marchand d'esclaves, un homme très riche. J'ai décidé de quitter le pays fanti, parce que je ne voulais pas participer à l'activité de ma famille. Je voulais travailler pour mon propre compte...Je suis heureux de posséder cette terre et de ne pas continuer la tâche honteuse de ma famille" page 123
 
Au lever du jour, le lendemain, par une chaleur torride  de juillet en 1880,  H.  avait été enchaîné à dix autres hommes et vendu  par l'Etat d'Alabama pour travailler dans des mines de charbon non loin de Birmingham. page 220
 
 
 
"Ecoute , Marjorie, je vais te dire une chose que peut-être personne ne t'a dite jusqu'alors. Ici, dans ce pays, les Blancs qui gouvernent ne se préoccupent pas de savoir d'où tu viens. Tu es ici, à présent  et ici, le noir est noir et sera toujours  noir" page 374

(Marcus) Il ne se rappelait pas exactement quand lui était venu le besoin d'étudier et de connaître sa famille plus intimement. page 394

Commet expliquer à Marjorie que ce qu'il voulait capter avec son projet était la sensation du temps, l'impression d'être une part de quelque chose qui remontait si loin en arrière, qui était si désespérément vaste qu'il était facile d'oublier qu'elle , lui, chacun d'entre nous,  en faisait partie - non par isolement, mais fondamentalement.
(Les ancêtres de Marcus)  Ils avaient tous fait partie de leur temps et, en marchant dans Birmingham, aujourd'hui, Marcus était une somme de ces époques. C'était là son sujet. page 402

(Marcus et Marjorie , l'un descendant  d'Effia et l'autre d'Esi sont venus  en visite au Ghana. Il sont arrivés au fort de cape Coast ) Près de lui, Marjorie se balançait  d'un pied sur l'autre, et Marcus essayait de ne pas la regarder.  C'était ainsi que la plupart des gens passaient leur existence , aux niveaux supérieurs, sans jeter  un regard en dessous d'eux.
Et c'est là qu'ils descendirent. En bas. Dans le ventre de cette bête échouée. Là où stagnait une crasse qui n'avait pu être éliminée....Il n'y avait pas de fenêtres. Il n'y avait pas d'air.
"Ici, c'est le cachot des femmes, dit finalement le guide,  en les conduisant dans une salle où flottait encore une odeur indéfinissable.....Et de là, ils les faisaient sortir par cette porte"...Au-dessus, il y avait  une inscription, Porte du voyage sans retour.. "Cette porte mène à la plage , où les bateaux attendaient pour les emmener. "
Les. Les. toujours les. Personne ne les appelait par leurs noms. Le groupe était silencieux. Ils étaient tous immobiles, ils attendaient. Quoi? Marcus l'ignorait. page 406

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