jeudi, janvier 15, 2009

LES AMES GRISES (Philippe Claudel)

On dit souvent qu'on craint ce que l'on ne connaît pas. Je crois plutôt que la peur naît quand on apprend un jour ce que la veille on ignorait encore. (page 43)

Pour essayer de comprendre les hommes, il faut creuser jusqu'aux racines. Et il ne suffit pas de pousser le temps d'un coup d'épaule pour lui donner des airs avantageux: il faut creuser dans ses fissures et lui faire rendre le pus. Se salir les mains. Rien ne me dégoûte. C'est ma besogne. Dehors, il fait nuit, et la nuit, qu'est-ce-que je pourrais faire d 'autre sinon reprendre les vieux draps et les repriser un peu, encore et encore....Il avait l'art de se servir des mots pour leur faire dire des choses auxquelles d'ordinaire, ils n'étaient pas destinés. pages 107, 108

C'est curieux, la vie, ça ne prévient pas. Tout s'y mélange sans qu'on puisse y faire le tri et les moments de sang succèdent aux moments de grâce, comme ça. On dirait que l'homme est un de ces petits cailloux posés sur les routes, qui reste des jours entiers à la même place, et que le coup de pied d'un trimardeur parfois bouscule et lance dans les airs, sans raison. Et qu'est-ce-que peut un caillou? page 169

(Les 2 déserteurs ont été capturés) La foule grossit et, on ne sait pas pourquoi, peut-être parce que c'est toujours très bête une foule, elle se fait menaçante, serre de plus en plus les prisonniers. Des poings se brandissent, des insultes volent, des cailloux aussi. Une foule, c'est quoi? c'est rien, des pécores inoffensives si on leur cause yeux dans les yeux. Mais mis ensemble, presque collés les uns aux autres, dans l'odeur des corps, de la transpiration, des haleines, la contemplation des visages, à l'affût du moindre mot, juste ou pas, ça devient de la dynamite, une machine infernale, une soupière à vapeur prête à péter dans la gueule, si jamais on la touche. page 179
Je sais qu'il ya quelque chose de plus fort que la haine, c'est les règles d'un monde.Destianat et Mierck faisaient partie du même, celui des bonnes naissances, des éducations en dentelle, des baisemains, des voitures à moteur, des lambris et de l'argent. Au-delà des faits et des humeurs, plus haut que les lois que les hommes peuvent pondre, il y a cette connivence et ce renvoi de politesse: "Tu ne m'embêtes pas, je ne t'embête pas". Penser qu'un des siens peut être un assasin, c'est penser que soi-même on peut l'être. C'est désigner à la face de tous ceux qui tortillent de la bouche et nous regardent de très haut, comme si nous étions des fientes de poule, ont une âme pourrie, comme tous les hommes, qu'ils sont comme tous les hommes. Et ça, c'est peut-être le début de la fin, de la fin de leur monde. C'est donc insupportable. page 215
On sait toujours ce que les autres sont pour nous, mais on ne sait jamais ce que nous sommes pour les autres. page 254

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