mercredi, février 28, 2018

DES SOURIS ET DES HOMMES ( John Steinbeck) 1937
 
 Le chef - d'œuvre de John Steinbeck, prix Nobel, 1962
"L'amitié informe et invincible nouée entre Lennie, le doux colosse innocent aux mains dévastatrices, et son copain George, petit homme aigu, a une beauté, une puissance de mythe" Joseph Kessel

"Ce livre est bref. Mais son pouvoir est long. ce livre est écrit avec rudesse, et souvent grossièreté. Mais il est tout nourri de pudeur et d'amour. ...L'écrivain s'est borné à reproduire les contours les plus simples, à répéter des paroles banales et vulgaires. Et à travers cette indulgence, cette négligence barbares, il accomplit le miracle...Le livre, une fois fermé, ses personnages en nous, pas seulement avec leurs visages, leurs épaules, leurs rires, leurs gémissements et leurs meurtres, mais avec leur identité la plus secrète, leur plus souterraine vérité..."Joseph Kessel
 
Le titre est emprunté à un poème de Robert Burns: " the best laid schèmes o'mice an'men gang aft a-Gley" "les plans les mieux conçus des souris et des hommes souvent ne se réalisent pas " Ainsi, George et Lennie n'auront jamais la petite ferme dont ils avaient pourtant si bien imaginé tous les détails. page 21
 
Ils avaient descendu le sentier à la file indienne, et, en même en terrain découvert, ils restaient l'un derrière l'autre. Ils étaient vêtus tous les deux de pantalons et de vestes de serge de coton bleue à boutons de cuivre. Tous deux étaient  coiffés de chapeaux noirs informes, et tous deux portaient, sur l'épaule, un rouleau serré de couvertures. L'homme qui marchait en tête  était petit et vif, brun de visage, avec des yeux inquiets et perçants, des traits marqués. Tout en lui était défini: des mains petites et fortes, des bras minces, un nez fin et osseux. Il était suivi par son contraire, un homme énorme, à visage informe, avec de grands yeux pâles et de larges épaules tombantes. Il marchait lourdement, en traînant un peu les pieds comme un ours traîne les pattes. Ses bras, sans osciller, pendaient, ballants à ses côtés.  page 29
 
"Tu vas me donner cette souris ou bien c'est-il que tu veux mon poing sur la gueule. - Te donner quoi George?
- Tu le sais foutre bien. je veux cette souris.
A contrecoeur, Lennie chercha dans sa poche. Sa voix chevrota légèrement .
"J'sais pas pourquoi j'peux pas la garder. Elle n'est à personne, cette souris. J'l'ai pas volée. J'l'ai trouvée morte sur le bord de la route. "
La main de George restait impérieusement tendue . Lentement, comme un terrier qui ne veut pas rapporter la balle à son maître, Lennie s'approcha et recula, s'approcha encore. George fit claquer sèchement ses doigts et, à ce bruit, Lennie lui mit la souris dans la main.
- J'faisais rien de mal avec elle, George. J'faisais que la caresser.
Goerge se leva  et jeta la souris aussi loin qu'il put dans l'ombre des fourrés, puis il s'approcha et se lava les mains.  page 37

Lennie s'agenouilla et, par-dessus le feu, observa la colère de George. Et la terreur lui crispait le visage.  - Et  qu'est-ce-que je fais? continua George, furieusement. J'ai toi! Tu n'peux pas garder un métier, et tu me fais perdre toutes les places  que je trouve. Tu passes ton temps à me faire balader d'un bout du pays à l'autre. Et ce n'est pas encore ça le pire. Tu t'attires des histoires. Tu fais des conneries, et puis, il faut que je te tire d'affaire.
Sa voix s'élevait presque  un cri.
-Bougre de loufoque! Avec toi, j'sors pas du pétrin.
Il se mit alors à parler comme font les petites filles quand elles s'imitent les unes les autres.
- J'voulais rien que lui toucher  sa robe à cette fille..j' voulais rien que la caresser  comme si c'était une souris...page 40

- J'veux que tu restes avec moi, Lennie. Nom de Dieu, on te prendrait pour un coyote et on te tuerait si t'étais seul. Non, faut rester avec moi. Ta tante, Clara aimerait pas te savoir à courir tout seul, comme ça, même quand elle est morte.
Lennie dit avec astuce:
-Raconte-moi...comme t'as fait d'autres fois.
-Te raconter quoi. ?
 - Les lapins. George trancha.
 - Faut pas essayer de me faire marcher.
Lennie supplia:
-Allons George, raconte-moi. je t'en prie, George. Comme t'as fait d'autres fois.
- ça ta plaît donc bien. C'est bon, j'vais te raconter  , et puis ensuite, on dînera.
La voix de George se fit plus grave. Il répétait ses mots sur un certain rythme, come il avait déjà dit cela plusieurs fois.
 - Les types, comme nous, qui travaillent dans les ranches, y a pas plus seul au monde. Ils ont pas de famille. Ils ont pas de chez-soi. Ils vont  dans un ranch, ils y font un peu d'argent, et puis, ils vont en ville  et ils dépensent tout...et pas plus tôt fini, les v'là à s'échiner dans un autre ranch. Ils ont pas de futur devant eux....
George continua:
- Pour nous, c'est pas comme ça. Nous, on a un futur. On a quelqu'un à qui parler, qui s'intéresse à nous. On a pas besoin de  s'asseoir dans un bar pour dépenser son pèze, parce qu'on a pas d'autre endroit où aller....
- Ben voilà. Un  jour, on réunira tout not'pèze et on aura une petite maison et un ou deux hectares et une vache  et de cochons et...
- On vivra  comme des rentiers , hurla Lennie. et on aura des lapins. continua George...pages 43, 44
 
George souleva son matelas et regarda dessous. Il se pencha au-dessus et inspecta la toile, soigneusement. sans plus tarder, Lennie se leva et fit la même chose à son lit. Finalement, George sembla satisfait. Il déroula son ballot, posa es affaires sur l'étagère, son rasoir, un morceau de savon, son peigne, un flacon de pilules, son liniment et son bracelet en cuir. Ensuite, il fit soigneusement son lit avec ses couvertures. Le vieux dit:
- J'pense que l'patron va être ici dans une minute. Sûr qu'il était en rogne quand il n'vous a pas vue ce matin....page 54
 
- Le Curley (le fils du  patron) me fait tout l'effet d'un enfant de garce. J'aime pas les petits hargneux.
- Il me semble qu'il est pire depuis quelque temps, dit le vieux. Il s'est marié, il y aune quinzaine. sa femme habite là-bas, chez le patron. Il semble que Curley est plus arrogant depuis qu'il est marié.
George grogna:
- C'est pour faire de l'esbroufe devant sa femme.
Le vieux s'intéressait à son potin....
- Attends que t'aies vu la femme de Curley.
....-Ben, elle n'a pas froid aux yeux...J'l'ai vue faire de l'œil à Slim...Et j'l'ai vue faire  de l'œil à Carlson.  page 64
 
Les deux hommes levèrent les yeux car le rectangle de soleil de la porte s'était masqué. Debout, une jeune femme regardait dans la chambre. Elle avait de grosses lèvres enduites de rouge, et des yeux très écartés fortement maquillés. Ses ongles étaient rouges. Ses cheveux pendaient en grappes bouclées, comme de petites saucisses. Elle portait une robe de maison en coton, et des mules rouges, ornées  de petits bouquets de plumes d'autruche rouges.
- Je cherche Curley, dit-elle.
 Sa voix avait quelque chose de nasal et de cassant.
George détourna les yeux puis la regarda de nouveau.
- Il était ici il y a une minute, mais il est parti.
- Oh... C'est vous les nouveaux qui venez d'arriver?
- Oui.....page 68
 
Lui et moi (George et Lennie) on est nés  tous deux à Auburn. J'connaissais sa tante Clara. Elle l'a pris quand il était bébé et elle l'a élevé. Quand sa tante Clara est morte, Lennie est venu travailler avec moi. Puis au bout de quelque temps, on s'est comme qui dirait habitués l'un à l'autre. page 81
 
George?
- Quoi?
- George, dans combien de temps c'est-il qu'on aura cette petite maison où qu'on vivra comme des rentiers... et des lapins?
- J'sais pas dit George. faut d'abord qu'on ramasse du pèze. j'connais un petit endroit qu'on pourrait avoir pour pas cher, mais on n'le donner pas pour rien....Et nous pourrions avoir quelques cochons. J'pourrais construire un fumoir, comme celui qu'avait grand'père, et, quand on tuerait le cochon, on pourrait fumer du lard et le jambon, et faire du boudin et un tas d'autres choses. Et quand le saumon remonterait la rivière, on pourrait en attraper un cent et les saler et les fumer. A la saison des fruits, on pourrait faire des conserves...les tomates, c'est facile  à mettre en conserve. Tous les dimanches, on tuerait un poulet ou un lapin. Peut-être, qu'on aurait une vache ou une chèvre, et de la crème si épaisse qu'il faudrait la couper au couteau et la prendre avec une cuillère...Nous aurions notre propre maison qui serait à nous, et on ne dormirait plus dans une chambrée...Oui, oui, on aurait une petite maison e tune chambre pour nous autres. Un petit poêle tout rond, et l'hiver, on y entretiendrait le feu. Y aurait assez de terre pour qu'on soit pas obligé de travailler  trop fort....pages 103, 104

George se leva.
- On le fera, dit-il. On l'arrangera cette bonne vieille maison, et on ira y habiter.
Il se rassit. Ils étaient tous assis, immobiles, hypnotisés par la beauté des choses, l'esprit tendu vers le futur, quand cette chose adorable viendrait à se réaliser. page 107

"Pourquoi tu ne lui dis pas de rester chez elle, là où elle devrait être? dit Carlson ( à Curley). Laisse-la traîner come ça  autour des chambrées, et, dans pas longtemps, t'auras quelque affaire sur les bras, et puis tu pourras rien y faire. page 109

"Pourquoi qu'on n'veut pas de toi? dit Lennie.
- Parce que je suis noir. Ils jouent aux cartes, là-bas, mais moi, j'peux pas jouer parce que je suis noir. Ils disent que je pue. Ben , j'peux te le dire, pour moi, c'est vous qui puez". page 119

- "George peut te dire un tas de conneries, et ça n'a pas d'importance. Ce qui compte, c'est parler. C'est être avec un autre. Voilà tout. "(Crooks, le Noir)
...Maintenant, tu comprends peut-être. Toi, t'as George. Tu sais qu'il va revenir. Suppose que t'aies personne. Suppose que tu n'puisses pas aller dans une chambre jouer aux cartes parce que t'es un nègre. Suppose que tu sois obligé de rester assis ici, à lire des livres. Bien sûr, tu pourrais jouer avec  des fers à cheval jusqu'à la nuit, mais après, faudrait que tu rentres lire  tes livres. Les livres, c'est bon à rien. Ce qu'il faut à un homme,  c'est quelqu'un...quelqu'un près de lui....
Imagine ici un type ici, tout seul, la nuit, à lire des livres peut-être bien , ou à penser, ou quelque chose comme ça.  Des fois, il se met à penser et il n'a personne pour lui dire si c'est comme ça  ou si c'est pas comme ça. Peut-être qu'il voit quelque chose, il n'sait pas si c'est vrai ou non. Il ne peut pas se tourner vers un autre pour lui demander  s'il voit aussi. Il n'peut pas savoir. Il a rien pour mesurer....pages 125, 126

Dites, les gars, vous auriez vu Curley? l'un de vous?
Ils tournèrent la tête vers la porte. La femme de Curley les regardait. Elle était fortement maquillée. Ses lèvres s'entrouvraient légèrement. Elle haletait come si elle avait couru.
-  Curley n'est point ici., dit Candy hargneusement.
Elle était toujours sur le seuil, leur souriant un peu, se frottant les ongles d'une main avec le pouce et l'index de l'autre. Et ses yeux se posaient successivement sur chacun d'eux....
Lennie la regardait, fasciné, mais Candy et Crooks , mécontents, évitaient  de rencontrer  ses regards.  page 131

La femme de Curley apparut au coin de la dernière stalle. Elle s'approcha si doucement que Lennie ne la vit pas. Elle portait une robe de coton de couleur vive et ses mules ornées de plumes d'autruche rouges. Son visage était maquillé et tous les tire-bouchons bien en place. Elle était tout près quand Lennie leva les yeux et l'aperçut.
Affolé, il jeta une poignée de foin sur le chiot. Il la regarda d'un air sombre.
Elle dit :
- Qu'est-ce-que tu fais là, mon petit ami?
Lennie jeta un regard farouche:
- George dit qu'il n'faut pas que j'reste avec vous....faut pas que je vous parle, ni rien.
Elle rit:
- C'est toujours George qui te dit ce qu'il faut faire?
Lennie baissa les yeux vers le foin. page 145
 
"Quand je me coiffe des fois, je me caresse les cheveux, parce qu'ils sont si soyeux....
Elle (la femme de Curley) prit la main de Lennie et la plaça sur sa tête.
- Touche là, autour, tu verras comme c'est doux.
De ses gros doigts, Lennie commença à lui caresser les cheveux.
- Ne me décoiffe pas, dit-elle.
Lennie dit :
- Oh, c'est bon - et il caressa plus fort. - Oh, c'est bon.
- Attention, tu vas me décoiffer.
Puis, elle s'écria avec colère:
- Assez, voyons, tu vas me décoiffer.
D'une secousse, elle détourna la tête, et Lennie  serra les doigts, se cramponna aux cheveux.
- Assez, voyons, cria-t-elle . Mais, lâche-moi donc.
Lennie était affolé. Son visage se contractait. Elle se mit à hurler et, de l'autre main, il lui couvrit la bouche et le nez.....pages 151, 152
 
Candy dit:
- C'est un bon type. J'aurais jamais cru qu'il aurait fait une chose pareille.
george regardait toujours la femme de Curley.
- Lennie n'l'a pas fait par méchanceté, dit-il. Il passe son temps à faire des bêtises, mais c'est jamais par méchanceté. page 157
 
Lennie dit doucement:
- J'ai pas oublié, tu parles, nom de Dieu. Me cacher dans les fourrés et attendre que George arrive...George va m'engueuler, dit-il. George va regretter de n'être pas seul, et que je sois là, à l'ennuyer. page 166
 
Lennie dit :
- George?
- Quoi?
- J'ai encore fait quelque chose de mal.
- ça ne fait rien, dit George.
Et le silence retomba....
- Regarde par-dessus la rivière, Lennie, et je vais te raconter  si bien que tu pourras presque le voir.
Lennie tourna la tête et regarda par-dessus la rivière, les sombres pentes des monts Galiban.
- On aura une petite ferme, commença George. Il mit la main dans la poche de son veston et enleva le cran d'arrêt, et laissa main et revolver sur le sol, derrière Lennie. Il regarda la nuque de Lennie, l'endroit où l'épine dorsale rejoignait le crâne. ....
-On aura une vache, dit George. Et on aura ,peut-être bien un cochon et des poulets... et dans le champ...un carré de luzerne.
- Pour les lapins hurla Lennie.
- Pour les lapins , répéta George. ....
Et George leva le révolver , l'immobilisa et en approcha le canon contre la nuque de Lennie....
 
...- T'en fais pas, dit Slim. Ya des choses qu'on est obligé de faire, des fois.
...La voix de George n'était plus qu'un murmure. Il ne cessait de regarder sa main droite qui avait tenu le révolver.
Slim saisit George par le coude.
- Viens , George. On va aller prendre un verre, tous les deux....Fallait que tu le fasses, George. J'te jure  qu'il le fallait. Viens avec moi...pages 173, 174, 175
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 


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