dimanche, août 12, 2012

LE VOYAGE DANS LE PASSE (Stefan Zweig)

C'est la première fois que je lis un écrit de cet  écrivain né en Autriche en 1881 et mort au Brésil en 1942 après avoir fui le nazisme.
LE VOYAGE DANS LE PASSE, nouvelle d'une centaine de pages, raconte l'histoire des retrouvailles au goût amer entre un homme et une femme qui se sont aimés et qui croient s'aimer encore. La femme n'est jamais nommée par son prénom....

(Louis, le personnage principal est rentré du Mexique , après 9 ans d'absence, il y a fait fortune et est dans le train avec "la femme" pour Heidelberg.) " Le train se mit en branle en cahotant. Le cliquetis des roues étouffait la conversation avocassière (des passagers dans le compartiment) et la réduisait à un simple bruit de fond. Mais, ensuite, heurts et à-coups se muèrent peu à peu en un balancement régulier, le berceau d'acier tanguait, incitant à la rêverie. Et tandis qu'au-dessous d'eux, les roues crépitantes filaient, invisibles, vers un avenir que chacun meublait à sa guise, leurs pensées à  tous deux voguaient  vers le passé comme vers un songe." page 14

(Louis a longtemps vécu dans la pauvreté) "Il avait grandi comme précepteur dans les maisons de riches parvenus, qui le blessaient;  statut hybride sans qualité, à mi-chemin entre le serviteur et le familier, chez lui sans y être, simple ornement comme les magnolias qu'on disposait puis dont on se débarrassait après usage, il avait l'âme pleine de haine contre les puissants et le milieu dans lequel ils évoluaient, les meubles lourds et imposants, les chambres cossues, les repas abondants, toute cette richesse à laquelle on tolérait qu'il prît part" Page 18

(Son patron l'appelle pour devenir son secrétaire particulier ; il arrive dans cette maison où il va vivre un ou deux ans) "Des tapis profonds l'attendaient, qui absorbaient ses pas, des tapisseries des Gobelins, dès l'antichambre, tendues sur tous les murs et qui réclamaient  des regards solennels, des portes sculptées aux lourdes poignées en bronze, qui, à l'évidence, n'étaient pas faites pour être ouvertes à la main, mais que devaient actionner des serviteurs zélés à l'échine courbée: autant de choses qui, abrutissantes et hostiles, accablaient son amertume orgueilleuse...Il fut submergé par le sentiment d'être un intrus qui n'avait rien à faire là...Page 21

(Son patron lui donne l'opportunité d'aller au Mexique pour extraire un minerai)  "Comment une telle offre , lui tombant soudain d'un ciel serein, n'aurait-elle pas tourné la tête d'un ambitieux? Elle était là, enfin, la porte, comme arrachée par une explosion, qui devait l'affranchir de la pauvreté où il croupissait, du monde sans lumière de la servitude et de l'obéissance, de l'éternelle échine courbée de l'homme contraint d'agir et de penser avec modestie:  vorace, il scrutait les papiers, les télégrammes, où, à partir de signes hiéroglyphiques, son vaste plan, dans des contours larges et flous , prenait peu à peu forme.  Soudain, des chiffres s'abattirent sur lui à grand fracas, des milliers, des centaines de milliers, des millions à administrer, à compter, à gagner, atmosphère incandescente du pouvoir dominateur, où, abasourdi et le coeur battant, il s'élevait soudain, comme un ballon magique, depuis la sphère vile et étouffante où il vivait. Et au-delà de ça: il n'y avait pas que l'argent, les affaires, le goût du risque et des responsabilités. page 32, 33

(La guerre 14-18 est déclarée , impossible de retourner en Europe et de recevoir du courrier de "la femme" et de lui en expédier.) " La firme lui confia pour mission de rendre  l'entreprise autonome, et de la diriger comme une compagnie mexicaine...Cela tendait toutes ses forces, faisait bourdonner la moindre de ses pensées. Il travaillait douze  heures, quatorze heures par jour avec un acharnement  fanatique pour ensuite, le soir,  assommé par cette avalanche de chiffres, trop épuisé pour rêver, et inconscient , s'écrouler sur son lit".page 58

"Mais , arriva un jour, jour mugissant de carillons lancés à pleine volée, où les câbles télégraphiques frémirent et où, dans toutes les rues de la ville en même temps, des hurlements, des grosses lettres comme le poing, proclamèrent la nouvelle tant attendue de la conclusion de la paix.."page 61

"Et s'ils s'embrassaient, ce n'était que du regard."

Séparés, elle irradiait depuis une autre sphère où le désir n'a pas de mise, pure, immaculée et même le plus passionné de ses rêves n'avait pas la hardiesse de la dévêtir".

"Te souviens-tu  de ce que tu m'as promis...lorsque je reviendrais...?
Ses épaules tremblaient. "Laisse cela, Louis...ce sont de vieilles histoires, n'y touchons pas. Ce temps-là, où est-il?
-Il est en nous, ce temps-là", répondit-il inflexible, dans notre volonté" page 79

"Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres cherchent le passé." page 100

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