jeudi, janvier 25, 2018

MERCY, MARY, PATTY (Lola Lafon)
 
En février 1974, Patricia Hearst, petite fille du célèbre magnat de la presse, William Randolph Hearst, est enlevée contre rançon par un groupuscule révolutionnaire dont elle ne tarde pas à épouser la cause, à la stupéfaction générale de l'establishment  qui s'empresse de conclure à un lavage de cerveau.
Professeure, invitée pendant un an dans une petite ville des Landes, l'Américaine Gene Neveva se voit chargée  de rédiger un rapport pour l'avocat e Patricia Hearst, dont le procès doit bientôt  à San Francisco. Un volumineux dossier sur l'affaire est confié à Gene. pour le dépouiller, elle s'assure de la collaboration d'une étudiante, la timide Violaine , qui a exactement le même âge que l'accusée et pressent que Patricia n''est pas vraiment la victime manipulée que décrivent les avocats.
Avec ce roman incandescent sur la rencontre  décisive de trois" femmes kidnappées" par la résonnance d 'un événement mémorable, Lola Lafon s'empare d'une icône paradoxale de la "story" américaine pour saisir ce point de   chavirement où l'on tourne le dos aux origines. Servi par une écriture incisive, Mercy, Mary, Patty s'attache à l'instant  du choix radical  et au procès au parfum d'exorcisme  qu'on fait subir à celles qui désertent la route pour la rocaille.

Les Hearst sont une des plus grandes fortunes du pays. page 30

A l'intérieur du manoir, des silhouettes faméliques vêtues de longues tuniques  glissent du salon aux chambres à coucher, les yeux fermés, palpant les murs, ils reniflent une blouse , un pull de Patricia, ces médiums de San Francisco embauchés par Hearst promettent que les émanations spirituelles de ce qu'elle a porté les conduiront rapidement à l'héritière. Les agents du FBI en costume gris d'un e qualité médiocre rentrent et sortent du manoir, un mouvement incessant à l'image  de la confusion qu'ils ne cherchent pas à dissimuler: soixante mille avis de recherche distribués, cinq mille personnes interrogées dans tout San Francisco, pour rien, pas un seul indice, ils n'ont aucune idée du lieu où se cachent ces inconnus, trois lettres mènent leur récit: SLA. page 31

Ses parents répètent, avec satisfaction, que  de Violaine, il n'y a rien à dire. Elle file droit. Pas d'alcool, pas de drogue, une chance. Ils s'amusent du sérieux de leur fille, la pressent d'être plus décontractée lorsqu'elle se déshabille  dissimulée sous une serviette de plage, il faudra qu'elle se dégourdisse elle-même, elle ne va pas passer ses week-ends à se promener seule en forêt come une gamine, ....Violaine est parmi les siens une intruse qui ne dit pas son nom que le grand air gagne come autant  de soifs, un air américain, le vôtre et celui d'une absente: Patricia. pages 43, 44

Peut-être que, depuis la France, l'affaire Hearst vous paraît simple: une  héritière adolescente ne saurait se transformer en révolutionnaire  de son plein gré et en moins de deux mois. Quant aux Hearst, ils sont prêts à tout pour sortir leur fille de prison, ils ne sont pas à 1000 dollars près, la somme que vous toucherez pour étayer la thèse de la défense: la conversion de la jeune fille à la cause de ses ravisseurs  n'en est pas une, Patricia a été victime d'un lavage de cerveau.  Par conséquent, elle ne serait être tenue pour responsable d'avoir participé à un hold-up en leur compagnie, ni d'avoir proclamé son allégeance à des thèses qualifiées par le FBI de "terroristes". page 53

Vous écrivez que l'incapacité  du FBI  à retrouver l'héritière est une indication de l'humeur américaine en  1974: ils ont beau frappé aux portes, les policiers, faire imprimer des flyers qu'ils distribuent aux étudiants de Berkeley, aux musiciens de Haight Ashbury, à ceux qui dérivent sur Valencia Street, ce mélange de vétérans estropiés de dix-huit ans et des gamins des beaux quartiers  sur les traces de Kerouac, les portes, en 1974, on les claque au nez des agents. Personne ne veut aider la police... Aujourd'hui, on la trouverait,  Patricia, par le biais d'une émission  de téléréalité  invitant les téléspectateurs à mener l'enquête eux-mêmes. Page 60
 
A une Violaine sidérée vous dites que ce qu'on va entendre maintenant  est un peu choquant. Le discours mais aussi le ton de Patricia....
Bande diffusée le 3 avril 1974 " J'aimerais commencer par préciser que c'est moi qui ai écrit  ce que je vais dire.  C'est ce que je ressens. On ne m'a jamais obligée à dire quoi que ce soit sur les bandes. Je n'ai pas subi de lavages de cerveau, n'ai pas été droguée, ni torturée , ni hypnotisée. Maman, papa, je voudrais commencer  par vos pseudo-efforts pour assurer ma sécurité: vos dons étaient une imposture.....Je suis vivante et je vais bien...J'ai changé, j'ai grandi. J'ai pris conscience de pas mal de trucs et ne pourrai jamais retourner à ma vie d'avant; ça l'air dur...On m'a donné le choix/ J'ai choisi de rester et me battre...On m'a donné  le choix entre : 1) être relâchée  dans un endroit sécurisé ou : 2) rejoindre la SLA et lutter pour ma liberté comme pour celle de tous les opprimés. J'ai choisi  de rester  et de me battre. Personne ne devrait  s'humilier à faire la queue afin d'être nourri, ni sans  cesse de craindre  pour sa vie et celle de ses enfants.  Papa, tu dis que tu t'inquiètes pour moi  ainsi que pour la vie des opprimés de ce pays, tu mens, et ,en tant que membre  de la classe dominante, je sais que tes intérêts et ceux de maman n'ont jamais servi les intérêts du peuple." Page 111
On m'a renommée Tania  en hommage  à une camarade de lutte qui a combattu aux côtés du Che  en Bolivie. J'embrasse ce nom avec détermination, je perpétuerai son combat...Je sais que Tania a  dédié sa vie aux autres...Page 112


 

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