dimanche, septembre 08, 2013

L'AUTRE RIVE DU MONDE ( Geraldine Brooks)

"Inspirée de la vie du premier Indien diplômé d'Harvard en 1665, une formidable fresque, pleine de passions et d'aventures, sur la confrontation entre spiritualité amérindienne et puritanisme des premiers colons.
Elevée dans le calvinisme le plus pur, Bethia Mayfield, fille de pasteur, se sent à l'étroit dans sa vie. Dotée d'un esprit vif, d'une curiosité sans borne, elle n'aspire qu'à une chose: se voir offrir la même éducation que les hommes. Pour tromper l'ennui, la jeune fille arpente les terres sauvages de Martha's Vineyard. Un jour, son chemin croise celui d'un jeune Indien Wampanoag. Un e rencontre incongrue, premier pas vers une amitié inébranlable que secrète. Alors que Berthia lui apprend les rudiments de l'anglais et e catéchisme, le jeune homme, rebaptisé Caleb, l'initie aux rites et croyances  de sa tribu. Recueilli peu après par les Mayfield, Caleb est envoyé à Harvard pour y recevoir l'éducation qui lui permettra de convertir son peuple. Mais, peut-on jamais renier ses origines?
Bonne conscience chrétienne, racisme primaire et préjugés moraux, au fil du journal de Bethia se dessine l'histoire d'une tragique utopie américaine, d'un monde déchiré entre deux rives."

(Le père de Bethia, pasteur) "Pendant plusieurs années, j'ai repoussé la poussière de ces huttes, accomplissant toutes les tâches matérielles qui pouvaient alléger le fardeau de ces gens, heureux de leur glisser à l'oreille quelques mots du Christ. Et maintenant, je commence enfin à distiller dans leur esprit la  pure liqueur de l'Evangile. Accompagner un peuple qui se dirigeait droit vers l'enfer et réussir à détourner sa trajectoire, et à lui ouvrir les yeux sur le Dieu...C'est pour cela que  nous devons lutter. Il s'agit d'un peuple admirable sous beaucoup d'aspects si on prend la peine de le connaître." page 23

Un  jour, alors que j'étais une toute petite fille, j'avais employé le terme "sauvages" à portée de mon père et il m'avait reprise. "Ne les appelle pas ainsi. Utilise le nom qu'ils se donnent ; Wampanoag. Cela signifie les gens de l'Est. page 25

Vers la fin du printemps seulement, je recommençai à me préoccuper de mes leçons, et je me sentis assez forte pour demander à mon père quand elles reprendraient. Il me répondit qu'il n'avait pas l'intention de poursuivre mon instruction, puisque je savais mon catéchisme par cœur. Il ne put cependant m'empêcher  d'entendre les séances  de travail avec Makepeace (son frère) . j'écoutais et j'apprenais. Avec le temps, quand mon père  pensait que je m'occupais du feu, ou que je me concentrais sur mon métier à tisser,  je consolidais  les bases de mon savoir: un peu de latin ici, un peu d'hébreu là, quelques notions de rhétorique. je n'eus aucune peine à apprendre ces choses...Quand il voulait instruire Makepeace, il (son père) me chargeait des tâches à l'extérieur..."Bethia, pourquoi  cherches-tu aussi obstinément  à quitter la place que Dieu t'a assignée? ..ta voie n'est pas celle de ton frère, cela ne peut être. Les femmes ne sont pas faites comme les hommes. Tu cours le risque d'embrouiller ton cerveau en pensant à des sujets intellectuels dont tu  n'as pas à te préoccuper. je me soucie un uniquement de ta santé présente et de ton bonheur futur. Il n'est pas convenable qu'une épouse en sache plus que son mari." page 31

(Bethia a rencontré un jeune Indien) Il me suivit sur le rivage et se mit à parler, déversant une cascade de syllabes, mais je parvins à saisir  qu'un ou deux mots du discours...Lentement, avec des mots simples, je lui dis qui j'étais...J'expliquai que j'avais appris les rudiments de sa langue en écoutant  les leçons que Iacoomis ( un Indien)  avait données à mon père. page 38

(Bethia est avec Caleb: nom que Bethia a donné au jeune Indien) "Pourquoi fixes-tu le ciel, Yeux d'orage (nom que le jeune Indien a donné à Bethia)? Tu cherches ton Dieu là-haut?" Je ne savais pas s'il se moquait de moi..."C'est là-haut qu'il habite, non, ton Dieu unique? Là-haut, au-dessus des nuages changeants?...Un seul Dieu, c'est étrange que vous autres Anglais, qui rassemblez tant de choses autour de vous, vous vous contentiez de si peu. Et votre Dieu est tellement distant, là-haut dans le ciel! Je n'ai pas besoin de chercher si loin. Je vois distinctement mon dieu du ciel, justelà, dit-il,  en tendant le bras vers le soleil. Keesakand le jour. Ce soir, Nanpawshat, le dieu d ela lune, prendra sa place. "page 53

J'entrepris donc le jour-même d'apprendre son alphabet à Caleb.  A, dis-je en dessinant la lettre dans le sable humide. Par exemple, dans "Adam a mangé la pomme". La première  difficulté apparut aussitôt: il n'avait jamais vu de pomme. Je promis de lui en apporter une de  notre petit verger., que père avait planté à notre arrivée. Mais cet obstacle n'était rien en comparaison  des traquenards à venir. Je commençai à lui présenter Adam, je lui décrivis le jardin et la chute, et déclarai que le péché originel nous avait souillés pour toujours. Je dus lui expliquer le concept de péché qui lui était étranger. Il affirma qu'il n'avait jamais péché et parut très offensé que je lui dise le contraire . page 61

Un jour où nous avions discuté de la Genèse, il me fit face, une lueur malicieuse dans les yeux. "Alors, tu dis que tout a été créé en six jours?" Je lui répondis que oui. "Tout?" répéta-t-il -"C'est ce que apprend la Bible répliquai-je.  - "Le paradis et l'enfer ont aussi été créés à ce moment-là?  -"C'est ce qui est écrit , et nous devons le croire. "....-"Alors, dis-moi une chose: pourquoi Dieu a-t-il créé l'enfer  avant qu'Adam et Eve aient péché?" Je ne m'étais jamais posé la question. Page 70, 71

(La petite vérole fait des ravages chez les Indiens) Nous disons souvent  que "les voies de la providence  divine  sont merveilleuses et impénétrables" De la même façon que Dieu a infligé  les plaies au peuple d'Egypte pour libérer les Hébreux de l'esclavage, beaucoup de gens ici affirment  qu'il a envoyé ce fléau  aux habitants de Nobnocket pour délivrer  les âmes des esclaves du paganisme. J'ai beaucoup de peine à admettre que cette effroyable pluie de mort ait pu avoir des conséquences bénéfiques, aussi je me tais quand le sujet est abordé.  page 103

(Caleb suite aux décès des ses parents, vient vivre avec la famille de Bethia)  Il étudiera avec Makepeace et de Joël...Si Caleb et Joël  se révèlent capables  de tirer profit  de son enseignement comme il l'espère, père a l'intention de les envoyer sur le continent avec Makepeace pour qu'ils se présentent à l'examen d'entrée à la faculté de Harvard. page 105

On prétend que le jour du Seigneur est consacré au repos, mais  ceux qui le prêchent ne sont pas en général des femmes. Même le dimanche, il faut allumer le feu, tirer de l'eau, préparer les victuailles, laver les nourrissons et les revêtir  de beaux habits. Ceux qui ont les moyens de posséder une vache,  doivent s'en occuper, car personne n'a sermonné la bête pour qu'elle retienne son lait  qui durcit ses pis. page 112

"Tu es sorti tôt" - Toujours répliqua-t-il. Aussi loin que je m'en souvienne, pas un matin ne s'est passé sans que je salue Keesaklan (le soleil) à son lever. Je m'immobilisai brusquement. Etait-il donc encore un  idolâtre? page 122

Je suis exaspérée quand je surprends une remarque  du maître, ou un commentaire des élèves les plus âgés, selon lesquels les Indiens ont une chance extraordinaire  de se trouver là . (A Harvard) page 137

Il (Caleb) avait pris  une autre poignée de sable, fixant chaque grain qui glissait entre ses doigts.  Vous êtes comme ces grains de sable. Chacun est une infime particule. Une centaine, plusieurs centaines, qu'importe!  Jette-les en l'air.  Tu ne les retrouveras même pas une fois qu'ils seront retombés sur le sol. Ils sont infinis. Vous vous déverserez sur cette terre et nous serons étouffés. Vos pierres de murs, vos arbres morts, les sabots de vos bêtes étrangers piétinant les bancs de palourdes. Mon oncle voit ces choses, ici et maintenant. Et dans sa transe, il voit le pire à venir. Vos murs vont s'élever partout  et ils finiront par nous exclure...Mon oncle voit cela et pire encore....page 178

Si la lecture est une bonne provende pour l'esprit, on a parfois le désir d'apprendre avec ses mains, pas seulement avec son intellect. page 229

- Le mariage est un choix difficile pour une femme anglaise. - Pourquoi présentes-tu les choses ainsi?  c'est sûrement le cas pour toutes les femmes. - Non, pas chez nous. D'après nos lois, une squaw ne cesse pas d'être une personne juste parce qu'elle a trouvé un mari. Le plus souvent, l'homme  vient vivre dans sa famille, et non l'inverse, aussi son statut quotidien ne change-t-il guère. Et si plus tard, elle veut le quitter et en épouser un autre, cela peut se régler par des pourparlers.  page 235

-"Croire que  nous connaissons la volonté de Dieu , c'est...Quel est le mot employé par les Grecs, nous venons juste de l'apprendre...Hubris? La meilleure question, la seule question dans  cette affaire (le  futur mariage de Bethia) , c'est de savoir  ce que tu veux toi, Bethia." Personne ne me l'avait jamais demandé auparavant...J'avais le choix, semblait-il, entre épouser Noah Merryl ou me marier avec Samuel Corlett...page 236

Les étudiants de première année mangeaient dans des écuelles en bois et buvaient dans des récipients en étain ou des chopes en faïence engobée.  Chacun avait son propre couteau et sa fourchette. Les convives trônant sur l'estrade utilisaient l'argenterie de la faculté. En dépit de tout ce remue-ménage et de ce décorum, le repas était simple et, je dois le dire, insuffisant. La vaisselle était peut-être en argent, mais seule la table, la pauvre table aurait pu se vanter de servir un morceau de gâteau aussi minuscule. page 305

 Dans ce  monde déchu, voilà notre condition. Chaque bonheur représente un rayon de lumière entre les ombres, toute gaieté est associée au chagrin. Il n'est point de naissance qui ne rappelle une mort, pas de victoire qui n'évoque une défaite. page 344

Caleb fut un héros (il est mort de tuberculose , un an après avoir eu ses diplômes de Harvard) , cela ne fait aucun doute. Armé de l'espoir de servir son peuple, il s'est aventuré dans un monde qui n'était pas le sien avec le courage d'un explorateur. Il a côtoyé des personnages les plus savants de son époque, prêt à prendre sa place parmi eux pour devenir un homme d'affaires. Il  a gagné le respect de ceux qui s'étaient montrés le plus pressé de l'écarter. Tout cela est vrai, absolument. J'ignore quelle demeure l'a accueilli , à la fin. Peut-être , le paradis céleste des Anglais, avec ses séraphins, ses chérubins et ses auphanim; ou encore la contrée chaude  et fertile de Kiehtan, très loin dans le Sud-Ouest. page 361


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