mercredi, juin 10, 2020

LES SOLDATS DE SALAMINE ( Javier Cercas)

A la fin de la guerre civile espagnole, l'écrivain Rafael Sanchez Maza, un des fondateurs de la Phalange, réchappe au peloton d'exécution. Un soldat le découvre terré derrière un buisson et pointe son fusil sur lui. Il le regarde longuement dans les yeux et crie à ses supérieurs:"Il n'y a rien ici.
"Par ici, il n'y a personne!".
La valeur qu'il entrevoit au-delà de l'apparente anecdote historique, pousse un journaliste, soixante ans plus tard, à s'attacher au destin des deux adversaires qui ont joué leur vie dans ce seul regard.
Il trace le portrait du gentilhomme suranné rêvant d'instaurer un régime  de poètes et de condottieres renaissant, quand surgit la figure providentielle d'un vieux soldat républicain. L'apprenti tourneur catalan, vétéran de toutes les guerres, raconte:les camps d'Argelès, la Légion étrangère, huit années de combats sans relâche contre la barbarie fasciste. Serait-il le soldat héroïque? L'homme laisse entendre que les véritables héros son tous morts, tombés au champ d'honneur, tombés surtout dans l'oubli; que les guerres ne seraient romanesques que pour ceux qui ne les ont pas vécues. ce livre qui a bouleversé l'Espagne, connaît une diffusion internationale sans précédent. 

Je venais d'avoir quarante ans mais par bonheur, -soit parce que je suis un bon écrivain, sans être un mauvais journaliste pour autant, soit , plus probablement, parce qu'à la rédaction personne n'était disposé à faire mon travail pour un salaire aussi modique que le mien - on accepta ma demande. On m'affecta aux pages culturelles, là où on affecte ceux qu'on ne sait plus où affecter. . Page 14

Rafael Sancho Mazas . Vers la fin de 1937, il s'est enfui pour quitter Madrid, camouflé dans un camion. Mais il est arrêté à Barcelone et, tandis que les troupes de Franco entraient dans la ville, on l'a emmené au Collell, près de la frontière. C'es tlà qu'on l'a exécuté. Il s'agissait  d'une exécution massive, probablement chaotique, puisque la guerre était déjà perdue et que les républicains fuyaient à la débandade par les Pyrénées, aussi , je ne crois pas qu'ils aient su qu'ils étaient en train d'exécuter l'un des fondateurs de la Phalange.....les balles ne l'avaient que frôlé et il avait profité d ela confusion du moment pour courir se cacher dans la forêt....A un moment donné, mon père a  entendu dans son dos un bruit de branches, il s'est retourné  et a  vu un milicien qui le regardait. C'est alors que quelqu'un a crié: " Il est par là?"  Mon père racontait que le milicien était  resté le regarder  quelques secondes  et qu'ensuite sans le quitter des yeux, il avait crié: " Par ici, il n'y a personne"! puis, il avait fait demi-tour et était parti.  page 17

(au milieu des années quatre-vingt)  Je commençai à m'intéresser  à Sanchez Mazas....défendre un écrivain phalangiste équivalait à défendre un écrivain; ou plus précisément, à se défendre soi-même en tant qu'écrivain défenseur d'un bon écrivain. page 19

(L'auteur et Aguire, un professeur  qui a réagi positivement à un article de l'auteur sur Raphaël Sanchez Mazas)"Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais, moi, il me semble qu'un pays est civilisé quand on n'est pas obligé d'y perdre son temps en politique".
- Exactement le contraire de ce qui se passait en 1936.
- Tout juste.  page 30

 José Antonio Primo De Rivera disait: " les peuples ne sont jamais tant mis en branle que par les poètes" S'il est vrai  qu'on fait la guerre pour l'argent, qui est pouvoir, les jeunes gens, eux, partent pour le front et tuent et se font tuer, et se font tuer pour des mots, qui sont poésie.  C'est pourquoi ce sont toujours les poètes qui gagnent la guerre et c'est pourquoi Sanchez Mazas  sut ourdir cette violente poésie patriotique. page 60

(Un texte de Rafael Sanchez Mazas  dans son journal)
"Je, soussigné, Rafael Sanchez Mazas, fondateur de la phalange espagnole, conseiller national, et président du conseil politique, doyen actuel des phalangistes d'Espagne et son plus haut dignitaire dansla zone rouge déclare;
1- Que le 30 janvier 1939, je fus fusillé dans la prison de  Collell avec quarante-huit autres malheureux prisonniers et  que j'en réchappai miraculeusement après les deux premières décharges, et m'enfonçant dans la forêt;
2- Qu'après une marche de trois jours à travers la forêt, me déplaçant la nuit, et demandant l'aumône dans les fermes, j'arrivai à proximité  de Palol de Rebardit...page 70

Je me disais que si le récit de Jaume Figueras pouvait ne pas être fiable, ( ou peut-être moins douteux que celui de  Ferlosoi) puisque sa véracité ne dépendait pas d'un souvenir ( le sien) mais du souvenir d'un souvenir ( celui de son père), en revanche, les récits de son oncle, de Maria Ferré et d'Angelats, pourvu qu'il fût encore en vie, étaient eux, de première main et comme tels beaucoup moins aléatoires , du moins en principe...page 75

( L'auteur annonce à son amie,  Conchi, son intention d'écrire)
" C'est du propre, commenta Conchi, avec un rictus de dégoût. Se mettre à écrire sur un facho avec la quantité d'écrivains rouges vachement  bons qu'il y a ici!" page 84

Pendant plusieurs mois, je consacrai mon temps libre que me laissait mon travail au journal à l'étude  de la vie et de l'oeuvre de  Sanchez Mazas.page 85

....nous ne le connaissons ( le passé)  qu'à travers le filtre de la mémoire..page 89

(Sanchez a vécu 10 ans en Italie)  Il s'y convertit au fascisme. De fait, il n'est pas trop exagéré d'affirmer que Sanchez  Mazas fut le premier fasciste d'Espagne, et il n'est pas moins exact de dire qu'il fut le théoricien le plus influent e cette idéologie.  page 102
Si bien qu'en 1929, de retour à Madrid,  Sanchez Mazas avait déjà pris  la décision de se consacrer entièrement à la construction d'un avenir identique  pour l'Espagne. D'une certaine manière, il y parvint. page 103

(La fusillade a lieu dans la prison mais Sanchez Mazas n'est pas atteint par les balles , il s'enfuit dans les bois et il est recherché.) Au moment même  où le soldat atteint le bord du fossé, un cri  proche  traverse le bruissement  végétal de la pluie:
" Il y a quelqu'un par là?
Le soldat regarde  Sanchez Mazas; celui-ci fait de même, mais ses yeux embués ne comprennent pas ce qu'ils voient....
...qui crie en l'air avec force sans le quitter des yeux:
- Par ici, il n'y a personne! page 132

(Sanchez Mazas erre) et  rencontre une famille de paysans)
- Je m'appelle  Rafael Sanchez Mazas et je suis le dirigeant de la Phalange le plus ancien  d'Espagne,dit-il finalement à l'homme qui l'écoutait sans le regarder. page 137

" Un jour, je raconterai tout cela dans un livre: il aura pour titre Les Soldats de Salamine."  ( dit Sanchez Mazas à la famille qui l'a recueilli)
page 160

Dès 1937, la mort de José Antonio décapité la Phalange, domptée en tant qu'idéologue et annihilée en tant qu'appareil autonome de pouvoir; Franco  put alors l'instrumentaliser,avec sa rhétorique, ses rites et autres signes extérieurs du fascisme, pour conformer son régime à celui  de l'Allemagne d'Hitler et de l'Italie de Mussolini.page 165

Et qu'est-ce qu'un héros?
La question sembla le surprendre comme il ne se l'était  jamais posée ou comme s'il se la posait toujours, ayant soulevé sa tasse, il me lança un regard fugace droit dans les yeux, le dirigea ensuite vers la baie, réfléchit un instant, puis il haussa les épaules.
- Je ne sais pas, dit-il. Quelqu'un qui croit être un héros, et à juste titre ou quelqu'un qui a du courage et l'instinct de la vertu et qui, pour cette raison, ne se trompe jamais ou du moins ne se trompe pas au seul moment où il est important de ne pas se tromper, et qui, par conséquent, ne peut ne pas être un  héros.page 194

Tous les récits ( dans les romans ) sont des récits réels, du moins  pour celui qui les lit, c'est la seule chose qui compte. page 219

(Miralles, un soldat que l'auteur pense être celui qui a épargné Sanchez Mazas) Aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus heureux qu'à mon époque, tous ceux qui ont vécu assez longtemps le savent. C'est pourquoi chaque fois que j'entends un vieillard pester contre l'avenir, je sais qu'il le fait pour se consoler de ne pas pouvoir le vivre, et chaque fois que j'entends un de ces intellectuels pester contre la télé, je sais que je suis  devant un crétin....page 245

( l'auteur pense à son père en comparant son âge  à celui de Miralles) Je me dis que, même six ans après son décès, mon père n'était pas toujours mort car il y avait quelqu'un pour se souvenir de lui. Puis, je me dis que ce n'était pas moi qui me souvenait de mon père mais lui qui s'agrippait à mon souvenir pour ne pas mourir complètement.  page 249

( Miralles)  "En temps de paix, il n'y a pas de héros..Les héros ne le sont  que quand ils meurent ou quand on les assassine. les véritables héros naissent dans la guerre et meurent dans la guerre. Il n'y a pas de héros vivants, jeune homme. Ils sont tous morts. Morts, morts, morts. Sa voix  se brisa..;page 266

( L'auteur rentre en Espagne après avoir vu Miralles à Dijon , en maison de retraite) ...Ce fut là que je vis tout d'un coup mon livre, le livre que je poursuivais  depuis des années, je le vis tout entier, terminé, du début à la fin, de la première à la dernière ligne, ce fut là que je sus, quand bien même nulle part dans aucune ville , d'aucun pays de merde, jamais aucune rue ne porterait le nom de Miralles, que tant que je raconterai son histoire, Miralles continuerait en quelque sorte à vivre, tout comme continueraient à vivre, pour peu que je parle d'eux, les frères Garcia - Joan et Lela _ et Miquel Cardos et.....Je vis mon livre entier et vrai, mon récit réel complet, et je sus qu'il ne me restait qu'à l'écrire, le mettre au propre puisqu'il était dans ma tête depuis le début ( C'est à l'été 1994, voilà maintenant plus de six ans, que j'entendis, pour la première fois parler de l'exécution de Rafael Sanchez Mazas...page 281

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