jeudi, mars 18, 2021

PATAGONIE ROUTE 203. (Eduardo Fernando Varela) 2020

 Au volant de son camion, un énigmatique saxophoniste parcourt la géographie folle des routes secondaires de la Patagonie  et subit les caprices des vents omniprésents. Perdu  dans l'immensité du paysage, il se trouve confronté à des situations aussi étonnantes et hostiles que le paysage  qui l'entoure. Saline du Désespoir, La Pourrie, Mule Morte, Indien Méchant et autres lieux favorisent les rencontres improbables avec des personnages peu aimables et extravagants: un journaliste qui conduit sa voiture sans freins et cherche des sous-marins, nazis, des trinitaires anthropophages qui renoncent à la viande, des jumeaux évangéliques boliviens d'un Train fantôme, un  garagiste irascible et un lari jaloux. 

Au milieu de ces routes où tout le monde semble agir selon une logique insaisissable, Parker tombe amoureux de la caissière d'un e fête foraine. Mais comment peut-on suivre à la trace quelqu'un dans un  univers où quand on demande son chemin, on vous répond:" Vous continuez tout droit, le jeudi vous tournez à gauche et à la tombée de la nuit, tournez encore à gauche, tôt ou tard, vous allez arriver à la mer. 

Ce fabuleux premier roman est un formidable road-trip, dans un paysage dévorant, sur les routes les plus inhospitalières et sidérantes du sud du monde où rien ni personne  n'est ce qui semble être. 

Parker jeta un regard circulaire au paysage vide, puis pointa son index vers le haut: " Ici, le temps n'existe pas, ni les dates, c'est pour ça qu'on dort si bien. " page 31

"Ici, personne n'est d'ici, ils  viennent tous d'ailleurs. Ceux qui étaient d'ici n'existent plus". page 34

Il n'est pas de désir plus tenace que  celui qui reste à mi-chemin, ni nostalgie plus puissante que celle qui tient à ce qui n'est jamais arrivé.  page 80

Cette nuit-là, Parker dormit dans la cabine pour gagner du temps, une sensation de hâte le dominait depuis le moment où il avait décidé de revoir cette femme. "Maytén" répétait-il dans sa tête. Le son de ce prénom évoquait la terre et le paysage, les lacs bleutés de la cordillère, la brise tiède du printemps qui caressait les corps; il produisait un écho fragile, cristallin, un accent, un final sans voyelle, ce qui ajoutait une grâce subtile, vaporeuse.  page 89

"Maytèn" répéta-t-il pour la énième fois, et il comprit enfin qu'il avait trouvé ce qu'il cherchait. mainte nant le prénom sonnait différemment et l'écho qui au début, paraissait forcé et lointain, perdait son étrangeté pour devenir familier.  page 91

En observant l'espace qui l'entourait, elle se dit que la cage qui l'emprisonnait était vaste, sans barreaux, ni portes, ni fenêtres, infinie. Une cellule où elle pouvait se mouvoir à volonté, mais d'où elle ne pourrait jamais s'échapper. C'était la plus terrible des prisons , dont les murs s'étendaient à perte de vue et au-delà.  Elle se demanda ce qu'étaient devenus ses rêves et ses espoirs, son ambition de quitter pour toujours ces solitudes et de vivre dans une ville  avec de vraies rues et des immeubles, des gens marchant sur les trottoirs sans devoir se protéger des bourrasques et toujours chercher un abri.  page 100

Maytèn s'éloigna de Parker et, au moment de franchir la barrière du temps qui sépare le passé du présent, cet instant où elle allait disparaître pour toujours, elle le regarda par-dessus son épaule , avec une lueur de malice. " On se voit à la foire, plus tard?"   page 113

Maytèn traversa le village, contente, quasi euphorique, le simple fait d'avoir échangé quelques paroles anodines  avec qui n'était pas son mari, produisait en elle une bouffée d'oxygène, qu'elle  n'avait pas éprouvée depuis longtemps. Elle se sentait différente,  regardée par d'autres yeux, désirée,  et séduite,  vivante, plus attirante que l'image dégradée qu'elle avait d'elle- même: celle d'un e femme fanée et triste qui  gâchait sa vie chaque jour, sa jeunesse et les meilleurs année  de sa vie en  disputes et besognes domestiques. page 114

Elle n'éprouvait pas de remords d'avoir trahi Bruno, mais de la peur qu'il découvre son infidélité. Elle avait été longtemps fidèle  à sa parole  et à son compagnon , très longtemps, mais elle commençait  à sentir  que le moment était venu d'être fidèle à elle-même. Sacrifier sa jeunesse  et sa vie entière en échange de rien était la  pire des trahisons qu'elle puisse commettre.  page 127

Il (Parker) aimait sa solitude plus que tout et n'éprouvait pas le besoin de la partager , mais quelque chose de différent était  survenu, plus qu'un amour dérisoire, c'était une obsession. page 144

Plus Parker descendait vers le sud, plus sombres étaient les habitants et plus accusées leurs résignations. page 149

(Parker retrouve Maytèn) Elle ne ressemblait plus à une déesse orientale , mais à une vierge  exposée dans une niche. Lorsqu'elle le reconnut, la cigarette aux lèvres, elle ne sembla pas très surprise. Une expression imperceptible  de résignation voilait ses yeux, mais en quelques  secondes, son visage  s'éclaira  et elle parut revenir à la vie.  Elle lui adressa un sourire et une petite moue qui hypnotisèrent Parker. page 167

Elle ne le regardait plus, ne guettait plus les environs, elle regardait  en elle-même, passant sa vie en revue, celle qu'elle avait vécue comme celle qui s'ouvrait devant elle. Page 174

Le camion  épousait les courbes de la route avec la souplesse d 'un serpent  et se glissait  entre les plis des collines. Depuis plusieurs jours Parker conduisait  en regardant alternativement le paysage  qui s'ouvrait devant lui et les rétroviseurs latéraux qui lui offraient la perspective du chemin parcouru et l'assurance qu'ils n'étaient pas suivis. Page 181

"C'est le temps qui manque ici, regarde tout ce temps qu'il y a ici. " dit-elle. 

Il n'est pas de  désir tenace que celui qui reste à mi-chemin, ni nostalgie plus puissante que celle qui tient à ce qui n'est jamais arrivé. 

"Quand elles sont sèches, les larmes ne servent plus à rien ", dit-il, trouvant aussitôt la phrase plus banale qu'au moment où il l'avait pensée. page 182

Ici, on n'est personne et on est tout le monde. page 187

Je pleure en moi-même des larmes sèches. C'est bon pour la santé....page 190

La vie monotone et ennuyeuse dans ces régions obligeait les gens à inventer des légendes pour avoir un sujet de conversation le soir. Il avait entendu toutes sortes d'histoires pendant ses voyages, elles faisaient partie du pauvre folklore local, ces récits collectifs où chacun ajoutait des détails, qui modifiaient la version originale. page 212

" Pour connaître la nature humaine,, il n'y a pas besoin d'être très savant, il suffit d'observer.  Tu ne veux pas affronter les autres, c'est pour ça que tu vis enfermé dans ton camion et tu fuis le monde. Ton passé est une bonne excuse, mais en fait, tu  as toujours été comme ça. Tu as perdu quelque chose, tu ne sais même pas quoi et  tu passes ta vie à le chercher, dit-elle ( Maytèn à Parker) page 220

Son visage (celui de Maytèn) s'était assombri ces derniers mois aux côté de Parker, elle avait commencé à faire le bilan de ce qu'avait été sa propre vie et surtout de ce qu'elle n'avait pas été. Aussi loin que remontait sa mémoire, peu  de choix s'étaient présentés à elle, tous  sans importance. Tout lui était arrivé par une sorte de décantation à force de se laisser emporter par les choses quotidiennes...Quitter son mari  et son existence précédente  n'avait pas été non plus une vraie  décision: tout s'était passé dans la précipitation comme une surprise ou une facétie du destin. page 222

Qu'est-ce que je vais devenir dit-elle, l'air sombre et elle s'interrompit. Elle ne voulait pas ressembler à ces bonnes femmes qui passaient leur temps à soupirer et à pleurnicher.  Elle s'était endurcie dans la steppe, en affrontant la solitude, la  neige et le vent., mais elle éprouvait maintenant quelque chose d 'étrange.  page 239

"D'où venez-vous? " ( des policiers à Parker) Parker ne sut pas davantage  quoi  répondre. D'où il venait?  Depuis des années , il tournait en rond dans ces confins du continent, d'un endroit à l'autre, sans point fixe de départ  ou d'arrivée.  C'était devenu un périple incompréhensible et absurde. ...Comment pouvait répondre  à cette question quelqu'un qui conduisait en se guidant avec les étoiles, au gré des caprices de la nature. ..." Je ne sais pas d'où je viens, je ne sais pas quoi vous dire "parvient-il à articuler dans un filet de voix. page 284

"Je veux rentrer à la maison, murmura Maytèn.  Parker la dévisagea tout surpris. - "On n'a plus de maison! s'exclama-t-il.  - Si on en a encore une...La maison, c'est toi et moi, pas un camion. ça s'appelle un foyer." page 290

Parker regarda Maytèn longuement, il ne pouvait plus attendre, ils devaient prendre une décision tout de suite. ...Maytèn risquait de gâcher son propre avenir...Il devait faire un effort pour la regarder dans les yeux pendant qu'il parlait. Il comprit qu'à cet instant se terminait cette étape de sa vie, c'était presque une chance qu'on les ait arrêtés à cet endroit et empêchés de repartir. Le bonheur illusoire qu'ils avaient vécu n'avait servi qu'à leur faire oublier l'absence d'horizon hors de la cabine du camion.  Et ce  camion immobilisé au milieu de la plaine, assiégé par le sable que le vent accumulait sur ses flancs, était déjà une ligne de partage. page 318

La plupart des routes restaient coupées mais des corridors avaient été ouverts grâce à l'intervention des ingénieurs militaires. les passagers étaient des hommes et des femmes aux mains et aux visages tannés par les intempéries, mais souriants et aux corps robustes. Taciturnes, enveloppés dans des ponchos et des manteaux, ils voyageaient en regardant par les fenêtres embuées et couvertes de poussière . Ils partageaient leurs provisions en silence, comme si ls paroles  n'avaient plus de sens et que la véritable communication passait par le  simple partage d'une gorgée de vin ou de maté, d 'un morceau de pain et du silence monotone de la route. C'étaient les règles  implicites de la  coexistence qui prévalaient dans la vie hasardeuse de la steppe.  Maytèn était assise  sur le dernier siège, entourée d'enfants avec lesquelles elle avait joué pendant le voyage. Une petite communauté s'était ainsi  créée entre les passagers, qui l'avaient adoptée, depuis qu'ils avaient quitté un campement d'évacués. Cette jeune femme aimable,  qui voyageait seule et cherchait quelque chose qu'elle na savait pas trop bien expliquer, avait éveillé un sentiment  de solidarité. Maytèn ne savait plus combien de temps avait passé depuis qu'elle s'était séparée de Parker, ni combine de semaines elle avait parcouru pour arriver où elle voulait aller avant que le temps et les eaux emportent une partie de sa vie ...Parker représentait le peu qu'elle avait obtenu de la vie, la seule  et brève  amorce de quelque chose ressemblant à de l'amour, avant que la plaine ne les avale. La vie lui accorderait une seconde chance...page 348

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