dimanche, mars 20, 2022

LE PAIN DES REVES ( Louis Guilloux, 1942 )

 Juste avant 1914, dans une petite ville bretonne, près de la cathédrale, vit l'infâme rue du Tonneau, avec ses taudis, ses maisons de prostitution, ses cafés douteux. Une écurie sert de logis aux Nédelec, la mère, les eux enfants, e grand-père, tailleur qui fait vivre tout le monde et travaille jusqu'à ce que mort s'ensuive. Puis , arrive, la cousine Zabella, personnage haut en couleur.

La poésie, l'amour, la noblesse du cœur illumine ce récit, le plus beau peut-être qu'aient inspiré l'enfance et la misère. " Je doute qu'aucun amour vaille celui des pauvres" écrit Louis Guilloux dans Le Pain des Rêves. 

Notre instituteur,... dans son esprit le bonheur se définissait  par la soupe aux choux, la propreté, l'absence de coups. Il ajoutait que l'économie est un autre moyen d'atteindre le bonheur.  page 13

Nous étions prisonniers dans le nôtre (quartier) comme le juif dans son ghetto. C'était , dans la basse ville, la partie la plus vieille autrefois, il  est vrai, la plus noble devenue la plus "pittoresque". ..Eh oui, nous habitions la rue des "Maisons" , nous participions à tout ce qui s'y faisait de louche et de malhonnête, nous étions des frères d'une société secrète, la société des voyous de la rue des Tonneaux. J'en étais un, Je le savais. On me l'avait dit plus d'un coup.....page 20

Nos lits, le mien comme celui de mes deux frères, c'étaient des planches clouées à la diable, sur lesquelles étaient jetées nos couettes de varech.  Le besoin d'être ensemble, de vivre à la chaleur des uns des autres aurait fait considérer à n'importe lequel d'entre nous comme une dure punition le fait d'aller loger ne fut-ce que derrière la cloison. page 31  

Nous étions bien; Nous étions à l'abri. C'était une heure sans effroi ( le soir) , une heure à nous, où le bonheur se définissait par la présence de tous ceux qui restaient, - depuis que mon père nous avait abandonnés, depuis que mon frère  s'était  fait marin- ..La conscience que nous nous aimions. page 33

Nous mangerions. Nous nous coucherions. Le lendemain, je retournerais à l'école. Tout serait pareil sauf que je ne verrais plus  le moindre pou courir sur mon cahier et que l'instituteur n'aurait plus l'occasion de me dire qu'il y avait moins que l'année dernière ils étaient plus gros.  Les poux seraient oubliés. ( le grand-père a épouillé son petit-fils le dimanche) . page 52 Ma mère n'avait pas d'orgueil.  Elle ne tirait de sa condition qu'un surplus d'amour.  page 52 Je doute qu'aucun  amour vaille celui des pauvres. Le nôtre était un amour religieux.;;Le mépris, l'humiliation dont nous sentions partout l'outrage, le refus qu'on nous opposait avec tant de persévérance, avaient approfondi nous cœurs  comme ils ne l'eussent pas été sans cela. Nus étions des pauvres. Et parmi les pauvres eux-mêmes, nous étions seuls. Nous formions, dans la ville, dans le monde, comme un îlot que nous pouvions croire  unique - je ne savais pas encore qu'il était surtout précaire. page 53

La lueur du briquet répandait sur ses joues creuses un feu d'une riche splendeur, ses yeux semblaient immenses, tout illuminés d'une vie surnaturelle, peuplés de d'éclats bougeants,, comme des reflets multiples des lampes dans la profondeur d'une eau.  A peine distinguais-je les contours de son visage. Le front, le menton appartenaient en même temps à l'ombre et à la lumière, mêlant d'une manière incompréhensible leurs contraires....Le briquet s'éteignit. Il ne subsista plus, dans l'ombre de ce cachot, que le petit rond incendié de la pipe, comme une braise ardente, sur un tout petit fourneau. ( Durtail son voisin) page 77

Grâce à ce merveilleux pouvoir des enfants, qui sont tout entiers là où ils sont, à l'école, j'oubliais mon écurie, la cour, mes rues et leurs singulières fantômes; même Pompeline, même Tonin Bagot, jusqu'à la pauvre Fée. Tous ces familiers de mes courses ls plus quotidiennes, je les répudiai, pour ainsi dire, au profit d'une  science incertaine, d'une activité dont il m'était promis qu'il m'ouvrirait un jour toutes les portes, sans qu'il me fût  dit lesquelles, ni pourquoi il était tant souhaitable qu'elles s'ouvrissent. ..On aurait dit sue j'avais changé de monde. page 86

Plus il était tard, plus la nuit était profonde et les quartiers déserts, et plus, semblait-il, le grand-père se trouvait à son aise. On aurait dit que le droit de paraître au soleil était un droit qu'il ne se reconnaissait pas à lui-même, et qu'il consentait à se mouvoir et à marcher sur terre à condition de ne pas y être vu . page 135

Quand c'était la Procession des Pestiférés, il n'y avait rien d'autre qui occupât quiconque, et mon grand-père comme tout le monde....A mon avis, le souci qu'elle (sa mère) avait de s'habiller ce soir-là, c'était une  manière de porter hommage à son Dieu qu'elle n'avait jamais renoncé, qu'à sa jeunesse où elle l'avait tant servi. Les prières qu'elle récitait dans son cœur en étaient un autre plus véridique. page 142 ( La procession) C'était beau comme une belle image et plus mystérieux qu'un rêve. ..Rien n'existait  plus par sa  lumière. Il fallait baisser les yeux pour ne pas être ébloui. De nombreuses gens faisaient plus que baisser les yeux, ils courbaient la tête, le dos, certains s'agenouillaient tout simplement dans le ruisseau....page 148...Notre fête à nous, les enfants de la laïque, c'était le 14 juillet Nous autres, nous n' avions rien  à voir avec Dieu, ou ^plutôt avec la calotte. Et il était bien beau déjà qu'on nous permît d'aller au catéchisme, de faire notre première communion. Mais là, c'était tout. page 152

...je le fus, surpris, arraché à moi-même par l'irruption insolite de quelques notes de musique, si insolite....J'ignore  et j'ignorerai  toujours de quelle musique il pouvait bien servir. Tout ce que je sais, c'est qu'elle venait d'un violon, et que j'entendais un violon pour la première fois de ma vie. page 203

( L'oncle Paul, le fils du grand-père vient d'arriver de Paris) Ils ( L'oncle et la mère de l'auteur) échangeaient un baiser sans chaleur, joue contre joue, un baiser de famille où nous sentions qu'ils ne s'aimaient pas, sans savoir quelles discordes mal oubliées les séparaient. page 210

Les rebuffades n'avaient guère de prise sur Tonton. ( un second oncle) Par une vieille habitude de pauvre qui sait ce qu'il sait, qui connaît les hommes et la vie, il avait  depuis longtemps pris le parti d'assimiler les rebuffades à des plaisanteries et tut ce qu'on tirait de lui c'était un rire un peu plus confus un peu plus tremblant, et l'assurance répétée qu'on était tout de même un sacré farceur. Un sacré farceur mon grand-père. page 239

" Tu n'as plus de grand-père. " C'est par ces mots que ma mère m'avait accueilli, quand j'étais rentré de l'école, sur la fin de matinée. Et j'avais appris du même coup, tout vu, d'un regard - l'unique regard, peut-être que je lui avais jeté, car, depuis lors, mes yeux n'avaient plus osé retourner à ce grand lit, où il reposait, un crucifix dans ses mains jointes, si blanc, si tranquille, presque souriant. page 252...Alors, une ouverture se fit en moi, quelque chose comme le soupçon de ce que pouvait être la mort, et tout le reste du temps, je le passai dans cet abîme....page 253

Le ciel était avec nous dans sa légèreté bleutée, dans s a fraîcheur matinale, et si par endroits, il était traversé de vapeurs blanchâtres, elles ne faisaient qu'annoncer l'heureuse chaleur de midi. page 301

Laissons l'enfance. Désormais, je suis un homme! Bientôt, j'entrerai en lycée, n'oublie pas cela , ami lecteur. ...Je suis un homme gtand-père.!. ô grand-père, un homme comme toi! Il fait nuit chez nous. Fait-il clair chez toi? ô mon vieux paria! Tout à l'heure nous rallumerons la lampe. page 477

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