lundi, janvier 15, 2018

BAKHITA ( Véronique OLMI)

"Elle a été enlevée à l'âge de cinq ans dans son village du Darfour et a connu toutes les souffrances de l'esclavage. Rachetée à l'adolescence par le consul d'Italie, elle découvre un pays d'inégalités, de pauvreté et d'exclusion.
Affranchie, elle entre dans les ordres et traverse le tumulte  des deux guerres mondiales  et vouant sa vie aux enfants pauvres.
Bakhita est le roman bouleversant  de cette femme exceptionnelle qui fut , tour à tour, captive, domestique, religieuse et sainte. Avec une rare puissance  d'évocation, Véronique Olmi en restitue le destin avec force et grandeur d'âme dont la source cachée puise au souvenir de sa petite enfance. "

Elle est née en 1869. Peut-être un peu avant. Ou un peu après , elle ne sait pas. Pour elle, le temps n'a pas de nom, elle n'aime pas les chiffres, elle ne lit pas les heures sur les horloges , seulement l'ombre projetée  des arbres.  Ceux qui lui ont demandé de raconter depuis le début, ont calculé son âge en fonction des guerres du Soudan. Page 20

Sa mère avait tant d'enfants . C'est comme ça  que toujours elle s'est souvenue d'elle , avec  des enfants  tenant ses mains, ses jambes, gonflant son ventre , suçant ses seins, endormis sur son dos. ...Elle a essayé de garder  les jolies images  de cette mère  d'avant la razzia. page 28

Esclave, elle ne sait pas exactement ce que c'est.  C'est le mot de l'absence , du village en feu, le mot après lequel il n'y a plus rien.  Elle  l'a appris et  puis elle a continué à vivre, comme font les petits enfants qui jouent  et ne savent pas qu'ils sont en train de grandir et  d'apprendre. page 30

Cet après-midi-là, son amie Sira  marche à ses côtés, elles paressent un peu pour aller chercher  cette herbe  demandée par la mère , il y a quelque chose d'indolent, le vent s'apaise, le soleil a perdu sa dureté et c'est peut-être  à cause de cette douceur  qu'elles sont, Sira et elle, si insouciantes et distraites. Elles voient deux hommes et elles ne se méfient pas. Ni poudre, ni fusil, ni cheval, ce sont deux hommes dont le village  n'est pas si éloigné. Des voisins. pages31, 32

Ils sont attachés les uns aux autres. Les hommes devant. Trois. Les chaînes au  cou des deux autres. Les femmes derrière.  Trois. Les chaines autour du cou. Reliées au cou des deux autres.  Tous sont nus, comme elle. Il ya aussi une petite fille , à peine plus âgée qu'elle , qui n'est pas attachée  et à côté de qui on la place , elles sont entre deux gardiens, elles ferment la marche.  page 44

Ceux qui n'ont pas d'esclave à vendre, vendent quelque chose qu'ils ont volé ou bien un membre de leur famille, Bakhita a vu ça une fois, dans ce village dépeuplé par la famine, ce jeune homme famélique qui avait proposé une petite fille, défigurée de maigreur. Les gardiens avaient craché au sol, pour qui il les prenait? Ils avaient cinglé la petite d'un coup de cravache et aussitôt, elle était tombée , preuve qu'elle ne valait rien.  page 49

On va décider  de qui partira pour la côte, l'immense marché de Khartoum, là où vivent trois grands marchands qui se partagent le trafic. Jusque là, ils n'ont fait que passer de main en main, d'intermédiaire en intermédiaire, la destination finale se rapproche. page 63

Et puis, soudain, il y a les champs. Au début, elles n'y croient pas (Bakhita et Binah) , tout est flou et irréel, ces champs, soudain, c'est comme une illusion. Le ruisseau, Binah l'entend  avant de le voir, un bruit qui cogne contre le vent, un tout petit bruit qui se mêle à son souffle large. ..Elles boivent longtemps, et quand elles n'ont plus soif, elles continuent de boire , jusqu'à vomissement, elles boivent comme des chevaux imprudents. Elles boivent et se lavent, sentent le flux glissant  et tiède de l'eau, les larmes de reconnaissance  se mêlent à l'eau de la rivière. page 77

Et soudain, Binah pousse Bakhita du coude: "C'est pas ta maman, là-bas? Ta maman. Là-bas?
La femme ne ressemble en rien à la maman de Bakhita, ni la taille, ni le visage, ni la couleur  de la peau et que ferait-elle ici,  dans ce village qui n'est pas le sien? ...Elles se taisent et se mettent à pleurer, découragées et déçues. page 80

Avec la caravane, elles marchent sur cette terre du Soudan ouverte sous le ciel immense et souillée par le troc et le trafic.  Elles marchent et Bakhita comprend que le temps de la fuite est un temps perdu (Elles ont tenté de fuir) , le monde des esclaves est le sien, mais il y a toujours , pour la maintenir en vie,  un espoir. page 92

La soif fait mal jusqu'à des endroits que Bakhita ne connaissait pas. Des endroits à l'intérieur d'elle qui se tordent , et ses jambes lui font tellement mal qu'on dirait qu'elles ne sont pas à elle. page 97

Après trois mille kilomètres de marche, la caravane arrive au centre du Soudan, au grand centre caravanier  d'El Obeid, la capitale du Kordofan. La vile vit du commerce  de la gomme arabique recueillie sur les acacias, et des esclaves qui vont vers l'Egypte  et la Mer Rouge. De cette ville où elle arrive épuisée, Bakhita gardera d'abord le souvenir du bruit. page 101
 
A El Obeid, plusieurs jours durant, on leur a donné à boire et à manger, on les a  lavés, on a tondu ou tressé leurs cheveux, tué leurs poux, coupé leurs ongles, on les a  vêtus d'un pagne, on a mis des pommades sur leurs plaies, de l'huile  de palme sous leurs pieds, on leur a fait boire des herbes amères et mâcher des racines terreuses, on leur a permis de dormir , maintenant ils peuvent être vendus. page 108
 
Depuis que le gouverneur britannique Gordon Pacha, pourtant au service de l'Egypte, tente d'éradiquer la traite, c'est l'apogée , le grand trafic , on ne suit plus le Nil avec les vapeurs pour prendre les  esclaves  et l'ivoire tout autour du fleuve, on va chercher la marchandise plus loin, en Ouganda, au Sud Soudan,  et au Sud Darfour, un bon vivier le Darfour mais il faut y aller, traverser les déserts, les rivières infranchissables, on meurt en route à l'aller et au retour. N'empe^che, le pays est gavé de gens à vendre ...page 112
 
A la porte d'entrée, un Noir se précipite au - devant de l'homme il se prosterne, La Sidi, mon maître, sa voix est atroce , aiguë et enfantine , il ouvre grand la porte de la maison , et à la suite du maître, elles rentrent . dans la montagne profonde. page 116
 
..;Et puis elles entrent dans la chambre des filles du maître, Sorahia et Radia. A peine plus âgées qu'elles. Allongées sur une ottomane, elles mangent des fruits du bout des dents , la pièce a de larges fenêtres sans vitres, ni persiennes , l'une donne sur la colline , l'autre sur la place du marché. page 117
 
C'est ainsi qu'a commencé la vie au service  des maîtres. Celui-là était le premier. C'était un chef arabe, un homme riche qui aimait acheter , trafiquer, connaissait out le monde  et toutes les combines , avait longtemps fait affaire avec le gouvernement égyptien...page 122
 
Bakhita est restée trois ans au service des petites maîtresses. page 128
 
Quand Balhita commence à vivre aux côtés des petites maîtresses, dans cette grande chambre aux divans profonds , pleine de tapis, de coussins, de matelas de soie, ses chillas posés à même le sol, de consoles dorées, de plateaux de faïence  et d'argent , cette chambre dans laquelle Sorahia et Radia dorment, mangent, jouent, reçoivent leurs amies,  quand elle commence à vivre au harem, Bakhita pense que son nouveau prénom lui va bien. Bakhita la Chanceuse. page 130

Bakhita parle aux poules, aux chiens, aux merles, aux dernières étoiles qui s'effacent dans la nouveauté du jour, parle au bois qu'elle ramasse, à l'eau, au vent, elle demande s'il est possible que la lune se souvienne de son nom et il lui semble que le dernier lieu paisible, le seul abri est là, dans cet instant où la nuit disparaît pour céder sa place au jour.
La maison du général est riche mais austère... page 147

L'esclave bat l'esclave. les esclaves obéissent aux ordres. Bakhita les entend jurer contre ces jengas, ces "négresses", c'est la hiérarchie de l'enfermement, il y a les esclaves d'en haut et ceux d'en bas. Bakhita, elle, à cause de  - ou grâce à - sa beauté , n'est pas la plus mal lotie. page 152

On transporte Bakhita et Hawa , évanouies  et en sang sur leurs nattes, où elles restent plus d'un mois ( elles ont été battues par deux soldats , le maître regarde la torture). Il leur est impossible de vivre ailleurs que dans la douleur . Elles ont envahies par la souffrance , au bord de l'inconscience , elles ne pensent plus à rien, elles souffrent. Il n'y a ni clémence , ni secours. page 162

L'homme qui l'a achetée est un général turc, il dirige des armées d'esclaves au service du gouvernement turco-égyptien qui tient le Soudan sous la loi. Ses milices d'esclaves, soldats font régner l'ordre et recouvrent l'impôt, raflent le bétail, et les hommes. page 150

En ces années 1880, ces maîtres restent sourds à la menace qui s'avance . Un homme, le mahdi, le sauveur de l'islam , chef  religieux soudanais , s'oppose à l'occupant égyptien. Au peuple asservi, il promet la libération du Soudan et le renouveau de l'islam. Le gouvernement turco-égyptien ignore la colère du peuple et sa force, puisque la force , toujours , a été de son côté, elle leur appartient, comme les hommes. page 163

Les troupes de Mahdi sont de plus en plus nombreuses. Les esclaves-soldats des maîtres rejoignent les armées, les hommes vont se battre pour leur pays. Les batailles sont sanglantes, les offensives de plus en plus nombreuses, le ventre de la révolte gronde. page 165

Les maîtresses ont beau continuer leur vie comme si leur vie était un règne, la femme du général a beau fouetter les esclaves chaque matin avant la première prière , le système finit par s'enrayer ...Et un jour, ça cesse. Un jour le général ordonne qu'on arrête de battre les esclaves. Puis il quitte El Obeid. Il s'en va, on ne sait où; mais cet ordre-là; l'ordre ne plus donner de fouet aux esclaves, est glaçant. Quelque chose se prépare, quelque chose va arriver, et aucun changement , jamais n'est en leur faveur. On cesse de les battre mais que va-t-il se passer après? leurs corps ne sont pas habitués à ne pas être battus. page 175

Le général a décidé de rentrer en Turquie. Lui et sa famille vont quitter le Soudan au plus vite. Les préparatifs se font dans une panique furieuse, les maîtres doivent laisser à El Obeid tout ce qu'ils possèdent. page 179
 
Elle est achetée pour la cinquième fois, achetée par un homme qui s'appelle Calisto Legnani, consul italien à Khartoum. Et cet homme va changer le cours de sa vie. page 186
 
Le consul ne se décourage pas, de sa voix courte et presque éteinte, il demande : Chez toi, quels étaient les animaux? ...Vous changiez souvent de village?...Vous marchiez?...Elle éclate en sanglots...Elle est perdue . Elle a perdu les siens.
- "Je veux t'aider, il n'y a pas de quoi pleurer" 3Ton nom? Comment tu t'appelles? Elle s'incline lentement vers lui...elle dit de sa voix grave, en détachant chaque syllabe : " Non lo so". Et elle quitte la pièce à reculons. page 194
 
Bakhita s'adapte aux mœurs nouvelles, à la langue nouvelle, bercée par les récits d'Anne qui lui dit que la femme du Signore Legnani écrit à son mari et le supplie de rentrer chez eux, dans ce pays où se parle l'italien et qui s'appelle Italie. page 198
 
Les Britanniques ont pris le contrôle du pays, ils l'administrent avec arrogance de ceux qui n'ont jamais perdu. Ni leurs conquêtes, ni leur orgueil. page 201
 
Calisto Legnani est le dernier  Européen à traverser le désert avant la chute de Khartoum, le 26 janvier 1885.Ils sont quatre à partir: lui, Bakhita, Indir et Augusto Michieli, un ami du consul qui connaît bien le Soudan. page 201
 
Le premier soir, elle n'allume pas sa lampe...Elle s'habitue à dormir dans le lit, avec la peur de tomber  et ce manque de la terre, ce manque du sol et de ses vibrations. Elle fait comme a dit le paron, des efforts. dormir comme les autres. Parler comme les autres. Ressembler aux autres. dans cette lutte permanente, cette vie d'adaptation et de grande honte, elle va rencontrer un homme, le premier homme après son père qui l'aimera vraiment . Cet homme sur sa route, comme une étoile tombée du ciel. IL s'appelle Signore Illuminato Checchini mais tout le monde l'appelle...Paron Stefano Massarioto. pages 234, 235
 
La mère supérieure demande à Madre Marietta Fabretti de s'occuper personnellement de la Moretta (Bakhita)  Cette sœur  de cinquante-quatre ans , assistante supérieure des catéchumènes, est une femme d'un naturel joyeux et douée d'une grande patience. page 314
 
Pendant un an, Bakhita va apprendre une nouvelle langue, de nouveaux rites, de nouvelles histoires, des prières, des paroles et des chants, elle va s'appliquer  à rejoindre celles avec qui elle vit. page 319

Le 9 janvier 1890, à Venise, le matin est clair, le soleil généreux, c'est le jour de son baptême. page 352

Le 7 décembre 1893, l'Eglise ouvre ses portes à celle dont l'esprit n'avait pas de maison. Ce temps de noviciat qui dure presque deux ans, Bakhita le vit à l'inverse  de ce qu'il est censé être : une épreuve. Pour elle c'est enfin , le temps de la délivrance. page 373

Les classes de l'institut n'ont plus d'élèves  et les orphelines sont parties à Bergame. Le 23 mai 1915, l'Italie est entrée en guerre aux côtés de la France, de l'Angleterre et de la Russie. page 429

C'est comme ça que ça a commencé. avec des hommes qui avaient besoin de se regrouper. Se battre?. Etre Italiens. Etre fiers , aussi. Virils. Et pour beaucoup violents. pour régner enfin. Dans son groupe, son camp,  son village, son pays. Et pour s'affranchir. Dans la bagarre. Le saccage. Le meurtre. L'alcool. La cocaïne et le sexe. C'était leur temps. Le temps d'une nouvelle Italie. Le temps de leur jeunesse...Ils s'habillaient de noir  et la couleur devenait un drapeau. Ils avançaient dans les rues et c'était la terreur... Ils avaient des gourdins, des poings américains, des poignards, des révolvers et des grenades...Mussolini entre dans Rome. Mussolini est nommé Premier ministre. Mussolini crée la milice. Ramène l'ordre. La discipline et le respect. la guerre a créé martyre et sacrifice , mais le temps est venu de dominer la Méditerranée, et de se faire une place au soleil; la réunification a fait l'Italie. Il est temps de faire les Italiens.
A l'institut les orphelines reviennent . Plus  nombreuses et plus jeunes que jamais. De toutes petites filles si maigres que les maladies les emportent sans même qu'on ait eu le temps de les soigner...Comment se nourrir, où trouver la nourriture, comment la payer, avec quoi, la vie a augmenté de 450 0/0   page 446
 
Nous sommes en 1930. les opérations militaires se sont intensifiées en Lybie. On a parqué les femmes ,  les enfants et les vieillards dans des camps autour de Benghazi. Ils y sont morts de maladie ou de malnutrition.  L'armée DE Mussolini a lancé sur la pays des gaz moutarde. c'est "la place au soleil", la" conquête de la Méditerranée".  C'est l'Afrique qui fait rêver le Duce et le peuple à genoux. L'Afrique des barbares et des mendiants pouilleux , dont la conquête  rendra aux Italiens leur honneur  et leur puissance perdue. page 452
 
Mussolini s'enivre  de sa propre  puissance, engage ses armées à soutenir les nationalistes du Général Franco., pour la défense de "la civilisation chrétienne".  page 488
 
C'est en juilllet 1938 que paraissent les lois raciales qui établissent les bases du régime faciste. page 492
 
Le samedi 8 février 1947, à l'âge de soixante-dix- huit ans , Madre Gioseffa, Margherita, Fortunata, Maria, Bakhita  meurt à Schio. page 508

 
 
 
 
 
 


 
 
 

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