En 2004, Ivan, écrivain frustré et responsable d'un misérable cabinet vétérinaire à La Havane, revient sur sa rencontre, en 1977, avec un mystérieux homme qui promenait sur la plage deux lévriers barzoï. "L'homme qui aimait les chiens" lui fait des confidences sur Ramon Mercader, l'assassin de Trotski qu'il semble connaître intimement.
Ivan reconstruit les trajectoires de Lev Davidovitch Bronstein, dit Trotski, et de Ramon Mercader, connu aussi sous le nom de Jacques Mornard, devenus les acteurs de l'un des crimes les plus révélateurs du XXè siècle. De la Révolution russe à la guerre d'Espagne, il suit ces deux itinéraires jusqu'à leur rencontre dramatique à Mexico. ces deux histoires prennent tout leur sens lorsque Ivan y projette ses aventures dans la Cuba contemporaine.
Dans une écriture puissante, Leonardo Padura raconte, à travers ses personnages ambigus et convaincants, l'histoire du mensonge idéologique et de sa force de destruction sur la grande utopie révolutionnaire du XXè siècle ainsi que ses retombées actuelles dans la vie des individus, en particulier à Cuba.
Il ne se doutait pas que cette année 1928 avait été la pire de sa vie, bien qu'il eût connu d'autres époques terribles dans les prisons tsaristes...page 28
Plus que l'obtention de son expulsion du Parti, et maintenant du pays, la grande victoire de Staline était d'avoir fait de la voix de Trotski l'incarnation de l'ennemi interne de la Révolution, de la stabilité de la nation, de l'héritage léniniste, et de l'avoir cloué au pilori grâce à une propagande d'un système que Lev Davidovitch en personne, avait contribué à créer, et auquel, au nom de principes inviolables, il ne pouvait s'opposer s'il risquait par là d'en compromettre la survie. page 36
Ramon , qui avait à peine dix ans, ne soupçonnait pas ce qui se tramait dans les tréfonds familiaux. Inscrit dans l'une des écoles les plus chères de la ville, il vivait dans l'insouciance, consacrant son temps libre aux activités physiques qu'il préférait de beaucoup aux travaux intellectuels pratiqués dès le berceau dans une maison, où selon les heures, on parlait quatre langues, le français, l'anglais, l'espagnol et le catalan. page 52
Ramon devait aussi apprendre très vite que ce changement ne pouvait se produire que si on était nombreux à embrasser la même cause et à se battre au coude à coude pour elle: faire la révolution. page 58
L'inquiétude du départ de Liova (le fils de Lev) fut momentanément tempérée par un événement qui, à peine annoncé, fit à Lev Davidovitch l'effet d'un mauvais présage: aux élections allemandes du 14 septembre 1930, le parti national socialiste de Hitler était arrivé deuxième en nombre de voix. page 78
Si le front froid annoncé pour ce jour-là ne s'était pas dilué en une fugace averse de pluie très fine qui a fait baisser la température, je ne me serais sans doute, jamais trouvé ce soir de mars 1977 à Santa del Mar, en train de lire un livre qui, comme ça, au hasard, contenait la nouvelle intitulée L'Homme qui aimait les chiens...je n'aurais jamais eu l'occasion de remarquer l'homme qui s'arrêta à quelques mètres de moi pour appeler ses chiens bien réels qui m'émerveillèrent, au premier regard.
- Ix, Dax! cria l'homme.
Lorsque je levai les yeux, je vis les chiens. ...
- C'est la première fois que je vois des barzoïs....
- Ce sont les seuls à Cuba dit-il
- C'étaient les chiens des tsars russes...Vous les avez ramenés d'Union soviétique? ...
- Oui, on me les a offerts à Moscou. page 82
Ramon était revenu de France un an plus tôt, à la veille de ses vingt ans. A peine arrivé à Barcelone, grâce à son diplôme de maître d'hôtel, il était arrivé à se faire engagé au Ritz comme second en cuisine....L'Espagne que Ramon découvrait était une véritable poudrière en attente de qui allumerait la mèche pour faire tout sauter: c'était un pays meurtri qui s'efforçait de se libérer des pesanteurs du passé et des frustrations du présent. Le dictateur Primo de Rivera venait de démissionner, monarchistes et républicains avaient dégainé leurs épées. Les syndicats, dominés par les socialistes et les anarchistes , avaient beaucoup accru leur puissance ...page 96
Les élections municipales de 1931 provoquèrent la chute de la monarchie et proclamèrent la Seconde République. Jusqu'à la fin de sa vie, Ramon se dirait qu'il était retourné dans son pays au bon moment, à l'âge qu'il fallait et avec le cerveau en effervescence , comme si la vie et l'histoire s'étaient épiées l'une l'autre, chacune peaufinant ses arguments pour le placer sur le chemin qui devait le conduire, quelques années plus tard, jusqu'à la Sierra de Guadarrama et de là, à l'engagement suprême. page 97
...Il (Ramon) reprit à son compte l'idée que les trotskistes étaient les ennemis du peuple les plus ambigus des communistes et qu'anarchistes et syndicalistes ne pouvaient être que des compagnons de route provisoires le temps de parvenir à l'étape supérieure, dont on se débarrasserait quand les communistes seraient en mesure de promouvoir la véritable Révolution qui passerait par la nécessaire dictature du prolétariat. page 98
A partir du 20 février 1932, Lev Trotski et les membres de sa famille qui se trouvaient hors du territoire de l'Union soviétique cessaient d'être citoyens de ce pays et perdaient tous leurs droits constitutionnels ainsi que la protection de l'Etat. page 116
Le découragement s'était aggravé avec le déplacement de hameaux et de villages entiers d'Ukraine et du Caucase vers les forêts et les mines de Sibérie, d'où le gouvernement pensait extraire les richesses que la terre avait cessé de produire. Le résultat prévisible fut une famine qui dévasta le pays en 1930 et dont on ne voyait pas la fin. En Ukraine, on parlait déjà de millions de personnes mortes de faim, on assurait même que des actes de cannibalisme s'étaient produits. page 120
.Africa (la compagne de Ramos)l'avait amené parcourir les quartiers et les villages des environs de Barcelone pour que Ramon voie le chaos vers lequel les trotskistes et anarchistes entraînaient le pays. En dehors des Ramblas et des centres névralgiques de la ville, une lamentable désolation s'était installée, avec des rues coupées d'absurdes barricades, des usines paralysées, des immeubles pillés de fond en comble, des églises et des couvents transformés en tas de ruines carbonisées. Africa lui racontait les exécutions sommaires réalisées par les anarchistes et comment les ouvriers avaient de plus en plus peur d'exprimer leurs opinions. La classe moyenne et de nombreux propriétaires d'entreprises avaient dépouillé de leurs biens, et le projet de créer une industrie militaire était suspendu au bon vouloir des syndicats. La pénurie avait gagné les magasins et les marchés. Les gens étaient enthousiastes mais ils avaient aussi faim, et dans de nombreux endroits, on ne pouvait acheter le pain qu'après avoir longtemps fait la queue et seulement si on était muni des coupons distribués par des anarchistes et des syndicalistes, devenus les maîtres d'une ville où le gouvernement central et les autorités locales n'étaient que de vagues références....page 132
Ce soir-là, l'homme répondit enfin à une des questions qui m'obsédaient: il me raconta qu'il était espagnol, mais qu'il avait vécu des années à Moscou depuis la fin de la guerre civile, espagnole évidemment, où il s'était battu, du côté républicain, tout aussi évidemment. Il vivait à Cuba depuis trois ans...page 146
Lev Davidovitch s'étrangla d'indignation en apprenant que le Comité exécutif de l'Internationale communiste avait fait une honteuse déclaration d'appui au Parti allemand, dont la stratégie était de qualifier de parfaite, dans laquelle il répétait que la victoire nazie n'était qu'une conjoncture transitoire dont les forces progressistes ne tarderaient pas à triompher. page 158
...le gouvernement de Daladier lui accordait l'asile. Il ( Lev D ) sut tout de suite combien l'hospitalité qu'on lui offrait était limitée. page 159
En s'installant en Norvège, Lev Davidovitch avait caressé le rêve d'échapper aux tensions qui le poursuivaient depuis presque sept ans de déportation et d'exil. Mais à peine arrivé, dans le pays, il fut la cible d'insultes que la presse communiste et la presse fasciste lancèrent contre lui .page 173
(Caridad (sa mère) à Ramon) " Sais-tu combien il y a eu d'exécutions d'un côté et de l'autre dans les derniers mois de la guerre?
Caridad attendit la réponse de Ramon.
-Beaucoup, je crois.
-Presque cent mille Ramon. Quand ils avancent, les fachos fusillent tous ceux qu'il soupçonnent de sympathie avec le Front populaire, et de ce côté, les anarchistes tuent tous ceux qui, selon eux, sont des ennemis bourgeois. page 188
En 1937, pratiquement personne ne connaissait Orwell. Mais quand il lut (Ramon) certains livres sur les événements de Barcelone, et qu'il tomba sur une photo de John Dos Passos, Ramon aurait juré que, quelques jours avant que tout n'explose, il avait vu Orwell en grande conversation avec John Dos Passos dans la cafétéria de l'hôtel. page 194
Les fascistes continuent à gagner du terrain et ce nain de Franco a maintenant l'appui de tous les partis de droite. page 196
(Lopez) Le prétexte de mon voyage à Moscou, c'est qu'on m'a invité à la célébration du soixantième anniversaire de la Révolution d'octobre. En fait, j'y suis allé pour voir deux personnes. j'ai pu les rencontrer et les conversations que nous avons eues sont en train de m'achever....page 215
Il y a quelques années un ami m'a raconté une histoire. Soudain, la voix de Lopez sembla ne plus lui appartenir. c'est une histoire que très peu de gens ont vraiment connue, et ils sont presque tous morts. Bien sûr, il m'a demandé de ne pas raconter, mais il y a une chose qui me tracasse.
- Quoi?
- Mon ami est mort...Quand je mourrai, et quand l'autre et unique personne qui en connaît presque tous les détails, disparaîtra, cette histoire sera perdue. La vérité de l'histoire, je veux dire.
- Pourquoi ne pas l'écrire?
- Je ne dois même pas la raconter à mes enfants. Comment veux-tu que je l'écrive?....
C'est une histoire terrible Page 216
"Tu as déjà entendu parler de Ramon Mercader?
J'admis que non presque sans réfléchir.
- C'est normal, murmura-t-il... Presque personne ne le connaît. D'autres auraient préféré le connaître. Et que sais-tu de Léon Trotski? ...
- Pas grand chose. Qu'il a trahi l'Union soviétique. Qu'il fut assassiné à Mexico... Ah si, bien sûr, il a participé à la révolution d'octobre! Dans les cours de marxisme, on nous parlait e Lénine et un peu de Staline, et on nous disait que Trotski était un renégat....page 218
"Qui est Ramon Mercader? Pourquoi je devrais le connaître?
- Eh bien, tu devrais savoir qui fut Ramon Mercader dit-il, et il fit une longue pause avant de continuer. Ramon était mon ami, beaucoup plus qu'un ami...On avait fait connaissance à Barcelone et après on a fait la guerre ensemble. Il y a quelques années, on s'est retrouvé à Moscou. Les tanks soviétiques étaient entrés dans Prague...On s'est revus le jour de la première neige en 1968..Ramon avait dans les cinquante-cinq ans...On ne s'était pas revus depuis la guerre.
- Quelle guerre?
- La nôtre. La guerre civile espagnole. page 219
"Moi, Lev Trotski" lut-il, "déclare que, tant que nous résiderons en Norvège, ...nous n'entreprendrons aucune activité politique contre un état ami de la Norvège". page 224
La dernière alternative pour quitter le fjord se limitait maintenant aux démarches incertaines...pour que l'Espagne les accueillît. et celles que Liova avait entreprises par l'intermédiaire d'Ana Brenner, amie proche de Diego Rivera, afin que le peintre intercédât auprès du président mexicain Lazaro Cardenas pour lui obtenir un visa de réfugié. page 232
....le président Cardenas lui accordait le droit d'asile au Mexique et qu'ils devaient partir immédiatement. ....Le 19 décembre 1936, ...ils montèrent dans la voiture qui les sortit du fjord de Hurum. pages 234, 235
(Ramon est envoyé en URSS: il est rebaptisé Roman Pavlovitch) Grigiriev remit le passeport de Roman Pavlovitch au colonel , qui regarda le nouvel élève.
- Jusqu'à ce qu'on décide de votre nouvelle identité, vous serez le Soldat 13, l'avisa-t-il de façon laconique. En un geste presque théâtral, il déchira le passeport, ce qui fit sursauter Ramon qui sentit , très nettement, qu'il se transformait en fantôme sans nom, sans boussole, sans chemin de retour, ainsi que le lui confirmèrent les derniers mots du colonel: ou vous ne serez personne. page239
"Et quelle est la mission pour laquelle le camarade Staline a besoin de nous?....
....- le camarade Staline pense que le moment est venu...de préparer la sortie de Trotski de notre monde"
Ramon ne put s'empêcher de tressaillir. page 241
- Soldat 13, dit Karmine, dans son français fluide aux intonations méridionales...tu seras soumis à plusieurs examens physiques et psychologiques pour établir une évaluation précise de ta personne. page 243
Lorsqu'à la fin novembre, Grigoriev réapparut sur la base, le Soldat 13 était déjà, selon toutes apparences et de l'avis de ses entraîneurs, un homme de marbre, convaincu de la nécessité de toute mission qu'on lui confierait, forgé pour résister en silence à divers tourments, doté d'une haine viscérale envers les ennemis trotskistes et apte à devenir la personne qu'on lui indiquerait. page 248
Il (le Soldat 13) vivait pour la foi, l'obéissance et la haine. page 259
(Ivan , le journaliste - vétérinaire à Cuba qui rencontre Lopez, l'homme sur la plage) Il convient maintenant de rappeler que nous étions en 1977, à l'apogée de la grandeur impériale soviétique, au sommet de son immobilisme philosophique et propagandistes, et que nous vivions dans un pays (Cuba) qui avait accepté son modèle économique et sa très orthodoxe orthodoxie politique. Page 278
Trotski avait été victime le 20 août1940. page 284
Le bateau venait à peine d'accoster (au Mexique) que les Trotski furent happés par un tourbillon d'allégresse. Plusieurs amis de Frida et de Rivera , en plus de se s adeptes nord-américains venus avec Shachtman et Novak, les submergèrent sous un flot d'accolades et de compliments....page 292
Lev Davidovitch avait découvert l'œuvre de Rivera à Paris durant la Grande Guerre, lorsque les échos de la révolution mexicaine arrivaient en Europe et avec eux, les œuvres des peintres révolutionnaires. Par la suite, il suivit attentivement le muralisme...page 294
Le 23 janvier 1937...Lev Sedov et Mev Davidovotch (et d'autres inculpés) fussent de nouveau les principaux accusés in absentia. (A Moscou). On mit sur le dos des saboteurs tous les échecs économiques, la famine et même la signature d'un pacte secret entre Hitler, Hirohito et Trotski pour démembrer l'URSS. page 295
"L'armée dispose à présent d'équipements soviétiques et quatre-vingts pour cent des officiers sont communistes (guerre d'Espagne) souligna Caridad (mère de Ramon) en regardant directement Tom, mais même comme ça, nous continuons à perdre des batailles et les fascistes sont arrivés en Méditerranée. Le pays est coupé en deux. la seule explication, c'est que le cœur de la République manque de la pureté idéologique nécessaire pour gagner la guerre. En Espagne, il faut d'autres purges. page 312
La République est en train de s'effondrer. Pour Negrin, l'annonce officielle dans quelques jours des Brigades internationales doit provoquer un choc. Il croit encore que la France et la Grande Bretagne peuvent fournir leur appui, et que cet appui peut même permettre de gagner la guerre. Mais la France et la Grande Bretagne sont mortes de trouille, font la cour à Hitler et ne vont pas parier un seul centime pour nous....Cette guerre est perdue. Vous n'arriverez jamais à résister jusqu'à l'éclatement d'une guerre européenne...page 326
Qu'est-ce qu'un nom, Jacques? ou dois-je dire Ramon? ..Je suis le même et je suis différent à chaque instant. Je suis tous ceux-là et je ne suis personne, parce que je ne suis qu'un pion, un tout petit pion, dans le combat pour un rêve. Un individu et un nom ne sont rien...Tu sais, dès que je suis entré dans la Tcheka, on m'a appris quelque chose de très important: l'homme est interchangeable, remplaçable.
L'individu n'est pas un élément unique, c'est un concept qui s'agglutine pour former la masse, qui, elle, est réelle. Mais l'homme en tant qu'individu n'est pas sacré, et donc pas indispensable....Ce qui compte, c 'est le rêve, pas l'homme et encore moins le nom. Personne n'est important, personne n'est indispensable...."page 328
La chute de Barcelone paraissait être le dénouement , et les récits de l'entrée de Franco dans la ville sous les vivats empirent Ramon Mercader d'amertume. page 338
Proche de Andeu Nin, Nadal était au courant des arcanes de la politique et confirmerait à Lev Davidovitch plusieurs de d=ses soupçons concernant la stratégie de Moscou en Espagne. A son avis, il était clair que Staline jouait la domination et l'éventuel sacrifice de la République avec plusieurs cartes en main et l'une 'elles était financière. Après avoir obtenu de Negrin, à l'époque ministre des Finances, qu'il autorisât l'envoi du Trésor espagnol en territoire soviétique, cette énorme quantité d'or semblait s'être évaporée et Moscou exigeait maintenant du gouvernement républicain de nouveaux paiements, en espèce, pour l'aide militaire qui comprenait les avions, de l'artillerie, des munitions, et même les frais quotidiens du contingent de conseillers envoyés sur le terrain. page 352
Liova était mort (un fils de Trotski) à Paris. ( 16 février 1938) page 357
"Ecoute- moi bien, mon garçon ( Tom à Ramon, il faut que tu comprennes ce qui s'est passé et pourquoi. Le camarade Staline a besoin de temps pour reconstruire l'Armée rouge. Espions, traîtres et renégats, il a fallu purger trente-six mille officiers de l'armée et quatre de la marine. Il n'y a pas eu d'autres remèdes que fusiller treize des quinze commandants en chef et se débarrasser de plus des soixante pour cent des cadres. Et tu sais pourquoi il l'a fait? Parce que Staline est grand. Il a appris la leçon et il ne pouvait pas permettre qu'il nous arrive la même chose qu'en Espagne". page 386
"Mets-toi ça dans ta putain de tête une bonne fois.: toi, tu ne penses pas, tu obéis; toi, tu n'agis pas, tu exécutes; toi, tu ne décides pas, tu fais ce qu'on te dit. Tu vas être ma main autour du cou de ce fils de pute et ma voix va être celle du camarade Staline, et Staline pense pour nous tous. " (Tom à Ramon = Jacques Mornard. page 398
L'arrivée d'André Breton vint sortir Lev Davidowitch du gouffre de ses souffrances personnelles et historiques. Diego et Frida étaient logiquement enthousiasmés d'accueillir chez eux le gourou du surréalisme. Cet éternel contestataire était capable de défier tous les dogmes les plus sacrés...page 406
Pouvait-on abriter l'espoir qu'un jour l'humanité parviendrait à savoir combien de centaines de milliers de personnes avaient été exécutées par les partisans de Staline? Combien de communistes authentiques avait-il fait liquider? ...page 418
Il (Ramon) se sentait préparé à demeurer toute sa vie dans l'obscurité, sans nom et sans existence propre, mais avec la fierté communiste de savoir qu'il avait accompli quelque chose de grand pour les autres. Il voulait être un élu de la providence marxiste et à cet instant , il se disait qu'il ne serait jamais rien ni personne. page 438
Plus l'été approchait, plus Lev Davidovitch était persuadé que le début de la guerre en Europe était une question de jours. Page 451
Parfois, je ne savais pas moi-même d'où je sortais les médicaments et les instruments pour garder le cabinet ouvert (Ivan, le narrateur est vétérinaire) , à une époque où même l'aspirine avait disparu de l'île (Cuba) et qu'à l'Ecole vétérinaire, on recommandait de soigner les maladies de peau avec des compresses de camomille ou de genêt-amer et les problèmes intestinaux avec des massages ou la prière à San Luis Beltran. page 468
Il en était (Lev Davidovitch) arrivé à se demander si le destin de tous ceux qui se consacraient à la politique n'était pas de mourir dans la solitude. Tel était généralement le prix de l'altruisme, du pouvoir aussi et de la défaite. page 512
Il (Lev D. ) expliqua au jeune homme ( Jacques Mornard = le Belge = Ramon) que s'il voulait publier cet article, il devait le réécrire. L'homme reprit ses feuillets avec u ne mine de chien battu, et , en voyant cela Lev Davidovitch eut de nouveau pitié de lui.....Pourtant , durant le dîner, il dit à Natalia qu'il ne voulait plus le recevoir; il n'aimait pas cet homme qui, pour commencer, ne pouvait être belge: aucun Belge, avec un minimum d'éducation ( et celui-ci était fils de diplomate) ne se mettrait à respirer en soufflant sur la nuque d'une personne qu'il connaissait à peine. page 525
La conscience que sa volonté et sa capacité à décider par lui-même(Ramon) s'étaient évanouies le hantait. Il se sentait l'instrument de desseins puissants dans lesquels il n'était qu'un rouage, sans la moindre possibilité de marche arrière. La certitude que dans trois, quatre ou cinq jours, transformé en assassin, il rejoindrait le flot trouble de l'histoire provoquait en lui un mélange malsain de fierté militante face à l'action qu'il devait réaliser et de répulsion envers lui-même à cause de la façon dont il devait se comporter. Plusieurs fois, il se demanda s'il n'aurait pas mieux valu pour lui et pour la cause , de mourir sous les chenilles d'un tank italien aux portes de Madrid, comme son frère Pablo, plutôt que de se dire que sa mission ne servirait qu'à drainer la haine que d'autres avaient accumulée et subrepticement instillée dans son esprit. page 528
La tête du renégat redevient nette. Elle était immobile et semblait le (Ramon) défier. Dans cette tête, se trouvait tout ce que cet homme possédait, tout ce qui avait un sens, et il l'avait là, à sa merci....Ramon les yeux fixés sur l'endroit où il devait planter la pointe en acier, fut frappé par une autre évidence..., iln'était plus le temps de réfléchir...page 544
Alors, il essaya de mobiliser en lui la haine que devait susciter en lui cette tête et il énuméra les raisons pour lesquelles il était lui-même là, à quelques centimètres d'elle: cette tête était celle du plus grand ennemi de la révolution, du danger le plus cynique qui menaçait la classe ouvrière, le tête d'un traître, d'un renégat, d'un fasciste. Cette tête abritait le cerveau d'un homme qui avait violé tous les principes de l'éthique révolutionnaire et méritait de mourir , un clou dans le front , comme le bœuf à l'abattoir...page 561
A la fin des années 90, (à Cuba) la vie dans le pays , totalement perturbée pendant la période la plus dure de la crise, avait commencé à retrouver une certaine normalité. Mais , alors que cette nouvelle conjoncture s'installait, il fut évident que quelque chose de très important avait changé. Il ne serait plus possible de vivre avec les quelques malheureux pesos des salaires officiels: le temps de la pauvreté équitable et généralisée come avancée sociale était révolu et débutait ce que mon fils Pablo (fils d'Ivan), avec un sens des réalités qui me dépassait, définirait comme un sauve-qui-peut général...page 566
Nous (Les Cubains) avons traversé la vie dans l'ignorance la plus absolue des trahisons qui, comme celles dont fut victime l'Espagne républicaine ou la Pologne envahie, avait été commise au nom de ce même socialisme. Nous n'avions rien su des répressions et des génocides de peuples, d'ethnies, de partis politiques entiers, des persécutions mortelles de récalcitrants et des religieux, de la fureur homicide des camps de travail, de l'assassinat de la légalité et de la crédulité avant, pendant et après les procès de Moscou. Nous ne fûmes qu'une poignée à avoir une vague idée de qui avait été Trotski ou des raisons de son assassinat...page 567, 568
Ramon , en fait, n'avait retrouvé totalement ses esprits qu'à la nuit tombée, quand on l'avait sorti de la maison, menottes aux mains. Avant de monter dans l'ambulance qui le conduirait à l'hôpital de la Croix Verte, il regarda vers la gauche... Une fois dans l'ambulance, il dit au chef de son escorte de prendre la lettre dans la poche de la veste de son costume d'été ...Cette lettre serait son seul bouclier et, quoi qu'il arrive, il devrait s'abriter derrière elle de la foudre et des éclairs. Et c'est ce qu'il fit dans l'enfer terrestre des trois prisons mexicaines où il purgea sa condamnation. page 588
Ramon s'était souvenu que, lorsqu'il avait été condamné à vingt ans de prison, la peine maximum prévue par le code pénal mexicain page 593
Lorsque Ramon était arrivé à Moscou, en mai 1960, l'officier du KGB qui s'était occupé de lui les premiers mois, avait eu la correction de l'informer que son ancien mentor lui souhaitait la bienvenue, depuis sa prison où il purgeait une peine de douze ans de prison pour participation à un complot antigouvernemental. page 597
mais, au début, quand je sortais, je regardais les gens (Ramon) et je me demandais ce qu'ils auraient pensé s'ils avaient su qui j'étais. page 612
Ramon leva les yeux pour observer le bout du parc, là où coulait la rivière. Il sentait la désillusion le ronger de l'intérieur, et le vide grandir. Les restes de fierté, auxquels il s'était, malgré les doutes et l'isolement, accroché bec et ongles, étaient en train de s'évaporer sous le feu de vérités trop cyniques. Les années de prison où il craignait , tous les jours pour sa vie, n'avaient pas le pire: les soupçons d'abord, les certitudes ensuite, qu'il avait été la marionnette d'un plan trouble et mesquin, lui avaient plus souvent ôté le sommeil que la crainte d'un coup de couteau d'un autre prisonnier. Il se souvenait , avec douleur, de la sensation d'avoir été trompé quand il avait lu le rapport de Khrouchtchev devant le XXè congrès du Parti, et le dégoût qui l'avait envahi, à partir de là: que sera sa vie quand il sortirait de prison? page 616
Tu n'as pas été le seul à mourir pour un idéal qui n'existait pas. Page 617
Le jour où tu as tué Trotski, tu savais pourquoi tu le faisais, tu savais que tu contribuais à un mensonge, que tu te battais pour un système basé sur la peur et la mort. A moi ( Kotov ou Léonid ) tu ne peux me raconter d'histoires...Page 618
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