mercredi, août 09, 2017

MEMOIRES D'UN PAYSAN BAS-BRETON (Jean-Marie DEGUIGNET , 1834- 1905.)
 
Récit de 460 pages . Ce " journal écrit par un écorché vif irrite parfois par ses outrances, mais le propos de l'auteur est incisif, son récit extrêmement alerte , sa vie se lit come un roman d'aventures. Sa grande qualité est indéniablement la sincérité. Sa vision critique de l'âge d'or de la société rurale bretonne, remet en cause beaucoup d'idées reçues. Mais loin d'être un marginal, Deguignet apparaît comme le prophète de la destruction des sociétés traditionnelles. "

Ce journal  décrit la vie près de Quimper . Son indéniable qualité est la sincérité. Sa vision est décapante,loin de celle de P.J. Hélias qui décrit une société idyllique,  bien différente et loin des réalités d'alors.
Tour à tour, mendiant dès l'âge de 10 ans, puis vacher, service militaire à Lorient, part en Crimée comme soldat en 1855, puis en touriste à Jérusalem en 1856, revient à Quimper, mais ne trouvant pas de travail repart comme soldat , cette fois en Kabylie, en 1861 et au Mexique en 1866., revient à Quimper, se dit républicain, athée dans une région royaliste et catholique, devient cultivateur en 1868, à Ergué Armel, chassé de sa ferme en 1883, devient assureur, tient un bureau de tabac en 1888, puis miséreux à Quimper en 1892, écrit des Mémoires en 1897, séjourne à l'hôpital psychiatrique en 1902, en 1904, une partie de ses écrits est publié à Paris , grâce à A. Le Braz et il décède en 1905 face à l'hospice.
 
 

Aussitôt que je me trouvai dans les champs avec mes vaches,  je pris mon crayon, une feuille blanche et je (me) mis à essayer de former des lettres, mais je reconnus bientôt qu'il est  plus difficile d'apprendre à écrire qu'il n'avait été d'apprendre à lire. Ma tête apprenait vite  tout ce qu'elle entendait et voyait mais  (ma) main n'avait pas les mêmes facultés que ma tête, celle-ci, habituée à manier de lourds instruments, n'était pas faite pour manier le crayon. page 97

Monsieur et Madame (ses patrons) trouvèrent  extraordinaire  que j'avais appris à lire  et à écrire, sans maître,  et auraient désiré que  j'aurais eu les moyens  d'aller à l'école, pour sûr,  j'aurais fait quelque chose de bon. Mais cela m'était impossible en ce temps-là. Il n'y avait des écoles que pour les riches. page 99

N'importe, moi, je n'avais pas à me plaindre  du temps que je venais de passer dans cette ferme de Kermahonec. On y était bien nourri, et comme mon travail était plutôt un travail de célérité que de force, mon corps s'était développé et avait pris des forces. Maintenant, je ne songeais plus qu'à une chose, à savoir, si je serais bon pour le service militaire, seul moyen pour moi de quitter la Bretagne, de voyager, de voir autre chose et d'apprendre, car j'étais de plus en plus dévoré par le désir d'apprendre  ce que je ne savais pas...page 101

On venait de poser le premier fil télégraphique allant de Quimper à Brest et le fil passait près de la ferme. Voilà encore une chose qui donnait du travail à mon esprit, qui ne pouvait rien voir sans chercher de suite la raison d'être, le pourquoi, l'x comme disent les mathématiciens. On commençait à parler même du chemin de fer qui viendrait aussi bientôt à Quimper. page 113
 
Il me fallait aller, d'abord,  au bureau de recrutement
. Là, contrairement aux habitudes des bureaucrates,  je fus assez bien reçu, et aussitôt que j'eusse exposé mon désir  de rengager, on me demanda mes papiers, et, de suite, dans quel régiment je désirais être incorporé. Je demandai le régiment d'Afrique...Il avait une chance  d'y rester plusieurs années. Je pris donc  ce régiment. ...Maintenant, j'étais assuré d'avoir du pain pour sept ans encore et des occupations variées. J'allais voir un pays nouveau. page 203
 
A la fin de cette campagne de la  Kabylie, notre régiment devait rentrer en France reposer sur ses lauriers, repos bien mérité, disait-on. Mais , pendant qu'il se préparait à rentrer dans la métropole, vint un ordre pressé de Paris de chercher des volontaires...pour aller au Mexique où les affaires commençaient à tourner mal pour les Français. Bien, entendu, je fus un des premiers sur la liste des volontaires, non par un amour exagéré atroce pour la guerre, pour les massacres dont je n'en avais déjà vu que trop, mais pour l'amour des voyages lointains, de voir de nouveaux pays et de nouvelles aventures. page 22
 
Là-bas, (Aux Etats-Unis) la guerre venait de se terminer d'une façon très heureuse entre le Nord et le Sud au profit des esclaves. L'union fait la force dit le proverbe, la force fait l'union. Maintenant que les deux grandes républiques n'en faisaient plus qu'une, elle ne laisserait pas un empereur (Maximilien  ) s'établir à sa porte. page 225

Enfin , mon tour vint. Je finissais mes quatorze années de service jour pour (jour) le 11 septembre 1868. Mes collègues me demandaient ce que  j'allais faire maintenant, après quatorze années  de service et autant de campagnes. Je leur répondais que j'allais me faire ermite  dans un endroit  en tout semblable  à ces montagnes qu'ils avaient vues là-bas, en  Crimée, les montagnes de Kordambel à travers laquelle coule une rivière, la Chornaiya, semblable à la rivière de l'Odet qui coule à travers ces montagnes près de chez moi, ue les Français appellent Stangalla et les Bretons Stang-Odet. Ceux-ci n'en crurent rien bien entendu, et cela m'importait peu. N'importe, je fus congédié et le soir même, j'allai prendre le train à Mourmelon. page 260
 
(L'auteur cherche une ferme à louer)
"Ah, c'est vous Déguignet, l'ancien sergent. Mais Est-ce -que vous connaissez l'agriculture?"
- "Oui, Monsieur." répondis-je, c'est le seul métier que j'ai exercé avant d'aller au service, et j'ai passé deux ans à l'école d'agriculture de Kermahonec, en Kerfeunteun, où l'on fait de l'école pratique...Mais malgré tout cela, je ne suis pas l'homme  qui convient  ici pour plusieurs raisons, la première , la plus importante en la circonstance..., c'est que je n'ai pas d'argent, je n'ai en tout que deux mille cinq cents francs."
Mais, là, le monsieur  et tous les autres s''exclamèrent à la fois, en disant que  c'était plus que suffisant, que ce n'était pas de l'argent  qu'il fallait là mais un homme et un  bon cultivateur....Je me mis à exposer  à ce seigneur , carrément et franchement, et loyalement mes idées et opinions politiques et religieuses que je savais en opposition formelle  avec celles de tous les Bretons.  Mais les deux vieux tontons et le grand Jean lui-même, quoiqu'ils ne comprenaient pas grand-chose, m'interrompait, à tout instant, disant à Monsieur, qu'il ne fallait pas écouter les blagues d'un  vieux soldat, le soldats sont tous comme ça, des farceurs et des blagueurs...Il finit par me dire cependant d'une façon hypocrite et jésuitique, qu'en fait d'opinion politique  et religieuse, chacun était libre. Mais il parlait par cette figure de rhétorique appelée prétérition, par laquelle on dit tout le contraire de ce qu'on pense. page 293
 
En traversant la cour et l'aire à battre, ils étaient obligés de convenir  que là, il n'y avait pas grand-chose , que les instruments aratoires étaient les plus primitifs et en mauvais état. page 295
 
Le samedi donc, tout le monde  se trouva réuni à Quimper car on était obligé  avant tout d'aller chez le notaire, puisque je devais prendre la direction de la ferme Et je devais prendre  non seulement la fille aînée, mais aussi la veuve et les quatre enfants à ma charge... J'étais décidé  de me laisser conduire jusqu'au bout, sans émettre une seule opinion dans les questions d'intérêt, qui sont les seules questions qui se traitent  dans ces mariages  entre fermiers et cultivateurs. page 296
 
 (le mariage se prépare pour la mairie et l'église) "En politique, je suis  un républicain des plus avancés et en religion,  libre penseur, philosophe,  ami de l'humanité, de la vraie, ennemi déclaré  de tous les dieux  qui ne sont que des êtres imaginaires et des prêtres  qui ne sont que des charlatans et des fripons" page 298
 
Dans la lutte actuelle, je ferai mon possible pour le triomphe des Républicains ( élections législatives du 20 février 1876)...Celui qu'on avait choisi  dans notre arrondissement, était un gros industriel, plusieurs fois millionnaire, clérical et monarchiste  jusqu'au bout des doigts...L'autre , républicain, n'était qu'un pauvre avocat ayant, il est vrai, pour l'appuyer, quelques  vieux monarchistes ultra-millionnaires, mais anticléricaux. page 336
 
Enfin la dernière année (du bail de 15 ans ) était arrivée. A la saint-Michel, quand j'allai payer  mon avant-dernier terme, je dis au seigneur qu'il était temps que je sache  si oui ou non, mon bail serait renouvelé. Le prétendu gentilhomme me répondit hypocritement que, probablement, nous ne pourrions plus nous arranger. page 345
 
Ma femme n'était plus bonne à grand-chose depuis qu'elle s'était adonnée à la boisson. Page 348
 
La vente mon matériel aratoire, des bestiaux, mobilier, grains et autres objets fut faite  par un notaire. page 353
 
(Son épouse a acheté un bistrot à Quimper, son mari était alité suite à un accident) La maison (de Quimper) était bien et richement meublée, et le débit de boissons de toutes sortes, dont la moitié n'avait plus cours chez les buveurs. Je ne pouvais rien dire, c'était inutile. Du reste, je dus garder encore le lit pendant quinze jours. Pendant ce temps, des gens, des commères, des compères venaient tous les jours...pour manger et boire; ce que ma femme, toujours fière et glorieuse, et toujours entre deux vins, ne faisait pas faute de les servir à bon compte. Ces bonnes gens  la payaient en éloges sur ses beaux meubles et la riche installation de son débit, cela lui suffisait. page 358
 
(Son épouse est décédée de delirium tremens) . Il est seul avec 4 enfants, a vendu le débit de boissons)
Quelques jours après, le préfet me fit appeler, dans son cabinet, et il me dit  qu'il tenait à ce que  j'aille gérer mon bureau de tabac moi-même. page 371

Maintenant , avec ce qui me restait e mon fonds de bureau de tabac, j'avais près de quatre cents francs...Mes enfants retournèrent à l'école où ils avaient débuté. Moi, je leur faisais à manger et je raccommodais leurs effets. page 393

Il y a ici, au fond de la Bretagne, un industriel qui tend à réaliser le rêve du milliardaire américain (remplacer les ouvriers par des machines). J'ai déjà parler de la fabrique de papier d'Ergué Gabéric, perdue au fond  du Stang Odet..(La famille Bolloré) page 405

Je viens de recevoir de mon propriétaire l'ordre de quitter mon trou, dans lequel je suis depuis 10 ans, sous prétexte que mes voisins se sont plaints de poux, lesquels paraît-il, vont de mon trou dans leur chambre. page 417

(Il se réveille malade) Ils me firent faire la moitié du   tour de la ville pour me conduire à l'hôpital, où je suis depuis huit jours sans savoir  ce qu'on va faire de moi. Le médecin ne me dit rien. Seulement, il a vu mes manuscrits...il me les a demandés pour les consulter, il m'a dit qu'il a commencé la lecture  qui est , dit-il, très intéressante. ...Pour moi, je n'ai jamais été si bien nourri, si bien logé de toute ma vie. page 420

(Expulsion des religieuses) On ne voyait guère que des femmes et des enfants devant les établissements des sœurs criant "vive la liberté, vive les sœurs" Tout s'est passé sans accident , quoiqu'on avait mobilisé tous les gendarmes, les policiers et quelques compagnies d'infanterie. page 728

Maintenant, je suis dans un grenier à Poul  Raniquet, là où il y a trente-cinq ans, je fus pris dan sun piège, le piège matrimonial  qui a fait toutes les misères et tous les malheurs de mon existence depuis.  J'y couche sur la paille mais j'y suis cent fois plus heureux  que de coucher sur la plume. page 443

Mais je crois qu'il est temps de terminer  ces longs mémoires ou récits authentiques de ma longue vie de tribulations.  Que vont devenir ces écrits? Je l'ignore. Seront-ils déchirés? brûlés? C'est bien possible. A moins que Anatole Le Bras  ne vienne encore les prendre pour joindre aux autres. page 448

Je termine en souhaitant à l'humanité le pouvoir ou plutôt le vouloir, de se transformer en véritables et bons être humains capables de se comprendre  et de s'entendre  dans une vie sociale digne et heureuse.
Déguignet ,
Poul Raniquet, 6 janvier 1905

Déguignet meurt le 29 août 1905 à 6 heures du matin, Rue de l'Hospice
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