dimanche, mars 18, 2018

LA LECON INTERROMPUE ( Hermann HESSE prix Nobel en 1946)
 
Les cinq nouvelles réunies  ici ont été écrites  au cours  d'une longue période , entre 1896 et 1949. Elles reflètent l'interminable quête de l'homme à la recherche de sa vérité, " le besoin impérieux de saisir les choses dans leur ensemble, d'en discerner les causes, la nostalgie d'un monde  harmonieux  et d'une certitude spirituelle.
Du jeu du miroir avec la nature  de "Mon enfance" à l'amour des livres  dans "Histoire  de mon Novalis", de la conscience  sociale du "Mendiant" aux premières amitiés de "Mon camarade Martin" et "La Leçon interrompue" Hesse explore  ses années  d'apprentissage avec une sensibilité inégalée.

L'ENFANCE ( 1896 - 1903)
L'époque  la plus reculée de mon existence dont je puisse me souvenir avec quelques précisions doit peu à près coïncider avec la fin de ma troisième année. Ce jour-là, mes parents m'avaient mené en promenade sur un escarpement couronné par une ruine d'une étendue et d'une hauteur considérable et qui attirait chaque jour de nombreux citadins. Mon jeune oncle me souleva au-dessus de la balustrade d'un mur  assez élevé et me fit regarder dans le vide qui s'ouvrait à mes pieds. Je fus  alors saisi d'angoisse et de vertige et, dans mon  émoi, je me mis à trembler de tout mon corps, jusqu'à ce qu'on me ramenât à la maison où je fus mis au lit. A dater de ce jour, je fus souvent la proie de rêves angoissés où je revoyais cet abîme et qui me serraient le cœur au point que je gémissais en rêvant et me réveillais tout en larmes. page 18

Il faut ranger parmi les imperfections et les carences  de la vie humaine le fait que notre enfance doive nous devenir étrangère  et tomber dans l'oubli comme un trésor qu'on laisse échapper  en jouant, qui passe par-dessus la margelle d 'un puits et disparaît dans l'eau profonde . page 25

...les récits de ma mère jetaient d'innombrables ponts entre la réalité et ma rêverie et lui ouvraient des mondes variés....A côté des récits de la Bible, dont la résonance et la signification me demeuraient inaccessibles, je me suis largement abreuvé à la source des contes.  pages 29, 30
 
L'existence de bien des personnes gagnerait  en sérieux,  en probité, en déférence, si elles conservaient en elles, au-delà de leur jeunesse, quelque chose de cet esprit de recherche et de ce besoin de  questionner  et de définir.  Qu'est-ce qu'un arc-en-ciel? Pourquoi le vent gémit-il?  D'où vient que les fleurs des prés se fanent  et que ces prés refleurissent? Pourquoi  sommes nous riches alors qua notre voisin le ferblantier  est pauvre? Où le soleil va-t-il le soir?
Souvent quand ma mère était à bout de patience ou de savoir, mon père répondait à mes questions avec complaisance et une finesse sans égales. Page 35
 
Tandis que je pensais  à mon entrée prochaine ( à l'école) dans la vie réelle, j'avais  d'autre part l'impression très vive que j'allais  faire mes adieux à beaucoup de choses, et dans un état de demi-conscience, je revenais avec nostalgie  à ces jours de liberté et de profonde rêverie que j'avais vécus  jusqu' alors. page 41
 
La fréquentation de l'école marqua le commencement  de ma vie sociale  et de mes rapports avec les autres. page 42

Un souvenir d'enfance, lié pour moi à l'odeur des champs fraîchement labourés  et à la verdure naissante  des bois, me revient  chaque printemps à la mémoire  et me force à revivre  pour quelques heures cette époque presque insaisissable  et à demi oublié de ma vie. page 59
 
HISTOIRE DE MON NOVALIS ( 1900)
Lorsque je feuillette les œuvres de quelque ancien poète et que je palpe entre le pouce et l'index le papier lisse, vieilli et familier d'une première édition de Claudius, de Jean-Paul, de Tieck ou de Hoffmann, je ne puis m'empêcher de penser à ces générations disparues pour lesquelles ces pages jaunies ont un jour représentée l'actualité, la vie, l'émotion et la liberté. page 96
 
Ces quelques livres me réconfortent en me parlant du mystère de l'amour, de ce qui demeure à travers la vicissitude des temps. Lorsque je me sens seul, ils me font voisiner avec ces défunts qui ont été leurs amis et dont les figures réapparaissent, formant une chaîne à laquelle je me joins de bon cœur  et avec reconnaissance . page 100
 
Un parfum de jeunesse  émanait de cet être dont l'ingénuité n'avait pas encore  été altérée par ces grandes douleurs qui donnent  la consécration de la maturité. page 120
 
...Nous éprouvons  un plaisir assurément non partagé et mélancolique, mais un plaisir tout de même, c'est -à -dire un sentiment  un peu plus fort de notre existence et de notre raison d'être, nous n'avons pas à nous plaindre, bien que nous comprenions tout à fait  ceux de nos confrères qui, lassés de leur isolement, cèdent au désir nostalgique de communauté, d'ordre, de clarté et d'adaptation au monde et se réfugient  dans la sécurité que procurent l'Eglise et la religion ou au moderne succédané. Nous autres qui suivons notre propre  chemin et qui sommes d'irréductibles non-convertis, notre solitude ne nous  vaut pas que des malédictions et des châtiments, nous nous trouvons malgré tout en elle une certaine possibilité de vivre, ce qui signifie , pour l'artiste, une possibilité de créer. Page 144
 
Ma solitude n'est ni bordée, ni vide; certes, elle ne me permet pas de vivre à l'intérieur  de l'une des formes d'existence reconnues valables aujourd'hui, mais en revanche , elle me donne toute possibilité de choisir ...Mais surtout, cette solitude  est le contraire du vide. Elle est pleine d'images..Page 146
 
LE MENDIANT ( 1948 )
Un homme s'avançait à notre rencontre; il avait l'air assez pitoyable et un peu inquiétant. C'était quelqu'un de plutôt jeune, barbu ou plus exactement non rasé depuis longtemps; contrastant avec  la teinte foncée de ses cheveux et de ses poils, ses joues et ses lèvres semblaient d'un rouge vif; ses vêtements et sa tenue avaient quelque chose de négligé et de farouche qui éveillait  en nous autant d'effroi que de curiosité.  page 167
 
Mon père  répondit gentiment au salut qu'il avait marmonné et, tandis que l'arrêt de la voiture réveillait le petit qui ouvrit lentement les yeux, toute mon attention se concentra sur la scène qui se jouait entre ces deux hommes apparemment étrangers l'un à l'autre. Avec plus d'acuité encore que de coutume, je sentis l'opposition profonde entre le dialecte de l'un et le langage châtié , rigoureusement accentué de l'autre, contraste qui faisait apparaître à mes yeux la cloison qui séparait mon père du milieu dans lequel il vivait. D'autre part, c'était très beau de voir avec quelle politesse l'homme interpellé accueillait le mendiant, sans faire le moindre geste de dénégation, sans esquisser un mouvement de recul, s'adressant à lui comme à un frère. page 168

MON CAMARADE MARTIN ( 1949 )
...C'est alors que nous nous sommes retrouvés, Martin et moi, et que nous fûmes tout heureux de nous revoir, car l'un et l'autre, nous étions arrivés à ce moment de l'existence  où la rencontre  avec un ami d'enfance est l'occasion d 'évoquer le temps où l'on était un jeune garçon n'est déjà plus quelque chose de banal; mais un événement exceptionnel, une vraie  aubaine, bref, une petite fête. page 183

L'écriture de Martin, elle aussi, avait souvent fait l'objet de mon admiration et de mon envie. Ses cahiers avaient un aspect ordonné, propre, agréable à regarder; un esprit d'ordre, de symétrie et d'harmonie régnait dans le tracé des caractères, dessinés avec plaisir et une complaisance visible, ainsi que la répartition de leurs colonnes  sur le champ d'exercice  de la page ...page 192

LA LECON INTERROMPUE. (1948)
Dans cette salle de classe que nous n'aimions guère, nous autres écoliers du collège classique de Calw, nous étions, un matin, occupés à quelque travail écrit....Le silence régnait dans la classe qui sentait l'encre, les garçons  et le cuir de soulier, à de rares intervalles, se produisait  un bruit libérateur: ma chute d'un livre sur le plancher de sapin  poussiéreux, le chuchotement  d'une conversation clandestine, le hoquet d'un fou rire étouffé à grand- peine qui obligeait chacun à regarder autour de lui, aucun de ces bruits n'échappait à l'homme qui trônait  devant nous...page 212
 
"Tu vas me faire une commission, dit-il  en me remettant le livret bleu. Ceci est le carnet de notes de Weller. Prends-le et va trouver ses parents. Tu leur diras que je leur fais demander si la signature qui s'y trouve est réellement de la main de son père". ... Le miracle s'était produit. En plein milieu de cette ennuyeuse leçon, le professeur avait eu l'idée de m'envoyer en promenade, dans la belle clarté du matin. J'étais sous le coup de  la surprise et du bonheur...;page 225

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