mardi, mars 06, 2018

LA TRESSE (Laetitia Colombani) 2018

Trois femmes, trois vies, trois continents. Une même soif de liberté.
INDE: Smita est une Intouchable. Elle rêve de voir sa fille échapper à sa condition misérable et entrer à l'école.
SICILE: Giula travaille dans l'atelier de son père. Lorsqu'il est victime d'un accident, elle découvre que l'entreprise familiale est ruinée.
CANADA: Sarah, avocate réputée, va être promue à la tête de son cabinet  quand elle apprend qu'elle est gravement malade.
Liées sans la savoir par ce qu'elles ont de plus intime, Smita, Giula et Sarah refusent le sort qui leur est réservé et décident de se battre. Vibrantes d'humanité, leurs histoires tissent une tresse d'espoir et de solidarité.
 
Smita s'éveille, avec un sentiment étrange, une urgence douce, un papillon inédit dans le ventre. Aujourd'hui est une journée dont elle se souviendra toute sa vie. Aujourd'hui, sa fille va entrer à l'école.
A  l'école, Smita n'y a jamais mis les pieds. Ici, à Ballapur, les gens comme elle n'y vont pas. Smita est une Dalit.  Intouchable. De ceux dont Gandhi appelait les enfants de Dieu. Hors caste, hors système, hors tout. Une espèce à part, jugée trop impure pour se mêler aux autres, un rebut indigne qu'on prend soin d'écarter. page 15
...Le père de Smita  n'était pas un homme bon comme Nagarajan, il était irascible et violent. Il battait son épouse , comme tous le font ici. Il le répétait souvent: une femme n'est pas l'égale de son mari, elle lui appartient. Elle est sa propriété, son esclave. Elle doit se plier à sa volonté. Assurément, son père aurait préféré sauver sa vache , plutôt que sa femme. page 19

Giula. Voilà près d'un siècle que sa famille vit de la cascatura, cette coutume sicilienne ancestrale qui consiste à garder les cheveux qui tombent ou que l'on coupe, pour en faire des perruques ou postiches.
Le jour de ses seize ans, Giula a choisi de quitter le lycée pour rejoindre son père à l'atelier. page 26

Lorsqu'elle lit, Giula ne voit pas le temps passer . page 29.

Sarah. Mère de famille, cadre supérieur, working-girl, it- girl, wonder-woman, autant d'étiquettes que les magazines féminins collent sur le dos des femmes qui lui ressemblent , comme autant de sacs pesant sur ses épaules. page 31

A huit heures précisément, elle gare sa voiture dans le parking, devant le panneau portant son nom: Sarah Cohen, Johnson and Lockwood. page 32

Lorsqu'elle se regardait dans le miroir, Sarah voyait une femme de quarante ans à qui tout avait réussi: elle avait trois beaux enfants, une maison bien tenue dans un quartier huppé, une carrière que beaucoup lui enviaient. page 40

Smita. C'est aujourd'hui. Il ne faut pas être en retard. Dans la cour, derrière la cahute, Smita aide Lalita à se laver....Elle lui tend le sari qu'elle a cousu pour elle, des nuits durant. Une voisine lui a offert le tissu. Elle n' a pas les moyens  d'acheter l'uniforme  que portent ici les écoliers , mais qu'importe. Sa fille sera belle pour son entrée à l'école, se dit-elle. page 40
Smita... dessine sur le front un rond rouge  vermillon. ( le troisième œil) Il faut que le cercle soit parfait, c'est une technique délicate...Page 45

Giula. C'est donc vrai. Le papa  a eu un accident la veille, pendant sa tournée. pour une raison inexpliquée, sa Vespa a quitté la route. ...Il est entre la vie et la mort. page 50
Aujourd'hui, on fête Santa Rosalia...Giula n'a pas le cœur à la fête...Il faut prier dit la mamma. page 51
Profitant que sa mère s'arrête pour saluer une voisine qui s'enquiert de l'état du papa, Giula s'écarte du défilé. Elle se réfugie dans une ruelle à l'ombre, pour se rafraîchir à l'eau d'une fontaine...Deux carabinieri en uniforme apostrophent un homme, à la peau sombre. De forte stature, il porte un turban noir, que les gardiens de l'ordre le somment d'enlever.  page 53

Sarah. Sarah vient de tomber . Dans la salle du tribunal, au  milieu d'une plaidoirie. page 55

Smita. En entrant dans la cahute, Smita remarque immédiatement l'expression de sa fille. ...Lalita est assise dans un coin, les genoux serrés contre sa poitrine. Elle a le regard fixe , rivé au sol. Sur son visage, une expression  que sa mère ne connaît pas, un mélange indéfinissable de colère et de tristesse pages 64, 65
Le sari neuf..qui a fait sa fierté est déchiré, abîmé, souillé. Smita tressaille , en découvrant le dos de l'enfant : il est zébré de marques rouges. Des traces de coups. la peau est fendue par endroits, à vif...
- Qui t'a fait ça? Dis-moi! qui t'a frappée?
- Le maître....
- Pourquoi? ...
- Il voulait que je balaie la classe...
- Qu'est- ce que tu dis? !
- Il voulait que je balaye devant les autres .J'ai dit non ; pages 68, 69

Sarah. En face d'elle, le médecin a des sourcils noirs et broussailleux....La taille d'une mandarine dit-il. C'est là. C'est bien là. Sarah a pourtant tout fait pour reculer l'échéance, ne pas s'avouer la douleur lancinante, la fatigue extrême. Elle en a chassé l'idée à chaque fois qu'elle se présentait. page 83
A la fin de l'entretien, il lui demande si elle a des questions. Sarah secoue la tête et sourit, de ce sourire qu'elle connaît bien et affiche en toutes circonstances, ce sourire qui veut dire:  ne vous en faîtes pas, ça ira. page 84
Elle brosse à grands traits sa stratégie d'attaque de la maladie. Elle ne va rien dire. A personne. Au cabinet, nul ne doit savoir. page 85

Smita. Une pensée s'est imposée à Smita, comme une injonction du ciel. Il faut quitter le village. Lalita ne retournera pas à l'école après qu'elle a refusé de balayer la classe  devant ses camarades. page 87

Giula. Kamal et Giula se voient tous les jours à présent. Ils ont pris l'habitude de se retrouver à la bibliothèque à l'heure du déjeuner. page 96
Kamal est un être mystérieux. Giula ne sait rien de lui, ou si peu. Il n'évoque jamais sa vie d'avant, celle qu'il a dû abandonner pour venir ici. page 99

Smita. Elle part cette nuit. Elle l'a décidé. ou plutôt; la vie l'a décidé pour elle.  page 115
Elle s'agenouille devant le petit autel consacré à Vishnou, et prie pour implorer sa protection. page 116

Giula. Giula s'attendait à tout sauf à ça.
Le contenu du tiroir est là, étalé devant elle, dans le bureau du papa: des lettres d'huissier, des injonctions de payer, des courriers recommandés à n'en plus finir. La vérité la frappe comme une gifle. elle tient  en un mot: la faillite. L'atelier croule sous les dettes. La maison Lanfredi est ruinée. page 122
 
Sarah. C'est maintenant officiel, tout le monde le sait: Sarah Cohen est malade.
Malade , autant dire vulnérable, fragile, susceptible de laisser tomber un dossier, de ne pas se donner à fond sur une affaire, de prendre un congé longue durée.
Malade, autant dire: pas fiable, sur qui on ne peut compter. Pire, qui peut vous claquer dans les doigts dans un mois, u n an, qui sait? Sarah l'entend un jour dans un couloir, cette phrase terrible, à peine chuchotée: oui, qui sait? page 132
 
Smita. Smita fuit, la petite main de Lalita dans la sienne, à travers la campagne  endormie....Dépêche-toi! Elles doivent rejoindre la grande route .  page 135
 
Non loin, la femme en blanc est en train de donner des biscuits secs à ses enfants. Elle s'approche  et leur propose de partager son repas. Smita lève les yeux vers elle, surprise; elle n' a pas l'habitude  qu'on lui vienne en aide. Lacksmama et ses jeunes fils sont en partance pour Vrindavan, une petite ville au sud de Delhi, connue comme la ville des veuves blanches. Elle confie avoir perdu son mari, il y a quelques fois, décédé de la grippe. Après sa mort, elle a été rejeté par sa belle-famille chez qui elle vivait. page 146
 
Giula. Lorsque Giula a annoncé à sa mère et à ses sœurs que l'atelier était ruiné, Francesca  s'est mise à pleurer. Adela  n'a rien dit. La mamma est restée silencieuse, avant de s'effondrer. page 149
 
Elle va devoir annoncer la fermeture de l'atelier aux ouvrières. elle sait que c'est à elle de la faire., elle ne peut compter ni sur ses sœurs, ni sur sa mère. page 155

Sarah. Sarah le sait maintenant: elle est stigmatisée. dans cette société qui prône la jeunesse et la vitalité, elle comprend que les malades, les faibles n'ont pas leur place. Elle qui appartient  au monde  des puissants est en train  de basculer, de changer  de camp. page 160

Smita. Elle rassemble leurs affaires à la hâte - elle a dormi sur leur sac , pour le protéger des voleurs. Elle attrape la main de Lalita, et s'élance en direction des wagons de troisième classe. page 167

Giula. "J'ai peut-être la solution, dit-il (Kamel) , pour l'atelier. ...Si le code des Sikhs leur interdit  de se couper les cheveux, il n'est pas de même pour les Hindous , dans son pays. Eux les coupent au contraire, par milliers, dans les temples en offrande à leurs divinités. ...Les cheveux, eux, sont ramassés et vendus sur les marchés. certains ont même fait commerce de cette activité. Si la matière première vient à manquer ici, conclut-il, il faut aller la chercher là-bas. Importer. La seule façon de sauver l'atelier. page 174

Smita. Pour se rendre au temple...3600 marches , environ 15 kilomètres, trois heures d'effort! ...Vishnou a veillé sur elles. Il les a menées jusqu'ici. page 180

Sarah. Voici trois jours que Sarah ne sort plus de son lit. Sarah a toujours été  maîtresse de ses choix, des orientations de sa vie, elle était une exécutive woman come on dit ici...Dorénavant, elle subit. page 184
Ils lui disent tous: "sois forte, ils lui disent "tu vas t'en sortir", ils disent  "on est tous avec toi" mais leurs gestes indiquent le contraire. page 185
Ses cheveux , plus que tout, la désolent. Elle les perd maintenant par poignées...Un homme  rasé peut être sexy, un e femme  chauve sera toujours malade.  page 191
Sarah quitte la maison. c'est aujourd'hui, elle l'a décidé. Elle sait  exactement où aller. page 192

Smita. A la vue de ces centaines de têtes rasées à la chaîne, Lalita prend peur. Elle se met à pleurer. Elle ne veut pas donner ses cheveux, elle les aime trop....Leur tour arrive. Le barbier fait signe à Smita d'avancer. Celle-ci s'exécute avec dévotion...Tandis que les mèches tombent, une à une, à ses pieds, Smita ferme les yeux....Lorsque Smita ouvre les yeux, son crâne est lisse comme un œuf...Lalita s'avance à son tour devant le barbier...En changeant la lame, l'homme jette un coud d'œil  admiratif à la tresse de la fillette, qui lui descend jusqu'à la taille....page 204

Giula. Les ouvrières ont été invitées à choisir entre une nouvelle orientation de l'atelier, impliquant l'importation de cheveux indiens, ou sa fermeture et un licenciement négocié, une maigre prime leur étant concédée...Par sept voix contre trois, la majorité a tranché....Par l'intermédiaire de Kamal, elle a  noué un contact en Inde...Aujourd'hui, Kamal  se tient près de Giula. Il a tenu à l'accompagner à l'aéroport....Giula se dit  que leur avenir est, tout entier, dans la soute de cet avion de marchandises....Elle saisit une mèche délicatement; des cheveux longs, très longs, noir de jais. Des cheveux de femmes assurément. pages 208, 209, 210
 
Sarah. Le moment venu est arrivé. Sarah marche vers le salon dans les rues enneigées. Elle aurait pu prendre un taxi, mais elle a choisi de marcher...;Aller là-bas, cela veut dire beaucoup, cela signifie: accepter enfin sa maladie. Ne plus la rejeter, ne plus la nier...Elle pousse la porte du salon. Une femme élégante l'accueille poliment..."Je vais vous montrer nos modèles"....La femme attrape la troisième boîte. Elle contient un dernier modèle, en cheveux humains précise-t-elle....Des cheveux indiens, indique le femme. Ils ont été traités, décolorés et teints en Italie, en Sicile exactement, puis fixés cheveu par cheveu, sur une base en tulle dans un petit atelier...80 heures de travail pour 150 000 cheveux environ. Un produit rare. de la belle ouvrage comme on dit dans le métier......Elle portera la perruque dès aujourd'hui...Devant son image dans la glace,  Sarah est prise d''une certitude: elle va vivre. Elle va voir grandir ses enfants. Elle les verra adolescents, adultes, parents....Elle apprendra à vivre autrement, elle profitera de ses enfants, posera des jours de congé...Elle ne sera plus jamais une femme coupée en deux. pages 213, 214, 215
 
En s'éloignant du salon, Sarah pense à cette femme du bout du monde, en Inde, qui a donné ses cheveux, à ses ouvrières siciliennes qui les ont patiemment démêlés et traités. A celle qui les a assemblés...page 220




 







 

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