mercredi, août 07, 2013

DOJNAA (Galsan Tschinag)

"Galsan Tschinag s'est imposé définitivement comme le chantre des steppes de Mongolie. Ces immensités du bout du monde s'éclairent aujourd'hui d'un regard nouveau : celui d'une femme. A travers ce personnage de Dojnaa, fille d'un lutteur de légende, il s'agit ici autant de dépeindre la condition féminine dans une société traditionnelle que de faire le portrait d'un être résolu à en découdre avec l'existence: supporter les médisances suite au départ de son mari, élever seule ses enfants, repousser une tentative de viol ou traquer un loup.
Un roman conçu par Galsan Tschinag comme un hommage " à la femme nomade qui porte sur ses épaules le destin d'un monde  en train de  disparaître"."

Il (son mari) se sentit ragaillardi qu'il se jura d'en faire profiter la fille de l'Eléphant. Cela signifiait en clair  qu'il avait l'intention de s'en prendre  à elle tôt ou tard, d'avoir sa peau, misérable, nue et palpitante; il l'atteindrait dans sa fierté majestueuse et la convaincrait  de sa virilité, il la briserait comme tant d'autres femmes. page 19

La jeune femme était faite d'une étoffe plus rude et plus résistante que Doormak (son mari), ce qu'elle avait à l'intérieur d'elle-même correspondait aussi à son aspect extérieur, il n'existait pas de différence. S'il y avait du thé, elle buvait du thé. S'il n'y en avait pas, elle se contentait d'eau. S'il n'y en avait pas à cause du gel, elle se fourrait une poignée de neige ou un morceau de glace dans la bouche. Et si elle n'avait pas  sous la main ni neige , ni glace, elle mordait  la soif pour la  réduire au silence. Il en allait de même pour la faim...Il en allait de même pour le chaud et le froid. page 27

...C'était justement ce qu'il( Doormak) voulait, après avoir bien réfléchi. Ce devait être une punition qu'il lui infligeait et s'infligeait à lui-même, à cause de leur première nuit indigente. Au moment où, cette fois sans rien demander, elle vint le rejoindre au lit, il sentit que sa crainte avait à peine diminué, il perçut son attente suivie enfin de désarroi qu'il interpréta toutefois comme de la déception. Il se régala de tout cela et son visage arborait un large sourire. Il tendait l'oreille, épiant sa respiration, les battements de son cœur et les pulsations de ses artères.  Il fallait aussi se dominer. Sentir à ses côtés ce corps odorant, brulant, palpitant, ce corps rebondi  de femme, et y renoncer  ne lui fut pas facile. page 42

...Ainsi commença-t-il  à découvrir en elle de plus en plus de raisons de la supporter, voire de la désirer. Elle était silencieuse,  altruiste, infatigable. Et fiable. Tel était son être profond. Quant à l'enveloppe qui l'entourait, ce maudit corps, il n'était en réalité pas si mal: ni difforme, ni bancal. page 47

Elle était auprès de l'homme qu'elle appelait "cœur dur"," tête pleine d'eau," , "monstre" mais aussi "son seul et unique" au creux duquel  elle voulait se tapir pour se protéger du fou furieux. page 63

(son mari est parti après avoir voulu battre les enfants après sa femme) Elle se rendait compte qu'elle s'était habituée à la présence d'un homme, à la vie de couple. Et cette communauté désormais lui manquait; chaque jour et chaque nuit lui étaient  de plus en plus insupportables dans cette yourte privée de son chef. Il pouvait se soûler tous les jours, la questionner toutes les nuits et la traiter à sa guise.  Si ses poings n'étaient pas assez forts, eh bien , qu'il prenne des pierres. Mais qu'il revienne! Qu'il rentre chez lui et les rende heureux par sa seule présence, elle , son épouse, et ses enfants. Que ce couple dont une moitié était absente redevienne enfin un tout.  page 77

Un jour, lorsqu'ils vivaient encore ensemble, il lui avait fallu abattre un loup depuis le seuil de sa yourte où elle se tenait une fois de plus avec un gros ventre. Elle avait dû faire partir le coup avec une arme qui ne lui était pas familière, une carabine...On la félicita chaudement. Seul, son mari se contenta de ricaner. page 87

Ce fut de nouveau la plus âgée (une tante, sans enfants) qui prit la parole. La plus jeune écouta avec calme et sans répliquer les paroles suivantes: observe un troupeau de chevaux. Une douzaine de juments pour un seul étalon, et pourtant, tous ont l'air satisfaits. Nous arriverons bien à nous entendre toutes les  deux avec le nôtre. Il est vieux, c'est vrai, mais il est bon, je te le dis, moi qui ai vu ma jeunesse s'enfuir auprès de lui. il a été si bon que malgré  ce qui nous a fait cruellement défaut , je n'ai jamais pu renoncer à lui, ma fille. Tu as vu juste, il y a en lui une sagesse croissante, mais aussi un reste de flamme. Encore un mot: si notre troupeau vient à s'accroître, nous saurons l'accepter et toutes deux,  nous veillerons sur ses deux flancs, nous serons de bonnes mères , aussi bien l'une que l'autre. page 118

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