samedi, février 09, 2008

LES PASSAGERS DE L'AUTOCAR (John Steinbeck)

Boutonneux (qui travaille comme ouvrier garagiste) se lavait les mains dans un bassin rempli d'essence. Le soleil réchauffait une vieille feuille morte oubliée par l'hiver et que le vent avait chassée dans un coin de l'entrée du garage. Lourde encore de la nuit, une mouche émergea de la feuille et titubante, s'arrêta au soleil. Sur ses ailes, la boue prenait des tons moirés, et elle était encore tout engourdie de froid; elle se caressa les ailes puis frotta ses pattes les unes contre les autres, ensuite, de ses pattes, elle se frotta le museau tandis que le soleil, se faufilant sous les nuages bouffis, lui réchauffait l'intérieur. Tout à coup, elle décolla, fit deux tours en rond, voleta sous les chênes, catapulta contre le grillage de la porte du restaurant, tomba sur le dos, et l'espace d'une seconde, resta par terre à bourdonner. Puis, elle se redressa, s'envola et vint se mettre en position sur le cadre de la porte....page 38
Juan (le mari, garagiste et propriétaire du restaurant-hôtel) lui, était capable d'oblitérer l'extérieur et de considérer les choses, les unes par rapport aux autres, qu'elles fussent essentielles, importantes ou futiles. Il était capable de voir, de juger, de contempler et d'apprécier.
Juan savait apprécier les êtres, savourer leur compagnie. Alice, (son épouse) elle, ne savait qu'aimer, sympathiser, repousser ou détester. Elle ne voyait, ne faisait aucune nuance en aucun cas. page 46
Monsieur Pritchard (un voyageur) était un homme d'affaires, président d'une société de moyenne importance. Il n'était jamais seul. Son affaire était menée par un groupe d'hommes qui travaillaient de la même manière, pensaient de la même manière- et allaient jusqu'à se ressembler. Il déjeunait avec des hommes comme lui, qui fréquentaient des cercles fermés, afin qu'il ne s'y glissât aucune idée étrangère. Sa vie religieuse se limitait à sa paroisse, son église - les quelles étaient également privées, exclusives, protégées. Un soir par semaine, il jouait au bridge avec des hommes si exactement pareils à lui que le jeu était toujours à peu près équilibré, et de ce fait, son groupe restait convaincu qu'ils étaient tous d'excellents joueurs de poker. Où qu'il allât, il n'était jamais un homme , mais un membre d'une société, un membre d 'un cercle, d'une paroisse, d'une église, d'un parti politique. Ses idées et ses pensées n'étaient jamais exposées à la critique puisque , volontairement, il ne se liait qu'à des gens qui lui étaient identiques. Il lisait un journal écrit par et pour son groupe. Les livres qui franchissaient son seuil étaient sélectionnés par un conseil qui écartait tous sujets capables de l'irriter. Il détestait les pays étrangers et les étrangers eux-mêmes parce qu'il lui était trop difficile de trouver sa propre réplique chez eux. Il ne voulait pas de dissocier de son groupe. Il aurait souhaité s'élever jusqu'au faîte de ce groupe et en être admiré; mais il ne lui serait jamais venu à l'idée de le quitter. Au cours de quelques rares frasques où des filles nues dansaient sur les tables et s'asseyaient dans de vastes coupes de vin, M. Pritchard avait hurlé de rire, et bu du vin, mais cinq cents autres Pritchard étaient là à ses côtés...M. Pritchard n'avait pas de double vie. Il avait renoncé à la liberté au point qu'il avait oublié ce que ce mot voulait dire. page 51, 52
Bernice Pritchard (l'épouse de M. Pritchard). A sa manière, c'était une femme de tête. Elle dirigeait avec efficacité une maison propre, ordonnée et confortable et servait des repas nourrissants et totalement dépourvus de saveur. Elle se refusait à employer des épices, car on lui avait dit , dans sa jeunese, qu'elles avaient, sur les hommes, un effet aphrodiasaque. Aucun d'eux - ni M. Prichard, ni Mildred (leur fille) ni elle-même n'engraissait , vraisemblablement à cause de l'insipidité des mets. Ils n'étaient pas de nature à stimuler grandement l'appétit....De corps et d'esprit, elle était indolente et paresseuse, et tout au fond d'elle-même, elle ne pouvait étouffer complètement un mol sentiment d'envie à l'égard des gens qui, selon elle, jouissaient des bonnes choses de l'existence tandis qu'elle menait une vie sans couleur dans un univers de grisaille. N'ayant qu'une sensibilité très limitée, elle vivait suivant des formules établies. L'éducation est un bien La maîtrise de soi est nécessaire. Tout doit se faire en temps et en ordre. les voyages enrichissent l'esprit. Et c'est ce dernier axiome qui l'avait finalement amenée à prendre ses vacances au Mexique....Mais, en vérité, elle n'avait pas envie d'aller au Mexique. Ce qui l'intéressait, c'était de retrouver ses amies après être allée au Mexique...."Quand nous serons revenus de ce voyage, ça nous fera l'effet d'une grande aventure. Je t'entends déjà d'ici le raconter . Ce sera amusant." (dit-elle à son mari.) page 82
(Juan) -Là-bas, (au Mexique) , à moins d'être riche, il faut travailler trop dur pour gagner trop peu. C'est plus ou moins pour ça que je suis parti.
-Vous parlez très bien l'anglais, dit Bernice Pritchard, comme si cela eût été un compliment.
-Pourquoi pas? Ma mère était Irlandaise. J'ai appris deux langues à la fois"Page 102
M. Pritchard usait d'une stratégie bien établie dans ses rapports avec les gens. Il n'oubliait jamais le nom d'un homme riche ou plus puissant que lui, mais il oubliait régulièrement le nom d'un inférieur. Il avait découvert que d'amener un homme à décliner son nom suffisait pour le placer dans une position légèrement désavantageuse. Le fait de prononcer son nom dénudait un homme et lui enlevait une partie de ses moyens. page 183

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