mercredi, janvier 02, 2008

LA MAISON DU RETOUR (Jean-Paul Kauffman)

Après trois années d'enfermement, j'ai besoin de la démesure de ce paysage, ponctué par des vides au milieu des pinèdes mais jamais borné. Tout est clos, en France, le moindre espace est délimité. Mes compatriotes considèrent que le monde n'est en ordre que s'il est fermé. Pour jouir de sa possession, chaque propriétaire pense d'abord à l'entourer d'un grillage, d'une haie ou d'un mur hérissé de tessons. Les Français ont la phobie de l'empiètement. Ce qui me plaît dans les Landes, c'est l'absence de clôtures. Voilà la seule forêt ouverte de France, la seule contrée où l'immensité a un sens. page 23
"Vous n'êtes pas un peu seul, non?" dit-il avec prévenance. Je lui réponds que j'apprécie la solitude , pas l'isolement. "J'aime faire retraite parce que je sais qu'au bout, il y a la compagnie et le partage. Je vois du monde: les deux maçons (qui renovent la maison)...Ma femme me rejoint le week-end. De toute façon, je dois être là pour surveiller les travaux." page 60
Comment leur expliquer (à ses enfants) que, quatre mois après mon coup de foudre, je me sens parfois dépassé par mon emballement? Un sentiment de manque ou de frustration me traverse de temps à autre. Qu'est-ce donc qui a fait défaut? La possibilité de choisir? Elle a été élue, reconnue. Alors pourquoi cette insatisfaction? Suis-je victime de ce mal moderne: la mélancolie de l'accomplissement? Une fois parvenu au but, le sujet se sent morose, désappointé. "Tout ce qui est atteint est détruit" affirme Montherlant. Ai-je aboli mon rêve en le réalisant? Un tel comportement serait puéril. page 76
Notre époque donne peu de chances aux rescapés et aux survivants. L'histoire, pour eux, ne se termine jamais. Condamnés à revivre leur malheur, jamais déliés d'une épreuve dont ils ont eu toutes les peines du monde à s'extraire. Pour eux, il n'y aura ni grâce, ni pardon ni oubli. Il leur est impossible de se racheter de la tragédie qu'ils ont subie. Le monde extérieur a posé sur eux une étiquette. Ils ne sont pas autorisés à guérir du passé. On ne s'intéresse qu'à la fonction -ex-captif-, pas à l'homme concret. Pourquoi la rédemption est-elle refusée à eux seuls? page 98
"Tu peux maintenant prendre possession de ta maison. (dit Urbain, l'architecte de la maison en rénovation)
-Possession? je n'ai pas l'instinct de propriété.
-Intéressant...Sans doute un de ces paradoxes plus ou moins philosophiques dont tu as le secret. Monsieur se veut un amateur, il ne se plaît que dans le provosoire. Tu n'es qu'un dilettante.
-J'aimerais bien. C'est tout un art. Prendre au sérieux la musique, le vin, les cigares sans se prendre soi-même au sérieux. Il faut sans doute plus d'une vie pour y parvenir.
Je ne vais pas lui expliquer que j'ai appris à attendre et surtout à différer par nécessité, j'espérais que le sort me soit moins hostile. Je suis en effet devenu un amateur d'espérance Le jeu doit de pratiquer sans appuyer, presque à la légère. L'espérance reste au fond de la boîte de Pandore après que tous les maux se soient répandus sur la terre. Il ne faut surtout pas la brusquer. Comme on le sait, l'amateur sait prendre son temps. J'ai abusé de ce privilège et acquis sans doute de mauvaises habitudes. Le définitif me perturbe. page 200
Il y a des choses qui doivent n'être jamais dites mais qu'il importe de partager. Se taire, ne jamais se découvrir. Il (Urbain l'architecte) est incapable d'extérioriser ses sentiments les plus profonds. C'est pourquoi il est si volubile. Discourir pour mieux se cacher Il sait mieux que personne que cette organisation apparemment anarchique était mon véritable univers. Par délicatesse, je le soupçonne de l'avoir fait durer. page 201

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