mercredi, septembre 29, 2021

TOUT CE QU'ON NE TE DIRA PAS, MONGO. Dany LAFERRIERE 2020

 Dany Laferrière nous propose un dialogue entre l'homme mûr vivant au Québec et un jeune immigré , Mongo.

 Un après-midi d'été, l'écrivain croise sur la rue Saint-Denis, un jeune homme, Mongo, qui vient de débarquer à Montréal. Il lui rappelle cet autre jeune homme arrivé dans la même ville en 1976. Le même désarroi et la même détermination. Mongo demande:" Comment faire pour s'insérer dans cette nouvelle société?" Ils entrent dans un café et la conversation débute comme dans un roman de Diderot.  C'est ce ton léger et grave que le lecteur reconnaît dès le début d'un livre de Laferrière: " Tout nouveau-né est un immigré qui doit apprendre pour survivre les codes sociaux. Unr société ne livre ses mystères qu'à ceux qui cherchent  à la comprendre, et personne n'échappe à cette règle implacable, qu'on soit du pays  ou non". Au  jeune Mongo, Laferrière raconte quarante années de vie. Une longue lettre d'amour au Québec. 

Il m'arrive d'écrire sans penser à ce que j'écris. je suis une caméra. Je balaie l'espace. Cela m'a pris beaucoup de temps avant d'arriver à cette simplicité. Avant, je croyais que les choses, comme les êtres, ne se révélaient que dans leur profondeur . En fait, tout se passe à la surface. page 10

Quand on quitte son pays, on ignore qu'on ne reviendra plus. Il n'y a pas de retour possible, car tout change tout le temps. Les lieux, les gens, les usages. Même notre façon d'appréhender la vie. Si on ne change pas, les autres, eux, changent, et de cette manière nous changent. Perpétuel mouvement. Mais on ne sait pas ce que le temps fera de nous.  page 13

Chaque individu qui arrive ici croit que sa présence aura une influence , si minime soit-elle, sur le cours des choses. Il ne sait pas qu'il faudra toute une vie pour qu'on l'appelle par son nom. On ne verra en lui qu'un immigré. Comment avoir un impact sur une société quand on  n'est même pas nommé? page 14

L'année est divisée, au Nord, en saisons. ...Au Sud, on n e regarde le ciel que s'il va pleuvoir. C'est simple: il fait beau ou il pleut. ....Alors, qu'au Nord, la vie est rythmée par des saisons très contrastées où tout se joue. pages 18, 19..En Haïti, les pauvres prient le matin pour que la vie soit douce, ici, on s'informe de la température pour la même raison. page 20

La question la plus brûlante ici, est  celle de la langue. Elle s'accompagne de l'héritage de la colonisation....Je viens d'un pays où l'on s'est battu contre l'hégémonie de la langue française.  pages 22, 23

Pour faire face à la montée de l'islam, on commence à remettre la religion au goût du jour. page 25..Pour sauver la culture québécoise, dans le années 50, l'Eglise avait pris en charge la démographie. Elle a donc mis les femmes au travail, en exigeant d'elles un certain nombre d'enfants. Au-delà du raisonnable. ...Les femmes ont hurlé: ça suffit" L'Etat a compris qu'on allait manquer de lait, d'écoles....et il ordonné d'arrêter la machine à bébés. page 26

L'immigration, c'est la seule chance de renouveau d'une société démographique épuisée. page 32

La parole a deux sources: le père et la mère. Je dis le père et la mère, car à cette époque, ( 1950)l'homme et la femme n'existaient pas encore. Un homme était un religieux ou un mari. La société ne voyait en eux que des agents de la reproduction. page 41

(Mongo) "Ils me font pitié, tous ces gens avec une  montre au bras. On est en train de causer et après cinq minutes, ils se mettent à regarder leur montre. C'est ça la civilisation: se faire régler par une montre." page 47

On ne comprend pas un pays, même si on y est né, si on ne l'a pas étudié. Ce n'est qu'en écrivant à Mongo que je réalise que j'avais compris beaucoup de choses de travers. page 56

La famine peut pousser tout un peuple à vouloir vivre dans un nouvel espace. L'identité aussi. On rêve d'une dérive des continents pour sauver des identités fixes.  page 59

Les gens qui aiment lire sont jaloux de leur liberté.  page 63

De religion québécoise: on n'est plus religieux depuis la Révolution tranquille, mais dès qu'une autre religion s'approche, on devient catholique radical.  page 100

Je préfère les livres à la littérature. page 115

En Haïti, on est passé d'une monoculture catholique, avec le vaudou en arrière-plan, à un trop plein religieux. Les églises protestantes, à cause de leur caractère populaire, se sont vote multipliées dans le pays. La misère exaltant la foi, on finit par croire qu'aucune solution humaine n'est envisageable. On attend alors ce messie capable de sauver le pays. Si ce n'est Duvalier, ce sera Aristide...page 125

Je crois que la vie humaine mérite ce geste simple qui consiste à enjamber  la fenêtre pour tomber dans un autre monde. Tout homme y a droit au moins une fois dans sa vie, même si cette cavale ne dure qu'un mois.  C'est suffisant pour trouver sa dignité. page 126

Moi, je travaille en ce moment. Je suis payé pour observer les gens et leur remettre sous les yeux des choses qu'ils croient naturelles et qui ne sont que des habitudes particulières à une société donnée. C'est ainsi qu'on devient intolérant quand on pense que notre comportement est juste et universel. Alors qu'il est le fruit d'une dure adaptation faite de compromis constants. page 142

Un Français, c'est quelqu'un qui accueille dans sa langue tous les mots anglais qu'on refuse ici (au Québec) page 161

Morale de l'histoire: quand vous jetez à la porte une il y a au moins, cinq autres  qui rentrent par la fenêtre. page 169

On quitte souvent quelqu'un par peur de la routine. page 179 ...Quand des gens de cultures différentes se retrouvent  dans une certaine intimité, il y a toutes sortes d'attractions possibles: le coeur, le sexe et l'esprit. C'est ce qui rend  la chose la plus excitante, sinon les gens se contenteraient de rester dans leur culture. page 181

Les enfants.....sont capables  d'apprendre, en moins de quatre ans, une langue étrangère, sans accent.  Cette langue qu'on appelle si joliment langue maternelle alors qu'il s'agit  de celle de la communauté . page 192

Remarquez, il y a toutes sortes de ghettos. Le ghetto des riches qui se trouve forcément dans un quartier bourgeois où les résidents ont les mêmes préoccupations, ou le ghetto d'intellectuels où les discussions sont souvent orientées vers une conclusion où tout est réglé. Tous les endroits où s'agglutinent des gens de même culture et de mêmes intérêts des ghettos page 195....Si on séjourne trop longtemps dans un ghetto de riches, de Noirs ou d'intellectuels, on risque de s'encroûter. Cette chaleur humaine risque de ramollir l'esprit. page 196

Notre vision de nous-mêmes est une mythologie partiale et subjective. C'est notre monologue. page 200...On n'aime pas les gens qui cherchent à remplacer la coutume de l'autre pour la remplacer par le leur.    page 200

On accorde beaucoup d'importance au regard. Si vous ne regardez pas la personne à qui vous vous adressez, c'est que vous êtes en train de mentir. Vous êtes un fuyant.  Alors que dans certaines cultures du Sud, c'est manquer de respect à quelqu'un de plus âgé ou de plus important dans la hiérarchie sociale que de le regarder dans les yeux. Une attitude  considérée souvent comme agressive  dans ces contrées chaudes. page 209

Si vous êtes un intellectuel, pourquoi toujours citer les écrivains d'ailleurs quand vous êtes ici?  Comme partout, on aime ici, ceux qui se donnent la peine de s'intéresser à la culture du pays. C'est la moindre des choses. page 212

Danger! On peut parler de politique internationale si on veut. Toujours dans un sens humaniste. Contre l'exploitation, la justice.  Contre les dictateurs, pour lez peuples. restez dans le vague. Quant à la politique nationale, ne jamais dire ce qu'on pense vraiment avant de savoir dans quel groupe on se trouve. page 221..Le cimetière dévoile tout.  C'est le grand roman d'une société. C'est là qu'on enfouit les secrets, croyant naïvement qu'ils sont, comme les humains, biodégradables Après un certain temps, ces secrets remontent à la surface...Historiquement , le Québec est vierge. Sauf par rapport aux Amérindiens. Mais c'est tabou. page 229

Ce qui est encore bien avec le mot paysan, c'est qu'il est universel. Partout, on trouve des paysans. C'est un peuple. Ils défendent la même chose :la terre et les bêtes. ...Ils vivent loin de l'abstraction. la terre les pénètre de partout; Ils ont l'accent et l'odeur. Ce sont des paysans. page 236....C' est terrible de ne pas bien connaitre^ sa langue maternelle. C'est un handicap comme la perte d'un membre. ..;On se méfie de celui qui parle bien- beau parleur....La langue, c'est le bien le plus précieux d'un peuple, car elle appartient aux riches comme aux pauvres, mais surtout à celui qui en prend soin. page 245

....C'est cela, le plaisir de la lecture: se retrouver dans la vie de l'autre sans perdre sa lucidité. La littérature est là pour dire que nous ressentons les choses de la même manière quels que soient les climats, les paysages, les classes, les races, les sexes et les religions.  L'émotion pure est interchangeable. et unique après tout. page 248

ON ne gagne jamais seul. Toujours partager la victoire. Alors que dans d'autres cultures, c'est parfois différent. On aime applaudir le surdoué qui fait croire qu'il a agi seul. ..IL n'y a pas ici la notion de génie. On veut s'occuper de tout le monde. Plutôt niveler par le bas plutôt que d'en laisser un seul dans l'ombre. On préfère que la forêt cache l'arbre. page 250

C'était l'hiver. je cherchais une chambre à louer. J'arrivais toujours trop tard. ..Il m'a fallu du temps pour comprendre que c'était un refus poli. Je repassais deux jours plus tard pour voir  toujours à la même place la petite pancarte qui annonçait qu'une chambre était à louer....page 251

Les gens les plus haut placés d'ici ne rêvent que d'être perçus comme quelqu'un d'ordinaire. ...Cet idéal trouve sa source dans l'idée que personne n'est au-dessus d'un autre.  Tous égaux page 252...L'homme ordinaire existe, j'ai lis un certain temps à le repérer. L'homme ordinaire n'a ni réussi, ni échoué. Il a tenu sa vie au milieu de  la route. Une vie tendue comme une corde  de violon. Toujours au milieu, sans  excès, afin de passer pour invisible. page 253

Etre noir n'est pas une identité. ON est noir dans le regard de l'autre. Le pire, c'est qu'on finit de construire sa personnalité autour de cette fiction. page 254...Le problème avec la couleur, comme avec l'accent, c'est que votre couleur apparaît dès que vous voyez celle de l'autre. Page 254

La Révolution tranquille a remplacé l'Eglise par l'école. La foi, oubliée. On vivait dans une tranquillité toute laïque quand les premiers musulmans sont arrivés. Et, depuis, tout est chambardé. ...Ce n'est plus l'argent le grand moteur des choses humaines, mais la religion. page 272

On se plaint de la fuite des cerveaux vers les Etats-Unis. On connaît le principe: une meilleure offre. les individus s'achètent et se vendent comme des produits....Les Etats-Unis se taillent la part du lion en attirant chez eux les esprits les mieux formés des autres pays riches. Et les puissances à faible résonance s'entre-dévorent.  page 274

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