samedi, avril 13, 2019

LA REVOLTE ( Clara Dupont-Monod) 2018

"Sa robe caresse le sol. a cet instant, nous sommes comme les pierres des voûtes, immobiles et sans souffle. Mais ce qui raidit mes frères, ce n'est pas l'indifférence, car ils sont habitués à ne pas être regardés; ni non plus la solennité de l'entretien- tout ce qui touche à Aliénor est solennel. Non,  ce qui nous fige , à cet instant-là, c'est sa voix. Car c'est d'une voix douce, pleine de menaces, que ma mère ordonne d'aller renverser notre père. "

Aliénor d'Aquitaine racontée par son fils, Richard Cœur de Lion.
 
"Ton esprit est comme un mur battu par la tempête.
Tu regardes autour et  tu ne trouves pas le repos."
Lettre d'Hildegarde de Bingen à Aliénor d'Aquitaine , XIIème siècle
 
Ma mère est une femme sûre d'elle. Je lui fais une confiance absolue. Elle doit cette assurance à sa naissance, puisqu'elle est duchesse d'Aquitaine, élevée dans le luxe et les livres, nimbée du souvenir de son grand-père, le premier poète. (Guillaume Le Troubadour). Pour elle, la soie et le savoir ne font aucune différence....Aliénor aime gouverner  et connaît chaque ruelle du plus petit village de son Aquitaine
...C'est pourquoi le roi de France, Louis VII se devait d'épouser Aliénor. On la lui présenta. Il tomba fou amoureux.
Il avait quinze ans, elle  en avait treize. page 13
Elle fut reine de France  et pendant quinze ans, s'ennuya beaucoup. Elle ne donna aucun héritier à Louis. Elle aimait la littérature, lui les Evangiles; elle demandait des fêtes et des guerres, il voulait la paix et le dialogue. Elle croit au pouvoir, lui à Dieu.
Elle se débrouilla pour annuler son mariage avec Louis - ce qu'aucune reine ne fait jamais  pas plus qu'une épouse ne lance  l'offensive contre son mari, mais c'est ainsi, ma mère inaugure. .  page 14
 
Elle a lancé son dévolu sur un homme de onze ans son cadet, Henri II Plantagenêt. Il a besoin de cette Aquitaine grande comme un pays.    
Car ma mère pensait garder la mainmise sur son Aquitaine....Mais très vite, le Plantagenêt a tout confisqué. Il a traité l'Aquitaine comme l'Angleterre, en royaume conquis. La monnaie, , la justice, la langue, les lois du commerce et de la pêche, le tracé des forêts: il a tout changé selon ses désirs, ignorant la révolte montante. ...Il s'est révélé autoritaire, despotique, gourmand. Ma mère n'était qu'un ventre, gros quasiment chaque année. page 15
 
Inutile d'attendre des mots d'amour.  Ma mère n'en a jamais  prononcé. Cela ne m'attriste pas. Mon époque ménage les mots. page 18
 
(Son frère Henri est nommé roi d'Angleterre). Car, si j'ai l'Aquitaine, mon frère, lui, ne possède rien. Il a été sacré roi d'Angleterre, il s'est marié avec une princesse et...il ne peut pas gouverner. Mon père  ne lui cède rien.  Toute l'Europe rit de lui.  page 24
Nous sommes sept enfants. Sept frontières.  ...Nous avons été élevés en nous méfiant les uns  des autres, dans l'attente d'un signe paternel. page 25
Son statut de reine l'obligeait à changer souvent de résidence, en Angleterre ou en France, à Caen, Niort, Falaise, Poitiers, mais elle nous emmenait toujours. Elle a veillé sur nous.
Pas la moindre parole tendre, je l'ai dit, ni non plus de caresses.page 26
 
Avril 1152. Il y a quinze ans. C'est jour de fête. Aliénor a réussi  à faire annuler son mariage, avec l'aval de l'Eglise.  Elle abandonne Louis VII et son titre de reine. Aucune femme n'avait osé. ...Elle pense à ce Plantagenêt ...Il deviendra roi d'Angleterre, pour elle, c''est évident.  Sa décision est prise. Elle l'épousera. Il acceptera, bien sûr, puisqu'elle lui apporte son Aquitaine. page 28
 
Le 18 mai 1152, Aliénor épouse Le Plantagenêt. Elle n'a que faire des rumeurs...A Poitiers, les cloches des églises battent à la volée... page 41
...Pour la première fois de sa vie, elle ne se méfie pas. Elle fait confiance à ce nouveau mari, à son avenir flamboyant...Et il respectera sa promesse de lui laisser la régence sur l'Aquitaine. ...Elle n'a pas senti l'autoritaire, ni le voleur.
Dans le fond, parce qu'il est plus jeune qu'elle, Aliénor pense qu'elle mènera la danse. C'est sa grande erreur mais elle l'ignore encore. page 44
 
Ma mère perd ses illusions deux ans après son remariage.
Un soir d'hiver 1154, elle doit embarquer depuis le port de Barfleur , à la pointe du Cotentin. Dans  ses bras, elle tient son enfant, né un peu plus d'un an après ses noces; Il s'appelle Guillaume. ..Elle est à nouveau enceinte.
L'équipage scrute le ciel. ..Il faudrait reporter la traversée. Mon père s'y oppose....page 45
 
(A Londres) Elle récapitule la débâcle. Son  mari la tient surveillée, lui, préfère une autre femme, l'a écartée du pouvoir. Surtout,  il exerce sa tutelle sur l'Aquitaine. Il gouverne seul. Comme bon lui semble. Avec une autorité cassante. Ce n'était pas du tout prévu ainsi.  page 53
 
Des messages d'Aquitaine lui rapportent que son royaume ne se laisse pas faire. Déjà, des révoltes ont éclaté....page 57
 
Un matin de juin 1156, Guillaume respire mal. Il ne s'est pas levé...Aliénor a un but, un  seul: couvrir de sa voix l'approche de la mort, pour que son fils n'ait pas peur....Ma mère se penche, s'allonge presque contre Guillaume...
Henri devient l'aîné. Mathilde naît quelques jours plus tard.
Moi, j'arriverai un an après.
Je grandirai avec le fantôme de mon frère disparu.  page 64

De son côté, Louis a eu trois enfants, de deux mariages.. Mais il s'est arrangé pour être toujours au seuil de l'existence d'Aliénor. Ce seuil, c'est nous. Depuis nos dix ans, ma mère nous envoie chez son premier mari.  On me dira que c'est un peu étrange....Mais Louis nous estime et aime nous voir.
...Il (Louis) agit pour notre cause, au point d'encourager discrètement la révolte des Aquitaine contre mon père. Il savoure la guerre qui se prépare contre lui. page 67
Louis et le Plantagenêt se détestent. Nous, les fils, nous avons choisi le premier. Nous avons besoin de tant d'égards. . Un jour , excédé de nous savoir à la cour de France,  notre père  a envoyé ses hommes pour nous ramener en Angleterre. Ils se sont présentés, au palais, à Paris....Ils ont exposé leur requête, Henri, Geoffroy et moi devions rentrer au plus vite. Louis a demandé:
" Qui me fait cette demande?
- Le roi d'Angleterre, ont répondu les messagers, interloqués. Il demande ses fils.
- Le roi d'Angleterre? Allons, c'est impossible, puisqu'il est ici, avec ses frères. Henri a été couronné, il mes emble. Alors de quel roi parlez-vous?
Les hommes sont repartis avec cette déclaration de guerre.  page 68
A la fin du repas, il ( Louis VII)  a demandé le silence. Il a juré sur l'Evangile qu'il nous soutiendrait contre notre père. page 70
 
Depuis plusieurs mois, mon père  se croit hors de danger. Il est persuadé d'avoir apaisé trois adversaires.  Il a desserré provisoirement la bride sur l'Aquitaine; il a couronné Henri;.;; il  a obtenu le pardon de l'Eglise après avoir assassiné Thomas Becket car celui-ci défendait les droits de l'Eglise contre ceux du roi. On l'a retrouvé dans la cathédrale, le crâne ouvert sur les dalles. Mon père a mis trois ans pour laver ce crime. Seul Henri, qui adorait Becket, n' a rien  pardonné du tout.  page 74
 
...La voici. (Aliénor) Elle entre dans la salle de Poitiers et nous ordonne de renverser notre père. page 79
Pour Aliénor, la haine est une colère qui vieillit bien. page 83
 
L'assaut est donné au printemps 1173.
Henri, Geoffroy et moi, ainsi que Louis VII, les barons d'Angleterre, d'Aquitaine, et de Bretagne, nous soulevons en même temps contre le Plantagenêt. Vingt ans de rancœur se libèrent de part et d'autre des rives de la Manche. En Angleterre, les barons spoliés laissent éclater leur fureur. Leurs soldats attaquent, pillent et incendient les terres annexées par mon père.
...En France, le 29 juin, voici les forces en présence: une première armée  est commandée par Henri. Il vise la Normandie, fief du Plantagenêt....page 87
Au sud, les soldats de Louis verrouillent le Perche...A l'ouest, Geffroy attaquera le château de Dol, en Bretagne.
Moi, je m'occupe du sud. Je suis à la tête de seigneurs poitevins et aquitains. âge 88
 
Mes frères et moi plions à quelques jours d'intervalle.
Notre défaite prend forme à Montlouis, dans cette campagne  des bords de Loire...page 105
Je me fais violence pour oublier ma mère  entrant à la tour de Salisbury. page 108
 
J'ai ( Aliénor)  fait de mon mieux. J'aurais dû parler et caresser, mais je porte en moi trop de méfiance  pour être douce.  J'ai avancé avec la certitude que mes enfants  vivraient bien.  Je n'ai eu que cette règle. Ils vivraient bien. Me suis-je trompée? ...Mes filles savent lire, écrire, réfléchir, et, c'est ma touche personnelle,  estimer les poètes.  Tout cela sans émettre une seule plainte. ..Je n'ai pas su leur apprendre la joie mais je les ai armées. Mes filles auront  les maris que leur rang exige. Elles ne choisiront rien, hélas, mais, quel que soit leur sort, elles résisteront. page 124
 
J'apprends que le Pape envisage une nouvelle croisade en Syrie.  Moi, j'y suis allée . Deuxième croisade  en 1147,  quand j'étais reine de France. Nous étions partis de Metz, pour arriver à Antioche; Deux ans de voyage. Il était hors de question de laisser Louis partir seul. page 127
 
Mon fils aîné devient brigand. En mai,  de cette année 1183, il pille le sanctuaire  de Rocamadour, prend les rives de la Dordogne, gagne la ville  de Martel et il s'effondre. Il tombe , poursuit la voix, et cette chute paraît presque incongrue alors que le printemps vient, que les tilleuls s'apprêtent à se recouvrir d'abeilles.  Henri se tient le ventre et crache du sang.....Henri supplie son père de se réconcilier avec lui. Il demande à le voir une dernière fois. Le Plantagenêt refuse. Son fils ainé meurt et il ne se déplace pas....il trouve la force d'articuler une dernière requête qui me concerne directement cette fois: ma libération. pages 132, 133

Henri sera enterré à l'abbaye de Fontevrault page 135

Elle fut libérée en juin 1184. elle s'installa à Berkhampstead., dans un manoir au nord de Londres. page 139

A l'instant où je prononce mon serment d'allégeance à la France, , mon père recule. Il semble foudroyé. Il est blême.  Sa bouche s'ouvre et se  referme sans émettre un son. ..jean contemple la scène avec une lassitude froide, un peu étrange.
Philippe semble satisfait. Il ne quitte pas des yeux le Plantagenêt. Il réussit là où son père avait échoué. Terrasser le roi d'Angleterre. page 155
Mon père plie les genoux. ...Il crache du sang et des phrases incompréhensibles...Le denier fils Plantagenêt , le préféré,  a trahi. Jean  a porté le coup de grâce page 158
Mon père rend sa dernière injure comme d'autres leur souffle.  Il entre dans l'au-delà le corps rempli de rage,..page  159
Les funérailles ont lieu à l'abbaye de Fontevrault.  page 159
 
Je pars pour l'Orient, la tête pleine de fantômes. Ils m'escortent. Mathilde marche devant son père., puis viennent Henri,  Geoffroy et Guillaume. Et l'amour de ma mère, fantôme roi, chimère trônant parmi les linceuls...page 169
 
dans les vergers de Chinon,  au petit matin,  nous marchons.  La voix d'Aliénor monte....
"Richard, voici la situation.  Trois royaumes se sont unis pour récupérer nos terres chrétiennes en Orient.  La France  avec Philippe Auguste, l'empire germanique avec  Frédéric Barberousse,  l'Angleterre avec toi..."page 183
 
Philippe lève l'ancre  peu de temps après. ( Richard a dit à Philippe qu'il n'épousera pas sa sœur qui a couché avec son père) Il part pour Saint-Jean- d'Acre.
Le même jour, ma mère accoste à Messine. Elle m'amène Bérangère.  Ce n'est jamais dit entre nous mais il est grand temps de fabriquer  un  héritier, sinon, Jean aura les pleins pouvoirs.  page 190
 
Le  8 juin 1191, après une interminable traversée,  les rivages de Saint-Jean- d'Acre voient se dessiner, sur la mer,  mes vingt-cinq navires, chargés de centaines  de chevaliers et de leurs montures,  de projectiles, de vin, de vivres pour huit mois,  et de fourrage en abondance. Des milliers d'hommes hagards se lèvent, d'abord hésitants. Puis, mon nom roule de bouche en bouche  et finit par éclater par-dessus ce  camp misérable, repris par les hommes  de Philippe, qui n'a  pas eu pareil accueil. page 198
 
Une nuit, Saladin décide d'attaquer directement nos machines de siège. Il pénètre dans le camp. L'alerte est donnée. je bondis, retrouve Philippe et Mercadier...;J'envoie un message à Saladin, pour le rencontrer. Il refuse.
...Le 12 juillet, je reçois un message des assiégés. Ils se rendent, contre l'avis de Saladin. page 202
 
L'accord passé avec Saladin leur garantit la vie sauve . Mais à voir mes soldats former les rangs, à tous les points stratégiques de Saint-Jean d'Acre, ils se prennent à douter....La grande tuerie  a lieu. Je reste assis dans la chambre, l'épée posée sur mes genoux. ...Mercadier vient d'assassiner trois mille familles.
"Uniquement les hommes, me dit-il, dans un souffle. Châtiez-moi pour n'avoir pas appliqué vos ordres. Mais les femmes et les enfants, je n'ai pas pu".
..."Mon roi. Comment vivrez-vous avec ces enfants ouverts, ces murs rouges? Dans les rues, le sang a formé des ruisseaux."
 
Maintenant, il me faut annoncer ma décision. je vais affronter la fureur de mes hommes. Nous n'occuperons pas Jérusalem?=. Nous rentrons. page 237
 
Le 2  septembre 1192, l'émissaire de saladin se trouva face à moi, avec une offre : la paix pour une durée de cinq ans; les villes côtières restituées aux Chrétiens, l'accès libre pour lez chrétiens aux lieux saints de Jérusalem. page 238
 
Lorsqu'une flèche d'arbalète perce mon  épaule le 26 mars 1199, bien apprès mon retour, c'es tla première chose qui me traverse l'esprit: je ne boirai jamis la neige du Mont Hermon....
"Mais je vais très bien Mercadier.  J'y suis habitué...page 239
Au retour de croisade, j'avais  été fait prisonnier par  l'empereur d'Autriche, qui avait demandé une exorbitante rançon. L'équivalent de deux ans de recettes de l'Angleterre.  Pendant un an, ma mère  avait chevauché dans toute l'Europe pour réunir cette fortune. Elle avait réussi. J'avis été libéré....page 239

Et tandis que ma tête roule contre l'épaule de Mercadier, je pense à l'abbaye de Fontevraud, car je voudrais être enterré là-bas, moi aussi, sous les voûtes blanches et poudreuses. J'articule mon souhait contre l'oreille de Mercadier qui semble comprendre page 240
Le 10 août 1204, il ( Philippe) entrera dans Poitiers. Ce sera fini. De notre royaume, il ne restera rien. Mais qu'importe. A cette date, ma mère ne sera plus. Elle reposera à Fontevrault, dans ce calme qui lui ressemble très peu. A mes côtés. On la sculptera couchée, les pieds tournés vers l'Orient. Entre ses mains, sculptées, on posera un livre ouvert,  de pages blanches. page 241

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