samedi, juin 23, 2007

MARIAGE ARRANGE (Chitra Banerjee DIVAKARUNI)

Quelle est donc la place de l'amour dans une tradition qui pratique le mariage arrangé (alors même que de célèbres traités réglementent le désir, les fameux kâma-sûtra, jusque dans les moindres détails organiques)?
Thème de réflexion incontournable pour quiconque observe le monde indien- tant celui de l'Inde elle-même que celui de la diaspora- et cette autre réalité à vivre au quotidien qu'est la famille élargie. De quels arrangements s'agit-il donc? Comment s'accomoder de ce qu'un tel contrat présuppose? Quels sont les risques qu'il fait courir aux individus; comment s'arranger avec les espérances, les peurs et les désillusions que le mariage fait naître chez les promis? Mais aussi , et surtout - dans l'optique du respect ou du rejet des pratiques culturelles tant indiennes qu'américaines, quels sont les arrangements possibles avec la réalité , que ce soit au sein d'un mariage conforme à la tradition ou d'une union choisie librement entre deux personnes?
En aucun cas, la régle sociale ne va fournir à l'individu une formule de comportement: il devra dans les circonstances qui sont les siennes faire l'expérience et le deuil de l'illusion non pas d'un bonheur impossible , mais celui de la perfection de ce bonheur. pages 7, 8.
"Es-tu nerveuse?" demanda Radha tandis qu'elle enveloppe ses cheveux dans une serviette de doux coton. Ses parents aussi essaient d'arranger un mariage pour elle . Trois familles sont déjà venues la voir, mais personne ne l'a choisie parce que la couleur de sa peau est trop foncée."N'est-ce pas terrifiant , de ne pas savoir ce qui va se passer?" page 31
(La jeune Indienne , Jayanti, est dans l'avion qui la conduit en Amérique.)
Le plateau de nourriture est si coquet, si hygiénique. Le couteau et la fourchette hermétiquement protégés par leur emballage de plastique, la serviette en papier avec son monogramme. J'aimerais garder jusqu'au brillant papier d'aluminium qui couvre le plat fumant. J'éprouve de la tristesse pour mes amies -Prema, Vaswati, Sabitri- qui ne connaîtront jamais rien de tout cela. page 48
Le ton de l'oncle est maintenant sinistre, âpre. "Les Américains nous détestent. Ils ne cessent de nous rabaisser parce que nous sommes des étrangers à la peau sombre, kala admi. Ils rendent nous responsables de leur fichue économie, nous accusent de leur voler leurs emplois. Tu t'en rendras compte par toi-même, assez tôt. page 55
Les garçons, têtes penchées, se concertent puis le plus grand d'entre eux, fait un pas vers nous , et dit"nègres". Il prononce le mot doucement, sa lèvre supérieure retroussée découvrant ses dents. Le mot décrit un arc de cercle dans la rue vide comme un projectile , un mot absurde qui appartient à un autre endroit, à une autre époque. ...Les autres reprennent le mot en choeur , le psalmodient de leurs voix nasillardes et haut perchées qui n'ont pas encore muées, nègre, nègre, jusqu'à ce que j'ai envie de pleurer. Ou de rire. Ne voient-ils pas que je ne suis pas noire du tout, mais une jeune Indienne de bonne famille? Quand notre chauffeur me conduit à travers les rues de Calcutta dans notre Fiat argentée, les gens s'arrêtent pour murmurer, "N'est-ce pas Jayanti Ganguli, la fille des Bhavanipur Ganguli? page 63
Richard était exactement le type d'homme dont j'avais rêvé pendant mon adolescence à Calcutta. Grand, mince et sophistiqué, il était très différent des Indiens que j'avais rencontrés dans mon pays.; son travail même de directeur du marketing pour une entreprise d'édition m'épatait et me semblait prestigieux. Quand j'étais avec Richard, j'avais l'impression d'être une vraie Américaine. Nous allions faire notre jogging tous les matins et de la bicyclette au week-end; le soir, nous louions un film d'art ou nous nous rendions dans un restaurant qui nous plaisait, ou encore, assis , sur notre balcon, un verre de vin blanc frais à la main, nous discutions d'un roman qui venait de sortir en contemplant le coucher du soleil. Et, au lit, nous essayions des choses merveilleuses, folles, qui m'auraient scandalisée et laissée sans voix en Inde si j'avais pu les imaginer.page 85.
Dans les mariages indiens, devenir une épouse n' était que le prélude à cet événement capital qui niait tout le reste : devenir mère. Ce n'était pas pour cela que je m'étais battue si fort , d'abord avec ma mère pour quitter l'Inde ; puis avec mes professeurs pour réussir à l'université; et par la suite, avec mes employeurs pour asseoir ma carrière. Non pas que je fusse opposée au mariage ni même au fait d'avoir un enfant. Je voulais seulement m'assurer que quand cela m'arriverait , ce serait à mes conditions , parce que je l'avais décidé. page 88
"Sais-tu combien de temps j'ai fréquenté ton oncle avant de l'épouser? reprend Deepa Mashi.
Bien sûr, je le sais. Elle me l'a dit une centaine de fois.
...Je me réfugie dans la platitude. "Les temps ont changé, Mashi".
-"Oh vous, les filles américanisées! Les choses vraiment importantes ne changent jamais".
Peut-être, a-t-elle raison. Je suis rentrée de mes trois années passées à l'étranger avec le sentiment d'être devenue adulte et de m'être aguerrie , résolue à me montrer à la hauteur de la courtoisie distante de ma mère. Dans l'avion qui m'emmenait à l'aéroport de Dum Dum, je me suis jurée, à plusieurs reprises, de ne pas la laisser inspecter et juger ma vie, comme cela avait été souvent le cas autrefois. Pourtant, je l'ai laissée faire presque immédiatement. Je suppose que, pour que des changements - des changements véritablement décisifs- le temps et la distance, ou même le désir ne suffisent pas. page 123
Si tu me trouves une jolie fille tranquille, avait-il écrit, pas une effrontée comme les jeunes filles modernes de Calcutta, avec trop d'idées occidentales. Une qui se sentirait soulagée de laisser son mari prendre les décisions importantes. Mais il fallait qu'elle soit intelligente, une année d'université au moins, une femme qu'il serait fier de présenter à ses amis. Il s'était envolé vers Calcutta et avait rencontré plusieurs filles sélectionnées par sa mère qui auraient pu lui convenir. Mais , en y repensant, elle était la seule dont il se souvenait.page 179

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