dimanche, juin 17, 2007

LE CERCLE DU KARMA (Kunzang Choden née au Bouthan)

Père est un copiste méticuleux. Tsomo rêve d'apprendre à lire et à écrire, mais aussi qu'on lui enseigne les pratiques religieuses.
"Une fille , c'est différent. Tu apprends d'autres choses qui feront de toi une femme accomplie et une bonne épouse. Apprends à cuisiner, à tisser et tout le reste. Une femme n'a nul besoin de savoir lire et écrire. répond Père avec calme mais fermeté quand elle lui demande de l'instruire...Les femmes doivent se contenter d'apprendre à devenir de bonnes épouses. Tsomo n'y comprend plus rien.
Les années passant, elle finit par comprendre que le Père ne cèdera pas. Son père est comme ça. Il parle peu , mais ne revient jamais sur une décision, et personne n'ose le contredire. Que peut-elle faire? Rien , si ce n'est enterrer au plus profond d'elle-même son rêve d'apprendre les pratiques religieuses, jusqu'à ce qu'il soit plus qu'une vague réminiscence de rêve non réalisé. Si seulement elle était un garçon! Mais elle n'a pas accumulé suffisamment de mérites pour naître garçon.
Ses appréhensions eu égard à cette disparité se muent peu à peu en une plainte qu'elle a entendu formuler par toutes les femmes de son entourage: "Je ne suis qu'une femme", ne cessait-elle de répéter , chaque fois que la formule s'appliquait à une situation. Elle la répète comme un mantra , jusqu'au jour où elle finit par se convaincre que, dans la vie, bien des choses sont différentes pour les hommes et les femmes. Les plus âgées approuvent sa nouvelle sagesse , l'encouragent dans ce sens. "Oui, Tsomo, nous sommes des femmes . Différentes des hommes. Nous devons être moins ambitieuses , plus soumises. Nous ne sommes pas comme eux."Pages 42, 44.
Letho est le seul au village à posséder une "roue du temps". Cette montre, tout le monde en parlait, d'autant qu'il ne ratait jamais une occasion de la montrer. Il remontait la manche de son bras gauche d'un geste solennel, scrutait la roue du temps et annonçait : "C'est l'heure de déjeuner, à présent, im est midi" ou bien, : " le soleil ne devrait pas tarder à se coucher, il est presque cinq heures."
Au début, Aum Nala s'y intéressait tout autant que les autres, mais au bout d'un certain temps, elle se lassa. "Letho, nous avons toujours déjeuné et le soleil n'a jamais manqué de se coucher, même avant l'invention de ces roues du temps."page 80.
Tsomo n'avait qu'un désir: être une bonne épouse et une soeur attentive. Elle avait été élevée pour devenir une femme acccomplie , comme sa mère avant elle. Si bien qu'à toute nouvelle situation, elle réagissait comme elle s'imaginait que sa mère aurait réagi. page 124.
Tsomo ne risquait pas d'être souvent malade, car les routes , il y en aurait, certes, mais seulement pour ceux qui auraient les moyens de s'acheter des automobiles. Ceux qui les avaient construites devraient se contenter de les parcourir à pied. Ils avaient sué sang et eau , lutté contre le froid, la chaleur, les intempéries, jusqu'à ne plus faire qu'un avec la route. Ces routes-là étaient les leurs, parce qu'ils les avaient construites, mais pour ceux qui avaient les moyens de les parcourir au volant d'un véhicule, elles étaient "nos routes construites par nos ouvriers". Pour eux, en effet, les ouvriers étaient indissociables de la route. Ils faisaient partie des matériaux employés. Ils figuraient sur la liste du chantier avec les excavateurs, les pelleteuses, les bulldozers et les rouleaux compresseurs. page 161.
Accepter l'aumône l'incita à une réflexion plus profonde qui lui fit prendre conscience que charité et partage étaient deux choses bien différentes. C'était généralement les pauvres qui partageaient les choses qu'ils avaient, tandis que les riches faisaient la charité. Les pauvres partageaient sans motivation aucune , pas même por acquérir des mérites. Ils partageaient , poussées par une compassion qui leur venait de leur propre expérience. Ils savaient ce que signifiait avoir faim ou manquer de chance. page 254, 255
Tsomo et son mari furent obligés de redescendre sur terre quand leurs riches bienfaiteurs annoncèrent qu'ils rentraient au Bouthan. Ils invitèrent son mari et elle à les accompagner, mais Lathu trouva une excuse pour se défausser. "Les riches bienfaiteurs , c'est comme le feu, dit-il pour justifier son refus. Il faut les tenir à distance. Si on s'approche trop, on se brûle, et si on s'en éloigne trop, on a froid. Il faut maintenir la bonne distance."page 352
Son rêve secret (à Tsomo) de retrouver l'estime des autres, qui prenait encore une grande place dans sa vie quelques années auparavant, semblait s'être usé; ce n'était plus qu'une pensée qui la traversait de temps en autre et qui n'avait plus vraiment d'importance. Ce qui était important, en revanche, c'est qu'elle commençait à comprendre qu'elle n'était pas absolument maîtresse de sa propre vie. Qu'elle était le jouet des événements qui se produisaient dans la vie des autres. "Et si nous allions nous installer quelque part? On pourrait avoir un projet, faire quelque chose par nous-mêmes, "demanda-t-elle un jour à Lathu. page 353
"La seule relation qui ne change pas, c'est celle qu'on entretient avec soi-même", se dit Tsomo, imbue d'une nouvelle sagesse qui lui donna un sentiment de supériorité , l'espace d'une fraction de seconde" page 116
Editions Acte Sud

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