dimanche, avril 11, 2021

IMAGINER LA PLUIE ( Santiago Pajares) 2017

 Il n'a jamais connu que les dunes et le désert, et pour toute compagnie sa mère qui lui raconte un monde détruit par la folie des hommes. Ici, point de rose à soigner, point de renard ou de planète à chérir, seul compte l'essentiel: un appentis pour s'abriter  des tempêtes de sable; quelques palmiers et un puits, beaucoup de lézards...et de rares légumes.  Consciente que son petit prince devra un jour  désirer autre chose, la mère fait de lui le dépositaire de ses souvenirs. Elle lui représente ce qui composait l'existence d'avant: le goût du café fumant, l'arôme des fleurs, la rosée du main sur les fougères, les notes d'un piano - mais aussi la haine, la cupidité, la guerre. Elle sait qu'un jour, il faudra partir. Ainsi, lorsqu'elle meurt, le garçon, terrassé par le silence, entreprend un long voyage pour revenir vers les hommes. 

Avec cette fable post-apocalyptique d'une rare poésie, Santiago Pajares interroge ce qu'il reste de nous lorsque les corps sont  soumis à la survie et à la solitude et s'attache à l'inventaire de ce qui est réellement indispensable à notre bonheur. 

Le sable. Le sable à perte de vue.  Dans toutes les directions. Et au milieu de ce néant, qui n'est que sable, un petit puits, deux palmiers, un potager minuscule et un appentis. Et moi, sur le toit, essayant d'imaginer la pluie. ..Voilà  ce que je fais. J'imagine la pluie. Mère en a vu beaucoup , et souvent. Pour elle, c'est une chose normale, sans importance. Pour moi,  c'était inconcevable de trouver normal de voir tomber l'eau du ciel. page 9

Une chose ne peut vous manquer que si vous l'avez connue. je ne peux détester le désert. je n'ai connu rien d'autre. page 11

Dans un monde de sable, elle (sa mère) me montra comment avoir un coeur de pîerre...Elle m'apprit à me battre jusqu'à ce que je gagne ou tombe. Elle ne me laissa jamais gagner. page 13

Mon nom est  Ionah. Il signifie "colombe". Ma mère m'a appelé Ionah en souvenir de cet animal  dont la seule obsession était de revenir à la maison. page 15

Mère m'a appris que le puits était la chose la plus importante, beaucoup plus importante qu'elle-même. Sans cette eau obscure, on mourrait irrémédiablement. page 16

" Pourquoi manger des lézards - A cause des protéines. - Mais eux aussi ont besoin de protéines - Ils mangent des insectes pour en avoir.  - Et nous, des lézards. - Oui. ..;- Si les lézards mangent des insectes,  et nous des lézards, ....Qui nous mange?  - Nous nous dévorons les uns les autres. page 20

Les tempêtes de sable, c'est la façon  qu'a le désert de crier. ...Le désert nous parle, mais comme tous ceux qui  parlent, il crie aussi. page 21

Si je te racontais ce que j'ai connu, tu désirerais des choses que tu ne pourrais pas avoir. Le désir peut rendre fous dans un endroit pareil. page 25

Je savais que mère ne voulait pas entrer en contact avec quelqu'un. Moi non plus, je n'aurais pas su comment me comporter si on avait essayé.  page 29

Mère m'apprit à écrire  dans le sable.  Avec une baguette longue et fine, elle dessina toutes les lettres, d'abord la majuscule, et la minuscule à côté. ...;J'aurais aimé écrire une phrase sur une feuille de papier, pour ne pas l'oublier  et pouvoir la relire des années plus tard, mais mère n'en avait pas beaucoup, elles étaient imprimées des deux côtés et les marges étaient pleines de griboullis......page 31

Mère m'explique que les mots servaient à se rappeler ce que nous ne voulions pas oublier, ce qui était arrivé d'essentiel pour nous.  page 32

" Tu voudrais que ton père vive encore? - Oui. - Pour ne pas être toute seule? - Je ne suis pas seule.je suis avec toi. C'est suffisant. page 43

Mère me raconta qu'avant que tout change, il y avait des moyens de soigner sa maladie ou du moins, de ralentir sa progression.  Elle me parla d'antibiotiques et de médicaments.....Elle toussait dans un chiffon et me demandait de ne pas m'approcher. page 45....J'essayais d'être son antibiotique, de repousser la progression  de sa maladie, de lui laisser le temps de tout me raconter , même si c tout n'était pas suffisant. page 46....Ils avaient tous des armes et étaient pétris d'angoisse, ils avaient peur d'être privés d'eau et de nourriture. Ils préféraient mourir en défendant leurs biens, plutôt que de vivre dans l'incertitude. Parce que personne ne savait s'il y aurait un lendemain. page 46

Mère est morte, Elle s'appelait Aashta. Cela signifie  "foi". Quand je lui ai demandé la signification de son nom,   elle m'avait répondu : " La foi, c'est ce qui reste quand il ne reste rien". page 51

Je m'appelle Ionah. J'ai vingt et un ans et depuis l'âge de douze ans, je n'ai parlé qu'à moi-même. page 55

Vient  toujours un moment où un pas de plus signifie "mort" ou " victoire". ...J'ai essayé six fois et six fois, j'ai fini par faire demi-tour. ...Je n'ai pas peur de la mort. Mourir , ce n'est rien. Nous allons tous mourir. mère est morte et cela m'arrivera aussi. ...Comme j'aimerais posséder ce que ma mère  appelait un pistolet pour me coller une balle  dans la tête avant de m'écrouler, vidé de mes forces. page 57

J'ai peur d'oublier les mots de mère....Tous les jours, je me récite ses vieilles histoires , à haute voix, comme elle me les a apprises. Pour ne pas oublier. page 58

Je connais les sons du désert. je sais comment bruissent les feuilles du palmier bercées par le vent et la course  des dunes. Je reconnais la reptation d'un serpent sur le sable et le seau contre les dures pierres  plates du puits.  Autant de sons qui représentent  pour moi une portion de l'éternel désert. Page 60

Je t'ai déjà que l'échec n'a pas d'importance, ce qui compte, c'est  de faire ce que tu crois devoir faire. page 65

Rien ne survit seul dans le désert, pas même les pierres. Je jure tout bas de changer de direction. Il ne bronche pas. J'ai peur de le toucher. J'ignore s'il est vivant ou  mort , mais je sais ce que c'est, même si je n'en ai jamais vu. c'est un homme. page 70 ( Ionah a quitté l'appentis et veut aller vers des lieux habités et voici qu'il rencontre un homme presque mort).  (Il revient avec cet homme vers l'appentis)

Il y a des choses pires que la mort. - Par exemple? - La solitude. ( il parle à sa mère décédée). page 71

Il me sourit. Me tend la main. Je me rappelle les propos de ma mère. Je sais que c'était une coutume des gens avant  que tout change. Je mets ma paume dans la sienne. Je la serre et la secoue de haut en bas. Et je comprends la raison de ce geste. Il est agréable.  " Merci de m'avoir sauvé la vie, Ionah. - Tu en aurais fait autant. Il rit bien que je n'aie dit aucune plaisanterie. je lui demande : " Comment t'appelles -tu?  IL réfléchit un instant, comme s'il ne se rappelait pas de son propre nom. - Je m 'appelle Shui.  - Ce qui signifie ? - ça signifie "eau" . Eau. Il s'appelle eau. J'ai trouvé Eau dans le désert. page 80

" Qu'est-ce qui t'inquiète, Ionah?  - Le puits. Les pièges pour les lézards. Les tempêtes de sable. Le potager. Les mots de mère.  - C'est tout? - Je crois. - Tu as de la chance, Ionah. Tu ne le croiras peut-être pas, mais tu as de la chance.  Cela me met mal à l'aise....Avant de me coucher, je lui parle: " je ne vois pas en quoi j'ai de la chance. - Tu n'as plus rien à perdre." page 82

Le jour ne s'est pas encore levé. Shui est sur l'auvent, assis....Je ne dis rien. Lui non plus. La clarté commence à poindre....Un halo de lumière avance sur le sable.  " C'est toujours ainsi? - Toujours. - C'est beau. De ma vie, je n'avais vu quelque chose d'aussi beau..." Je ne dis toujours rien. Je ne sais que dire...." C'est pour ça que j'ai de la chance?  - oui, Ionah.  Sa voix se brise. Je le regarde. Il pleure. J'essuie les larmes de ses joues. page 84

"Tu sais pourquoi les blessures laissent des cicatrices?  - Non - Pour ne pas oublier. page 90

(Il y a dehors une tempête de sable) Je ferme la porte et colmate l'encadrement avec des chiffons pour empêcher le sable de pénétrer. Les mains de Shui tremblent. Il serre  son sac dans  ses bras, mais il constate que l'appentis résiste et qu'on est à l'abri, il semble se détendre. " C'est le désert qui crie. - Il crie haut et fort. - Oui. Que fait-on pendant la tempête? - On attend. page 92

Ce ne sont pas des mensonges, ce sont des contes. - Quelle est la différence? - On dit des mensonges pour tromper les gens. Les contes,  c'est pour qu'ils se sentent bien. page 94

Le destin, c'est croire que le chemin  que tu dois suivre  est déjà marqué. page 101

Dans le désert, on ne classe pas les choses en faciles ou difficiles, mais en possibles et impossibles. page 105

Shui  ne dit presque plus rien. Je crois que le désert a mangé ses mots....Maintenant, il sait être silencieux et écouter tout ce que je n'ai pas à dire, ce qui est déjà beaucoup. ...Le désert; c'est s'asseoir  et écouter quelqu'un qui n'a rien à dire. page 115 

"Tu m'as donné ce que personne n' a jamais pu me donner, Ionah. Tu m'as donné une perspective. Tu m'as sauvé du désert.....Tu m'as aidé à réduire ma vie à l'essentiel. page 116

Ce qui m'inquiète, que nous puissions vraiment tout réduire à l'essentiel, et à ce qui est vraiment indispensable, et survivre.  - C'est bien le but, non? Obtenir le nécessaire. - Oui, Ionah. Mais le but ne doit pas être la simple survie. L'être humain s'est toujours battu pour progresser. page 135

" Que sais-tu de l'amour Ionah? - Je sais qu'il existe, mais que nous ne pouvons pas le toucher, comme la peur ou la faim. - L'amour est une force, Ionah, mais c'est pas la force la plus puissante. ...- Et quelle est la force la plus puissante? - La peur. Tu choisis qui aimer, mais pas de qui ou de quoi tu as peur. page 147

Parfois, on peut se sentir  mieux sans être joyeux pour autant.  j'aime aller mieux. Shui  aussi, je crois. page 151

Pour moi,, avoir une chose, la perdre, la récupérer et le reperdre, c'est bien pire  que de l'avoir jamais eue. page 16...."sais-tu ce qu'on dit sur les amis? - Non. - Qu'on peut tout leur pardonner. page 161

(Shui a été mordu par un serpent, sa santé se détériore et il se jette dans le puits.) Shui est au fond. Il est tombé dans le puits. - Shui est mort, Tu ne peux rien pour lui. - Mais Shui est...Il est tombé...Il s'est jeté... - Ton puits est perdu....page 166

C'est une chose étrange de faire une chose pour la dernière fois. Assis sur l'auvent, les mains sur les cuisses, , je regarde devant moi et j'attends l'aurore. Je vais partir, mais il y aura encore des aurores, même l'éternel désert ne pourra rien changer à cela. page 169

(Ionah a quitté son appentis, son puits etc...il marche dans le désert) ) Au point où j'en suis, je pense que chaque pas sera le dernier. Quan j'avance le pied, et l'enfonce dans le sable, je ne trouve pas la force d'avancer l'autre pied. ....La force est mystérieuse. Elle st en vous, mais elle ne vous appartient pas. page 201

Je dépasse encore une dune, et la voilà. Tant d'eau. Tant de bleu. Tant de beauté que je peux à peine, noyé par ces dunes d 'eau qui se poursuivent  avant de mourir dans le sable. Au bord de cette mer, trempé, je regarde la lisière du désert, incapable d'absorber toute l'eau qu'il accueille. page 204

Tous les enfants ne grandissent pas pour devenir  des hommes, et tous les hommes ne vieillissent ppas pour devenir des vieillards. page 221

Soudain, j'entends un grand bruit dans le ciel et je sens un chatouillis dans tout le corps. j'ouvre les yeux et je vois plein de nuages gris. Il pleut. Des gouttes tombent par milliers, par milliers. Elles me trempent les cheveux et la peau..  J'ouvre la bouche et les gouttes descendent dans ma gorge....Je m'allonge, la bouche grande ouverte, et j'éclate de rire, mais c'est un bon rire ,aussi bon que l'eau  que le désert pleure sur moi. Car c'est le signe  que tout recommence à changer. page 229

Je sais au moins qu'il a plu, je n'avais jamais vu pleuvoir....J'ai vu l'avion par lequel ma mère est venue. J'ai vu la mer. J'ai vu la pluie. Pour toutes ces raisons, je peux considérer que j'ai de la chance. je sens que j'ai plus de pas dans mes pieds que de dunes. page 230

J'ai peur de parler. je crois que je suis resté trop longtemps silencieux. page 263 ( Ionah a quitté le désert et explore un fort de l'armée sans doute. Il y trouve de l'eau, des provisions  nombreuses et inconnues).

Je ne suis pas sorti du désert pour survivre, j'en suis sorti  pour ne pas mourir tout seul. page 275

(dans le fort, il voit deux hommes et une femme). Ils braquent leur fusil sur moi ne criant mais moi je ne les comprends pas....Tout ne s'exprime pas avec des mots, le désert m'a appris cela aussi. page 277

Avant, pour me nourrir, je me battais contre le désert et maintenant,  pour me nourrir,  je me bats contre d'autres personnes. je me demande si  c'est cela le progrès.  page 288

Je grandis , j'apprends  des choses. Et si j'ai appris quelque chose pendant toute cette période, c'est que la vie vous surprend toujours.  Peu importe ce que vous pensez ou ce que vous avez prévu, la vie vous offrira toujours une vision plus vaste, inimaginable. Maintenant, je le sais, parce que je l'ai vécu. page 293

( Il prend l'avion avec les trois personnes qu'il a rencontrées dans le fort, plus d'autres).  Et avant de nous enfoncer dans les nuages, j'embrasse l'éternel  désert d'un coup d'oeil.  Alors, je le rends compte que mon monde est petit et que ma vie n'appartient qu'à moi. Pas à ma mère, ni au désert, à moi seulement;  Et que désormais, moi, et moi seulement, déciderai où souffle le vent.  page 295. 


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