mardi, avril 06, 2021

KIBOGO EST MONTE AU CIEL ( Scholastique Mukasonga) 2020

 De Kibogo, le fils du roi , ou de Yézu des missionnaires, lequel  des deux est monté  au ciel? Qui a fait revenir la pluie, sauvant ainsi son peuple de la sécheresse et de la famine? Est-ce Maria de la chapelle ou la prêtresse de Kibogo qui a dansé sur la crête de la montagne au-dessus du gouffre? 

Au Rwanda, colonisation et évangélisation avaient partie liée. En 1931, la destitution du roi Musinga qui refusait le baptême entraîna la conversion massive de la population. Souvent, ces baptêmes à la chaîne, pour beaucoup opportunistes, aboutirent à un syncrétisme qui constituait une forme de résistance. 

Est-ce qu'il fallait  croire aux contes que prêchent les pères blancs à la longue barbe ou à ceux que raconte votre mère, chaque soir, à la veillée, jusqu'à ce que le foyer ne soit plus que braises rougeoyantes?

Dans ces histoires miraculeuses, la satire se mêle d'humour et de merveilleux: un  immense plaisir de lecture. 

 RUZAGAYURA.

Les fleurs, c'est pour la guerre. Nous autres, Rwandais, on nous a dit: on doit faire des efforts pour la guerre, la guerre des Belges, la guerre des Anglais, la guerre des Allemands, la guerre de tous les Blancs.  Ces fleurs sont des médicaments pour les soldats qui font la guerre..  Il faut beaucoup de fleurs...Page 11

Et les enfants cueillaient, cueillaient les fleurs, sous le soleil, sous la pluie. Ceux qui allaient à l'école, n'allaient plus à l'école. On les emmenait avant que le soleil se lève, et ils revenaient à la maison la nuit tombée. Ils étaient épuisés, ils n'avaient même plus la force de manger. Et ils pleuraient, et ils pleuraient et ils tombaient malades et quand les mères ont caché les enfants, on est venu chercher les pères et ils ont reçu Ibiboko, huit coups de fouet.  page 12

Mais les chefs avaient peur de leurs maîtres blancs..   Page 13

Oui, c'est alors que  Ruzagayura, la grande famine, vint s'abattre sur les pauvres Rwandais, sur les hommes affamés, sur les femmes amaigries,  sur els enfants malingres. ...On attendait la pluie....On l'attendait pour planter  les haricots, les petits pois,  le sorgho.  page 14  Les bébés périrent les premiers, les mères n'ayant plus de lait, les enfants aux grands yeux vides mangeaient de la terre , les vieux se cachaient pour mourir,, des colonnes faméliques erraient , cherchant, en vain, un peu de nourriture.  page 15

Et puis, ce sont les pères qui sont venus.....page 18 "le prêche: "Alors, vous savez maintenant pourquoi Yezu retient les nuages, pourquoi il vous refuse la pluie. et vs faiseurs de pluie, vos abavubyi, et leurs simagrées n'y peuvent rien. Ils ont beau agiter leurs fétiches, leurs baguettes qui commandent , selon eux, à la pluie, Yézu leur  a enlevé leur puissance s'ils  en avaient une. Maintenant, en vérité, je vous le dis, c'est Yézu, c'est Maria qui ramèneront la pluie. C'est eux qui commandent aux nuages...Page 19

Du sermon du père, personne ne trouva à redire. Tou tle monde s'était habitué à ses remontrances plus ou moins véhémentes. page 21

Mukamwezi était la dernière païenne  de la colline. Toute jeune, elle avait quitté sa famille pour la cour du roi Yuki Musinga afin d 'y tenir le rôle de prêtresse d'un culte mystérieux à présent oublié par la plupart. Elle avait été chassée de l'enclos royal lorsque le roi Musinga  avait été destitué par les Belges comme leur avait soufflé le monseigneur qui s'appelait Classe. le nouveau roi avait cédé aux missionnaires la colline où s'élevaient les huttes des palais de son père et ceux-ci avaient édifié une grande  église dédiée au Christ-Roi.  page 29

"Mukamwezi, dit Karekkezi, d'une voix hésitante, fais revenir la pluie, peut-être que tu le peux. Nous croyons que les nuages répondront à tes appels. Toi, tu es Mukamkibogo...."  - "Dans deux jours, je vous dirai....Peut-être."  page 32

La pluie était de retour: elle n'avait pas abandonné le Rwanda: Il fallait semer, replanter ce qu'on avait  pu sauver des semences et de boutures... "Rendez grâce , commença le padri,  et surtout à Maria  qui a si bon coeur: c'est elle qui nous a rendu la pluie..."page 42

AKAYEZU. 

C'est maintenant qu'il faut raconter l'histoire d'Akayézu. Même si ce n'est pas tout à fait un conte, il faut quand même la raconter. Akayézu, c'était la saison sèche qui le ramenait. La poussière avait déjà roussi les feuilles de bananier quand  on le voyait descendre de la camionnette qui ravitaillait la boutique de Swahili, la seule qui existait à l'époque. Il était toujours vêtu d'une robe blanche immaculée et chaussé de sandales. page 49

On demandait  au père d'Akayézu: " Ton fils, que fait-il encore chez les padri? Il y est depuis longtemps, il a encore des choses à apprendre chez les Bazungu? Il ne sera donc jamais padri?  - Bientôt, bientôt, il apprend des choses que je sauras dire comme il les dit...Oui, un jour, vous verrez , il sera padri pas un petit padri, un grand, un monseigneur comme celui de l'évêché de Kabgayi, comme je vous le dis, un monseigneur....avec une grande couronne, comme notre roi, Mutara. page 51

Akayézu hésitait , et voulant retarder le plus longtemps possible le moment de la distribution ( de pains) il se lançait alors dans un de ses interminables semons dont il était coutumier. Personne ne le comprenait mais ils fascinaient  à cause de mots étranges, du français,  sans doute mais surtout du latin, qui ajoutaient de la confusion de son discours ,mais lui donnaient le mystère d'une incantation magique. page 53

De toute façon, sortant du petit ou du grand séminaire, vous apparteniez , sans que personne puisse vous le contester, à la classe supérieure des "évolués". page 55

Akayézu prêchait le dimanche sous les grands arbres du Kigabiro. Ses semons attiraient une foule considérable - non pas qu'elle comprit  quelque chose à ses discours truffés de latin, mais on y accourait comme à un spectacle rare.....page 59  Ces prêches lui valurent des réprimandes de la part des pères de la mission voisine qui  se plaignirent d'empêcher  mes fidèles d'assister à la messe dominicale, ce qui es tune obligation pour tout chrétien. ..Les missionnaires avertirent les autorités de Kabgayi qui s'inquiétèrent de l'orthodoxie de leur élève et surtout de sa santé mentale. page 60

On informa donc Akayézu qu'il ne réintégrerait pas le grand séminaire à la rentrée, qu'il était définitivement exclu en raison de sa conduite extravagante et de ses propos contraires à la foi catholique. ..La nouvelle éclata comme un coup de tonnerre improbable...Akayézu avait été renvoyé du grand séminaire.  .page 68

Mais lui, Akayézu, il se demandait : " Dîtes-moi donc pourquoi le livre des padri , il ne parle jamais des Noirs et pourquoi il ne dit rien de nous, les Rwandais?  Yézu ne connaissait pas les Noirs, il n'avait jamais entendu parler des Rwandais? On  ne l'intéressait pas? page 72

MUKAMWEZI

C'est la fin de la saison sèche qu'Akayézu  entreprit d'"évangéliser " à sa manière la vieille  Mukamwezi, païenne, la sorcière; la honte de la colline, revenue d'on  ne sait où, disait le catéchiste, pour notre malheur. page 77

Le jour où Akayézu se décida à aller "évangéliser"  Mukamweizi, il avait non seulement revêtu sa soutane blanche mais aussi passé à son cou un chapelet à gris grains, comme en portent les pères...page 79. .....Au seuil de l'enclos, il héla Mukamwezi: Yewe, Mukamwezi, Yewe,  je suis Akayezu , je sais que tu n'ignores pas qui je suis. Je viens pour te baptiser..., n'aie pas peur: mon baptême n'est pas celui des padri. Laisse-moi entrer..." page 79


AMWEZI

La clairière du bosquet où s'élevait la hutte d'Akayezu était éclairée par la lumière livide de la lune. Les disciples du séminariste remarquèrent aussitôt que leurs cruches  avaient été disposées au pied du tronc raviné et noirci...Akayezu  sortit de sa hutte  et les invita à s'asseoir en cercle....Sa soutane blanche  semblait refléter la clarté lunaire  et sur sa poitrine pendaient  une dizaine de chapelets agrémentés de griffes d'animaux et de petits sachets en tissu d'écorce brune.... " de quoi avez-vous peur? ...Notre Rwanda  n'a plus de roi, n'a plus de  mwami. Celui qui prétend l'être et qui usurpe le nom de règne de Mutara, c'est le mwami des Blancs: quand ils ont chassé son père, n'a-t-il pas accepté le tambour de leurs mains? Il a préféré boire  avec eux l'hydromel qu'on appelle champagne! Et la colline où s'élevaient les palais de son père, il en  a fait don aux padri; et là où on devrait vénérer les arbres intouchables, il sont bâti leur église.  Er c'est Mutara qui  a proclamé que Yézu  était maintenant le roi du Rwanda. ...IL faut un nouveau mwami et tout redeviendra comme avant. page 89

Quand on s'aperçut qu'Akkayézu  s'était mis  en ménage avec  Mukamweizi  dans  sa case  ronde au pied  de la montagne, on se récria: "  Voilà que notre séminariste fou a choisi comme femme la vieille sorcière, c'est sans doute le diable qui les a mariés.  cela ne présage rien de bon sur notre colline. "page 93

" Moi, je sais qu'Akayézu est parti  au-delà des nuages pour rejoindre Kibongo et qu'il reviendra avec lui, sur les nuages, sauver encore  et encore notre Rwanda. page 101

Aucun commentaire: