samedi, août 12, 2017

UN PASSAGER DANS LA BAIE (Bernard Berrou)

"Bernard Berrou est un écrivain de style, réputé pour ses ouvrages  sur l'Irlande...A la pointe de la Bretagne, il livre ici, un lumineux récit des origines qui nous déporte au temps de l'enfance, entre souvenirs et méditation intime, éloge d'une géographie buissonnière."

A l'école, j'aimais par dessus tout la géographie parce qu'elle était une invitation au voyage...J'éprouve toujours autant de plaisir à lire une carte  qu'à lire des livres. Les pouvoirs de la géographie sont infinis, cela part de la connaissance élargie de notre planète  à l'exploration méticuleuse d'une région qui n'épargnerait aucun détail. C'est cette micro-géographie qui m'intéresse et me conduit  souvent à écrire...En observant le cours d'un ruisseau, je voulais m'imitier aux grands fleuves; un tertre de vingt mètres de haut devenait montagne, la moindre broussaille s'apparentait à la forêt équatoriale. La géographie est initiatrice d'imagination, de curiosité et accorde au déplacement une large place avant de comprendre. pages 22, 23

On ne posait pour la photo qu'aux grands événements qui ponctuaient les passages  de la vie, naissances, premières communions, mariages. Quant aux autres clichés, ils immortalisaient la courte époque de l'école républicaine et les aventures soldatesques qui avaient  marqué cette génération depuis le siècle dernier, de ces temps où ni les dieux, ni les hommes n'avaient pu sortir d'une brume noire  qui s'étaient  répandues  dans les interminables plaines du nord de l'Europe. page 61
 
Je machonnais mon ennui en classe, les bras croisés sur le plan incliné du pupitre verni. Les crayons Conté avaient moins de saveur que les tiges de réglisse sauvage cueillies sur les sables des paluds. La classe sentait la cire, le crayon de bois, l'encre, les cartes de France, le papier buvard, cette odeur magnanime,imperceptible, de la connaissance élémentaire qui s'était perpétuée de puis l'époque de Jules Ferry. Aujourd'hui, je ne saurais dissocier cette odeur suave de la lente et  tenace poussée de l'instruction dans nos campagnes. Que d'heures noires, interminables, muettes, au cours de ce cheminement vers la culture savante pour ceux qui, au fond de la classe, rêvaient en écoutant les gouttes de pluie tambouriner sur les vitres! page 47
 
La guerre 39-45 se propageait comme une onde au fil des années. Il n'était aucun foyer où elle n'avait laissé sa marque. ...Il semblait que la seule histoire  du village fût rassemblée autour des guerres qui s'étaient succédé depuis des siècles...A chaque fête, la guerre était évoquée comme une agitation aventureuse venait secouer la vie monotone dans les campagnes. C'était un climat de France patriotique, celle qui se bardait de médailles et s'affichait sur les monuments aux morts. pages 62,63
 
Pour moi, les rivages et les paluds de la baie représentent le voyage par excellence, à portée de fusil, le saut de puce à franchir  qui me plonge, de plain-pied, dans l'exotisme. Car le voyage est avant tout un changement à vue, une modification de nos repères quotidiens...Mais il est impératif de faire la différence entre ce que l'on voit  et ce qu'on peut en extraire. 
Je demeure sceptique  devant des périples entrepris à l'autre bout du monde  par des voyageurs incapables de voir ce qui pousse dans leur jardin. page 73
 
L'Ouest est une attente avant d'être un but. Ce qui compte, c'est d'être en chemin. Page 75
 
La marche fortifie le corps et nourrit l'esprit. Elle apporte énergie mentale et force physique à qui la pratique régulièrement.
"Avant tout, ne perdez pas le plaisir de marcher; chaque jour, je marche pour atteindre un état de bien-être et à me débarrasser de toute maladie ; c'est en marchant que j'ai eu les pensées les plus fécondes et je connais aucune pensée aussi pesante soit-elle que la marche ne puisse  chasser" affirme Kierkegaard. Page 82
 
Avant de lire les livres, j'ai connu la lecture des talus, des chemins creux, des branches, des visages anciens et des horizons hallucinés.
La lumière ne vit que par l'ombre qui la précède ou qui la côtoie, telle est sa raison d'exister. Page 90, 91
 
On voyage pour retenir son souffle, pour fixer son attention sur quelques rares balises qui jalonnent notre existence. L'idée même du voyage n'est pas fonction de la distance parcourue dans le temps et dans l'espace...."Pour voyager, il suffit d'exister " Pessoa . Un voyage est avant tout un secret pour soi qui le découvre . Bien sûr, on voyage pour attraper quelque chose que l'on atteint jamais , pour échapper à la partie de soi-même qui est dans l'ombre, pour fuir le visible aveuglant, répétitif qui nous accompagne au quotidien, on voyage pour comprendre, pour essayer d'en savoir plus sur les mêmes questions simples. pages 101, 102
 
Je voyage dans la baie pour écouter le souffle de la terre, le silence du ciel, pour entrer le plus possible dans les choses qui m'entourent, pour entendre des bruits lointains et des voix rapprochées, pour creuser des espaces, pour chercher des arrière-demeures, des arrière-pays et des arrière-saisons.
Je voyage dans la baie pour tracer des lignes brisées, pour me rajeunir et ralentir la chute , pour chercher l'infiniment grand et l'infiniment petit.
Je voyage dans la baie pour lire la mer dans le ciel, pour me consommer et me consumer, pour me fondre dans les profondeurs et atteindre les hauteurs, pour me continuer, pour m'ausculter, pour me disperser.
Je voyage dans la baie pour qu'un aboutissement devienne un commencement. page 105
 
Dès le cours élémentaire, j'ai pris un goût immodéré pour l'école buissonnière, pour me retrouver seul,  donner libre cours à mes pensées, m'écarter des sentiers balisés en suivant des voies hasardeuses vers la mer dont j'attendais la révélation d'un secret. Ma conduite était moins un renoncement au travail d'écolier qu'une paresse féconde. Je me sentais invulnérable et pressentais déjà que la pensée est une affaire de solitude et de détachement. page 111, 112

Nous nous sommes semble-t-il,  éloignés de la terre, emportés dans un mouvement général  qui n'a , pour horizon que l'immédiateté de ses effets. Quelque chose s'est passé sans que l'on s' aperçoive , peut-être, tout simplement l'oubli de certaines habitudes consubstantielles aux passages du temps. page 135, 136
 
La marche nous enseigne qu'on prend beaucoup de place dans le temps mais très peu dans l'espace. page 114
 
La marche apparaît comme un déplacement bien modeste mais elle a le mérite, par sa lenteur, d'accorder à celui qui la pratique le sentiment d'appartenance à un lieu, une manière de pouvoir dire haut et fort: "Ici, je me tiens" page 117.

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