mardi, décembre 18, 2007

PAYS SANS CHAPEAU (Dany Laferrière)

Des proverbes haïtiens au début de chaque chapître en créole et en français. En voici quelques-uns.
N'accroche pas ton chapeau là où ta main ne pourrait pas arriver.
Partir ne veut pas dire que tu es arrrivé pour autant.
Ce ne sont pas tous les morts qui voient Dieu.
Avant de grimper à un arbre, assure-toi de pouvoir en descendre.
A trop caresser son enfant, la guenon l'a tué.
N'insulte jamais le caiman avant d'avoir complètement traversé la rivière.
Tant qu'on n'a pas encore la tête tranchée, on peut garder espoir de porter un jour un chapeau.
Tu peux toujours détester le chien, mais tu dois admettre que ses dents sont blanches.

L'odeur
Ce qui frappe d 'abord, c'est cette odeur. La ville pue. Plus d'un million de gens vivent dans une sorte de vase (ce mélange de boue noire, de détritus et de cadavres d'animaux) .Tout cala sous un ciel torride. La sueur. On pisse partout, hommes et bêtes. Les égouts à ciel ouvert. Les gens crachent par terre, presque sur le pied du voisin. Toujours la foule. L'odeur de Port-Au-Prince est devenue si puissante qu'elle élimine tous les autres parfums individuels. Toute tentative personnelle devient impossible dans ces conditions. page 68

Le nez
Autrefois, il était plus facile de distinguer l'origine sociale des gens de cette ville. Juste par le nez. Même s'ils vivaient depuis plusieurs années à Port-Au-Prince, les paysans gardaient encore , collée à leur peau cette odeur végétale. On dirait des arbres qui marchent. Je connaissais une jeune femme qui sentait la cannelle. D'accord, je le concède, le centre ville a toujours senti l'essence. Dans les quartiers populaires-Martissant, carrefour, Bolosse, Bel Air- on utilisait les parfums bon marché comme Florida, Bien-être, My dream. Un peu plus haut,(dans tous les sens du terme), on se servait d'eau de Cologne. Et les dames des quartiers résidentiels se parfumaient au Dior, Nina Ricci, Chanel, Guerlain.
Ma mère pouvait se ruiner pour s'acheter ce qu'elle appelait un bon parfum, chez Biggio. page 68-69
La peau
Cette fine poussière sur la peau que les gens qui circulent dans les rues entre midi et deux heures d e l'après-midi. Cette poussière soulevée par les sandales des marchandes ambulantes, des flâneurs, des chômeurs, des élèves des quartiers populaires, des miséreux, cette poussière danse dans l'air comme un nuage doré avant de se déposer sur le visage des gens. Une sorte de poudre de talc. C'est ainsi que Da me décrivait les gens qui vivaient dans l'au-delà, au pays sans chapeau, exactemnt comme ceux que je croise en ce moment. Décharnés, de longs doigts secs, les yeux très grands dans des visages osseux et surtout cette fine poussière sur presque tout le corps. C'est que la route qui mène à l'au-delà est longue et pousiéreuse. Cette oppressante poussière blanche. page 69
Les Américains
Je remarque d'abord sa nuque puissante, noire, huilée. A peine vingt ans, même pas. Il est en train de palper des oranges. Le corps tranquille. Décontracté. Présent. Partout chez lui. Le voilà qui se retourne, comme au ralenti, me voit et me sourit. Je reste figé. Je suis en présence d'un soldat américain en train de faire calmement ses emplettes, non pas à Beyrouth, Berlin ou Panama, mais à Port-Au-Prince. En treillis de combat. page 186
La pluie
La pluie sur la route qui mène à Pétionville, chez Philippe. Sur le bord du chemin, de jeunes paysannes se tiennent presque au garde-à-vous quand la jeep les croise. Le vent soulève légèrement leur robe. Elles acheminent des cargaisons de légumes aux hôtels de Port-Au-Prince. Elles viennent de Kenskoff, ou même quelquefois de Jacmel. Imaginez qu'elles ont quitté Jacmel, la nuit dernière. A force de tenir ces sacs sur leur tête, elles ont fini par attraper cette démarche d'une folle élégance. L'entraînement rudes des danseuses de ballet. L'une le fait pour plaire; l'autre, (la paysanne) , pour survivre.
La pluie s'est arrêtée juste à l'entrée de Pétionville, devant ce magasin de meubles en acajou. La pluie reconnaît les frontières. page198
Une étoile est née
Mange quelque chose, insiste Antointte.
Manu prend une cuisse de poulet.
-Regarde le ciel, dit-il. Des fois, je passe la nuit à le regarder. On dirait un grand vide qui veut m'aspirer...Un jour, je serai une étoile là-haut. page 235

Aucun commentaire: