lundi, mai 01, 2023

L'AMI ARMENIEN ( Andreï MAKINE , 2021)

Ce roman d'une amitié de jeunesse révèle un épisode crucial de la vie d'Andreï Makine. Le narrateur qui vit dans un orphelinat de Sibérie, devient le garde du corps d'un garçon de  son âge, Vardan, persécuté par les autres en raison de sa pureté et de sa santé fragile.  

En suivant ces deux adolescents, nous arrivons dans un quartier déshérité, le Bout du Diable, où réside une petite communauté d'Arméniens venus soutenir leurs proches emprisonnés à 5000 kilomètres de eur patrie. Nul n'oubliera les magnifiques figures de ce "royaume d'Arménie" ouvert aux déracinés, "qui n'ont pour biographie que la géographie de leurs errances" - ces humbles " copeaux humains sacrifiés sous la hache des faiseurs de l'Histoire". 

Dans la lumière d'une double nostalgie - celle des Arméniens pour leur pays natal et celle de l'auteur pour son ami disparu - ce roman s'impose d'évidence comme un grand classique. 

" Le narrateur se souvient de ses treize ans, lorsqu'il vivait dans un orphelinat en Sibérie. En cette année 1973, il s'était lié d'amitié avec un adolescent , Vardan, dont la maturité et la fragilité déclenchaient les persécutions de ses congénères. Cet ami habitait le " Bout du Monde", un misérable quartier de laissés-pour-compte. S'y était établie  une petite communauté arménienne venue du Caucase, soutenir des proches arrêtés pour subversion séparatiste et antisoviétique parce qu'ils avaient créé une organisation clandestine pour l'indépendance de l'Arménie. Les gens ne restèrent que quelques semaines, le temps d'un procès qui devait condamner les prisonniers au Goulag. mais pour le narrateur, jamais ne s'effacerait la nostalgie de cette amitié bien vite perdue qui l'avait irrémédiablement transformé.. "

" Bien des années plus tard, j'apprendrais qu'il s'agissait d'un million et demi de personnes anéanties. Et même, ce décompte funèbre, si Vardan l'avait évoqué, dans son récit, se serait égaré au milieu d'autres bilans d'extermination: presque quarante millions dus aux tueries révolutionnaires et puis staliniennes en Russie; des millions, anonymes ou non, annihilés dans les camps nazis... A force de compter en millions, toute capacité de s'émouvoir s'émousse, le désir le plus sincère de compatir faiblit.  Et l'étude historique, qu'on le veuille ou non, vers l'analyse, l'arbitrage des faits, vers l'illustration raisonnée qui dérape dangereusement sur la frontière de la justification. Je me souvenais comment, du temps de mon enfance, certains adultes, restés admiratifs de Staline, expliquaient l'époque des répressions- ils finissaient souvent par excuser l'horreur des massacres, soi-disant nécessaires aux bienfaits futurs qu'apporteraient les révolutions et les guerres civiles.: " Quan on abat une forêt, les éclats de bois volent". Oui, les copeaux humains , ces vies sacrifiées sus la hache des faiseurs de l'Histoire. " pages 116, 117

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