samedi, décembre 03, 2011

LA BELLE AMOUR HUMAINE (Lyonel Trouillot)

Anaïse revient au pays de son père qu'elle a très peu connu avec le désir de savoir qui il était.
Un touriste, c'est très souvent un portefeuille qui commente le peu qu'il voit sur un ton sans appel. Sans doute, estiment-ils que le tarif qu'ils payent leur donne droit à une opinion, que leur cash leur confère un brevet d'expertise. page 29

Le colonel Pierre André Pierre était noir, noir comme son père, noir comme sa mère, noir comme tous les membres de sa famille avant lui, des deux côtés de sa modeste lignée d'agriculteurs. Noir comme tous les habitants de la petite ville dans laquelle il avait pris naissance. page 75






..Ils (les touristes) arrivent avec des gueules de tout va mal depuis toujours, et surtout à l'occasion de ce voyage, de l'aéroport de départ avec les panneaux d'affichage non allumés jusqu'au taxi au coffre trop étroit et une partie des bagages qu'il faut placer sur le siège avant à la droite du chauffeur, ces rues pourries et leurs enfants qui tendent la main et s'accrochent aux portières - on dit "les enfants des rues" comme si les rues étaient leurs mères - en passant par l'avion et le personnel de bord pas sympa, les trous d'air et l'horrible accent de l'hôtesse, l'aéroport d'arrivée, un vrai bordel et la trop longue attente pour récupérer les bagages. page 87




Son père (un enfant qui accompagne ses parents touristes) , il lui a enseigné qu'il faut compter sur soi pour être compétitif. Sa maîtresse lui a enseigné qu'il faut compter sur soi pour être compétitif. Le psy lui a enseigné qu'il doit s'exprimer pour se faire entendre. Le président, quand il s'adresse à la nation, dit que nous sommes une grande nation qui doit compter sur elle-même, mener une politique agressive pour être compétitive. Au nom de son père, de sa mère, de sa maîtresse, des psy, du président, de la nation, des médias, Junior veut qu'on l'entende et être compétitif. page 91






Ils ( les touristes)arrivent avec des batteries de médicaments, se badigeonnent la peau de mille et une pommades Ils sont pris de panique dès que nous traversons les quartiers populaires. On dirait qu'ils s'attendent à un pays inhabité, à une terre vierge qui s'étalerait à leur convenance. Quand ils descendent de voiture pour regagner leur chambre d'hôtel ou entrer dans un magasin, ils avancent une main devant, une main derrière, l'une comme un cache-sexe ou la paume en avant pour signifier: Ne vous approchez pas de moi; l'autre serrée sur le porte-monnaie ou vérifiant sans cesse le portefeuille de peur qu'un esprit maléfique n'y soit venu glisser une patte invisible pour leur faucher quelques billets. page 120






Les peureux (touristes), faut se demander pourquoi ils se donnent la peine de bouger puisque partout où ils vont, ils s'attendent à retrouver tout ce qu'ils ont laissé chez eux.La même bouffe. Les mêmes couleurs. Ils s'étonnent, ils se fâchent de ce qu' ici, on ne mange pas la viande de porc comme chez eux, de ce que les gens ne portent pas les mêmes prénoms que chez eux, de ce que les néons ne soient pas aussi puissants que chez eux. Ils ne cultivent pas le doute et souhaiteraient que le monde soit la copie conforme de leur propre univers. page 121






Il (le père de Anaïse) n'avait pas su développer cette culture qu'a le riche d'habiter son confort. page 122






La vie n'est jamais rien qu'un ouvrage collectif. page 131






La parole sert parfois à trouver les mots, à les sortir de leur cachette, afin qu'ils nous aident à nous révéler à nous-mêmes. page 140






(Anaïse se promène dans le village) Je n'ai pas beaucoup voyagé mais j'imagine qu'il est rare de se retrouver dans un lieu inconnu en étant d'une autre culture, d'une autre couleur et de se sentir accueillie comme si sa présence sur cette terre nouvelle était une chose naturelle, une chose simple allant de soi, comme le lever du jour ou le coucher du soleil. C'est moi qui ai fait l'effort de me rappeler que j'étais étrangère. Pour ne pas faire comme si j'avais tout compris....J'ai réalisé aussi que le pain du jour n'est pas chose gagnée pour tous . Ici, les choses dont vous devez manquer, je ne parviendrai même pas à les énumérer. Ici, dans le village, rien qu'en marchant, j'ai pu constater tout ce vide à l'intérieur des maisons. Je ne puis être qu'étrangère à cette pauvreté. Mais l'envie m'est venue d'entrer dans les maisons. Les regards m'y invitaient. page 148






Dans la ville d'où je viens, il y a toujours de quoi se nourrir, alors on s'y fait.La différence entre ta capitale et la mienne, c'est que chez moi, les pauvres sont assez riches pour oublier qu'ils sont pauvres. page153






...on ne s'invente pas tout seul.



Non, je ne peux pas te dire que j'ai trouvé ce que j'étais venu chercher, mais dans la question relative à l'usage de sa présence au monde, se pose aussi celle de la place de l'absent. Les absents, on les reconstitue toujours: ceux qu'on laisse partir et ceux que l'on ramène. Ce sera ça , mon père: je ramène avec moi au pays d'où je viens des bouts d'enfance triste et une belle nuit d'amour. page 154




Je suis venue chercher l'amitié d'un absent et lui offrir la mienne des années après sa disparition




La terre qui t'appartient est celle où tu plantes tes rêves.

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