"Le 12 février 1942, exilé à Petrópolis, Stefan Zweig met fin à ses jours avec sa femme, Lotte. Le geste désespéré du grand humaniste n'a cessé, depuis, de fasciner et d'émouvoir. Mêlant le réel à la fiction, ce roman restitue les six derniers mois d'une vie, de la nostalgie des fastes de Vienne à l'appel des ténèbres. Après la fuite d'Autriche, après l'Angleterre et les Etats-Unis, le couple croit fouler au Brésil, une terre d'avenir. Mais l'épouvante de la guerre emportera les deux êtres dans la tourmente. Lotte, éprise jusqu'au sacrifice ultime, et Zweig, incontestable témoin, vagabond de l'absolu."
Petrópolis serait le lieu de tous les commencements, l'endroit des origines, semblable à celui où l'homme est né et retournerait à la poussière, le monde primitif, inexploré et vierge, garanti d'ordre et de certitude, jardin du temps où régnait le printemps éternel. page 10
Ils avaient enfin trouvé un lieu où poser leurs bagages en cet automne 1941. Plusieurs semaines de suite, ils assisteraient du même endroit au coucher du soleil. Ils pourraient écrire à ceux qui les aimaient avec, au dos de leur lettre, une adresse où recevoir le courrier, une simple adresse - 34, rua Gonçalves Dias, Petrópolis, Brésil - comme ils n'en avaient plus connu depuis Londres. Mais , ils avaient fini par se lasser de Londres. page 12
Ils étaient devenus des gueux, ceux du peuple du Livre, ceux de la tribu des écrivains. La maisonnette de Petrópolis était à prendre comme le plus fastueux des palais. page 13
Oublier Salzbourg. Salzbourg était allemande. Vienne était allemande, Vienne , province du Grand Reich. L'Autriche n'était plus un nom de pays. L'Autriche, fantôme errant dans les esprits égarés. Corps mort. L'inhumation s'est déroulée sur l'Hedenplatz, sous les hourras d'un peuple acclamant le Fuhrer. L'homme venu redorer les rêves de grandeur , redonner son lustre et sa pureté à la Vienne enjuivée. L'Autriche s'était offerte à Hitler...On avait saccagé les magasins, incendié les synagogues, battu les hommes dans la rue, exposé les pieux vieillards en caftan, à la vindicte. Les livres avaient été brûlés - les siens, ceux de Roth, d'Hofmannsthal, de Heine...les enfants juifs avaient été expulsés des écoles, les avocats et les journalistes juifs déportés à Dachau. On avait édicté les lois, les lois interdisant aux Juifs d'exercer leur métier....page 14
Ce soir-là, dans la chambre de l'hôtel Wyndham, Stefan avait le regard noir des jours mauvais. Un autre de ses amis, Erwin Rieger, s'était donné la mort, à Tunis. Après Ernst Toller et Walter Benjamin et Ernst Weiss. Le vide se faisait autour de lui. Le passé disparaissait par fragments. page 39
Il avait été le premier des fuyards, il était le dernier des lâches, le dernier des hommes, le Dernier Zweig. page 42
Le temps n'avançait plus, le défilé des minutes et des heures s'était immobilisé, ce matin du 6 mars 1934 où il avait quitté l'Autriche. La grande pendule de la gare s'était arrêtée. Le temps s'était figé. Il se sentait rejeté de l'autre côté du monde. Tout lui avait été donné, tout lui avait été repris. Il n'avait sans doute pas le droit de s'abandonner dans cet état, de se laisser morfondre. Il était un privilégié. page 70
Il ne voulait plus penser à l'Allemagne, il espérait retrouver le sommeil. page 85
Cette petite fête d 'anniversaire pour ses soixante ans, était son idée (celle de Lotte) , mûrie dans le secret, de longue date. Elle avait hésité, s'était rétractée à plusieurs reprises. Elle se souvenait de ses paroles: " En tant qu'hommes, en tant que Juifs, nous n'avons pas le droit d'être heureux en ce moment. Nous ne sommes ni meilleurs ni plus précieux que ceux qui sont traqués en Europe." Elle redoutait sa réaction - il n'aimait pas les surprises, il détestait être fêté. Plus encore, il abhorrait
l'idée de célébrer son soixantième anniversaire. Le contraste entre le jour de ses cinquante ans et celui d'aujourd'hui était saisissant. Un e décennie l'avait transporté de la clarté aux ténèbres. Pour son cinquantenaire, il avait reçu au Kapuzinerberg des tonnes de courrier d'amis et de lecteurs du monde entier. Aujourd'hui, il était sans domicile fixe, ses livres étaient partis en fumée. Ce 28 novembre 1941 le terrorisait. Il avait soixante ans. Il se sentait devenir vieux. Encore quelques mois, et il aurait vécu plus longtemps que son père...page 94
Il n'avait pas dit la prière des morts pour sa mère, lui qui avait prononcé tant d'oraisons funèbres pour tant d'êtres chers, comme Rilke à Freud. Mais il ne savait pas prier en hébreu. Ses parents n'avaient souhaité lui apprendre la langue des ancêtres. Etre juif, à l'époque; qui s'en souciait à Vienne? page 101
Il écrivait comme il pensait...Au final, c'étaient toujours de semblables et courts récits de passions exclusives, d'amours irrépressibles, de déchaînements funestes...Son œuvre allumait une succession d'incendies dans les cœurs, ses héros se jetaient dans les flammes - tandis que lui brûlait de l'intérieur. Oui, quel que fût le sujet de ses fictions, c'était toujours un peu la même musique.Les personnages tentaient de résister à leur passion. Une fois qu'ils y avaient cédé, leur mauvaise conscience les faisait renoncer à la vie ou sombrer dans la folie. A ses yeux, son œuvre reposait sur un mécanisme trop simpliste: les feux de la passion, les flammes de l'enfer. page 108
...Les personnages de tes livres témoignent de la désintégration du monde...et pardonne-moi ma franchise, tes héros ne font que raconter ta propre blessure, dresser l'inventaire de ta longue dérive. Tu refuses de militer, de signer nos pétitions, de te battre avec les mouvements des exilés, ...Tu es engagé dans le processus de la destruction du monde. Tu t'es tellement assimilé à ce monde viennois, à cette culture de feu Mitteleuropa, qu'en la détruisant, les nazis t'ont brisé. page 111 (Feder un exilé juif qui habite près de chez Zweig à Pétropolis)
L'Amérique était entrée en guerre! Elle (Lotte) venait d'apprendre la nouvelle. L'évènement faisait la une des quotidiens...Roosevelt avait déclaré la guerre au Japon et à l'Allemagne. Tremble, Hitler, tes jours sont comptés. page 112
Elle se sentait maudite, (Lotte) punie de ses fautes, elle avait péché à Londres, elle avait convolé avec un homme marié, elle avait volé l'amour d'une femme, la colère de Seigneur s'élevait contre elle, elle avait péché, elle avait fui la guerre, tenté d'échapper à son destin, laissé les siens dans le malheur, elle n'avait point partagé le pain de la souffrance...page 137
Il avait longtemps hésité avant d'aller rendre visite à Bernanos, qui vivait ...à quelques heures de train de Persépolis...Il voulait voir un écrivain, parler avec un écrivain, retrouver le sentiment d'exister avec une âme-sœur - un autre auteur ayant choisi l'exil absolu. page 141
Oui, poursuivit Feder, tu écris avec une sorte d'empathie et de fascination pour son geste (Kleist) , tu donnes l'impression de faire l'éloge de son suicide. Tu ajoutes...qu'il fut le plus grand poète d'Allemagne parce que sa fin fut la plus belle. Tu sublimes cette mort atroce. page 159
Singapour est tombé. Singapour, dernier rempart de la civilisation, s'est rendu aux Japonais. Jamais on n'aurait pu imaginer. La forteresse anglaise et ses cent mille soldats! "Les Anglais ont perdu la guerre" , sous-titre le journal. Le dernier bastion est tombé. Maintenant, les barbares ont le monde à leurs pieds. page 178
Plus rien ne les retient au bord de l'abîme. Il est temps de quitter ce monde. page 179
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