lundi, août 05, 2013

LA RIVALE (Elisabeth Eberhardt)

"Russe par ses origines, née en Suisse en 1877, Elisabeth Eberhardt part à vingt ans à la découverte de l'Afrique du Nord. Vêtue comme un cavalier, plus connue sous le nom de  Mahmoud Saadi, elle se convertit à la religion musulmane. Au cours de ses périples en Algérie et en Tunisie qui la conduiront  à rencontrer Lyautey, elle n'aura de cesse  que  décrire  ce qu'elle a vu  et nous faire vivre le frisson mélancolique et charmé qu'elle ressent en face des splendeurs du Sahara.
Emportée par une crue d'un oued, elle meurt  en 1904 à l' âge de vingt-quatre ans."

Ce livre de 222 pages est un  récit de six nouvelles.
Quand Yamina rentra , sa mère lui annonça qu'on allait la marier à Mohammed Elaour, cafetier à Batna. D'abord, Yasmina pleura , parce que Mohammed était borgne et très laid et parce que c'était si subit et si imprévu , ce mariage...Personne parmi les femmes du douar ne songea à lui demander si elle était contente de ce mariage. On la donnait à Elaour , comme on l'eût donnée  à tout autre musulman. C'était dans l'ordre des choses, et il n'y avait aucune raison d'être contente  outre mesure , ni non plus se désoler. page 25

(Un jeune officier français, Jacques, la voit garder son troupeau et s'approche d'elle)
"Pourquoi as-tu peur de moi? Je ne te ferai pas de mal, dit-il amusé déjà par cette rencontre. Mais elle fuyait l'ennemi de sa race vaincue et elle partit. page 29

Jacques aimait Yasmina, follement, avec toute l'intensité d'un premier amour chez un homme à la fois très sensuel et très rêveur en qui l'amour de la chair se spiritualisait, revêtait  la forme d'une tendresse vraie. page 36

"C'est impossible, disait-elle avec,  dans la voix, une tristesse douloureuse. Toi, tu es un roumi, un kéfer et moi, une musulmane.  Tu sais, c'est haram chez nous, qu'une musulmane prenne un chrétien ou un juif; et pourtant, tu es beau, tu es bon, je t'aime..." page 37

Pour elle, un officier français était un être presque  tout puissant, absolument libre de faire ce qu'il voulait. page 46 (l'officier  est muté)

Yasmina entendait tous les Arabes  des environs, se plaindre d'avoir à payer des impôts écrasants, d'être terrorisés par l'administration militaire,  d'être spoliés de leurs biens. page 54

Elle n'avait commencé à penser, très vaguement, que du jour  où elle avait été aimée...Depuis que Jacques était parti pour l'Oranie lointaine, Yasmina avait beaucoup souffert et son intelligence commençait à s'affirmer.  pages 54, 55
(Yasmina s'est mariée avec le spahi, Abd-El-Kader) Yasmina , toujours triste et silencieuse, passait toutes ses journées à coudre de grossières chemises de toile que Doudja, la vieille tante du spahi, portait  à un marchand  M'zabi.  Quand le spahi n'était pas ivre, il rapportait à sa femme des cadeaux, des chiffons pour sa toilette, voire même des bijoux, des fruits et des gâteaux. Toute sa solde y passait.page 64

Enfin le train s'arrêta pour la dernière fois, la portière s'ouvrit et Tessaadith aperçut le vieillard auquel on l'avait donnée et avec qui elle n'avait pas échangé dix paroles depuis quatre jours  qu'elle était son épouse. (elle voyageait dans un compartiment pour femmes, séparée de son mari). page 91

(Son mari est décédé) Brusquement, en son âme,  la résolution de se faire courtisane, était née. C'était la liberté, l'amour et la richesse. page 97

Le sous-lieutenant Clair  venait de passer  aux spahis par permutation. Il avait une âme virile et sérieuse, mais enthousiaste et jeune.  A vingt-six ans, il  conservait beaucoup d'illusions et le savait.  Toute cette Algérie le grisait, le charmait et au grand scandale de ses camarades et de ses chefs, il était ce qu'on appelle là-bas, un "arabophile". Cependant, perspicace et sincère, il ne dissimulait pas  les défauts et les vices de la race, mais au lieu de souhaiter  comme tant d'autres, son assujettissement complet ou même sa destruction progressive - car il en est de beaucoup qui préconisent le refoulement des indigènes  vers les régions désertiques, l'expropriation en masse,  et beaucoup d'autres mesures aussi oppressives et peu françaises qu'elles sont , heureusement impraticables - le lieutenant  Clair souhaitait  ardemment le relèvement moral et intellectuel de la race vaincue dans l'islam - ce qui était encore une originalité. pages 100, 101

Comme toutes les courtisanes musulmanes, Tessaadith ne gardait pas d'argent en monnaie ou billets: elle convertissait son gain en bijoux, en chaînettes pour la coiffure, en agrafes, en bracelets, en  halhal ( bracelets pour  les chevilles) , en gargerins  d'argent, en colliers  de pièces d'or. page 118

(le major) Tout, dans cette Algérie, avait été une révélation pour lui...une cause  de trouble - presque d'angoisse...En venant ici, par devoir, comme il avait étudié la médecine qui devait faire vivre sa mère  aveugle , ses deux sœurs  et son petit frère frêle,  comme il avait vécu  et pensé jusqu'à lors, il s'était soumis à la nécessité, simplement, sans entraînement, sans attirance pour ce pays qu'il ignorait. Cependant, depuis qu'il avait été désigné, il n'avait voulu rien lire, sans savoir de ce pays où il devait transporter sa vie silencieuse et calme, et son rêve restreint, sans tentatives d'expression, jamais. Il verrait , indépendant, seul, sans subir aucune influence. Dès son arrivée, il avait dû écouter les avertissements de ses nouveaux camarades...Indifférent, il écoutait leurs plaintes et leurs critiques: pas de société, rien à faire, un morne ennui. Un pays sans charme, les Algériens,  brutaux  et uniquement préoccupés du gain, les indigènes répugnants, faux , sauvages, au-dessous de toute critique, ridicules...pages 170,171

Il étudia , consciencieusement, la langue rauque  et chantante  dont, tout de suite, il avait aimé l'accent, dont il avait saisi l'harmonie avec les horizons de feu et de terre pétrifiée...Comme cela, il leur parlerait, à ces hommes qui, les yeux baissés, le cœur farouchement , se levaient soumis et le saluaient au passage. page 176

Tout d'abord, il n'avait pas voulu visiter le pays où, pour dix-huit mois au moins, il était isolé. Du touriste, il n'avait  ni la curiosité, ni la hâte.  Il préférait découvrir les détails lentement,  peu à peu, au hasard de la vie et des promenades. page 180

Jacques avait rêvé du rôle civilisateur de la France, il avait cru  qu'il trouverait dans le ksar des hommes conscients de leur mission, préoccupés d'améliorer ceux qui,  si entièrement, ils administraient...Mais, au contraire,  il s'aperçut vite que le système en vigueur avait pour but  le maintien du statu quo. page 186

"Ecoutez, mon cher docteur! Vous êtes très jeune, tout nouveau dans le métier.  Vous avez besoin d'être conseillé...Vous êtes d'une indulgence  excessive avec ces hommes...Vous êtes beaucoup trop familier  avec eux: vous n'avez pas le souci constant  et nécessaire d'affirmer votre supériorité , votre autorité sur eux. Croyez-moi, ils sont tous les mêmes, ils ont besoin d'être dirigés d'une main de fer.  Votre attitude pourrait même jeter le trouble  dans ces âmes sauvages et fanatiques...Méfiez-vous. page 201

"Oui, enfin, je pars avec la conviction très nette  et désormais inébranlable de la fausseté absolue  et du danger  croissant que fait courir à la cause française votre système d'administration." (Jacques au capitaine )page 218

Jacques souffrait. Résigné, il s'en allait, car il sentait bien incapable de recommencer ici une autre vie, banale et vide de sens...Il ne ressemblait pas aux autres, et ne voulait pas courber la tête sous le joug  de leur tyrannique médiocrité. page 221



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