mardi, décembre 12, 2017

SIDDHARTHA  (Hermann HESSE)
 
Un jour vient où l'enseignement traditionnel donné aux brahmanes ne suffit plus au jeune Siddhartha. Quand des ascètes samanas passent dans la ville, il les suit, se familiarise avec toutes leurs pratiques mais n'arrive pas à trouver la paix de l'âme recherchée. Puis, c'est la  rencontre avec Gotama, le Bouddha. tout en reconnaissant sa doctrine sublime, il ne peut l'accepter et commence une autre vie auprès de la belle Kamala et du marchand Kamaswani. Les richesses qu'il acquiert font de lui un homme neuf, matérialiste, dont le personnage finit par lui déplaire. Il s'en va à travers la forêt, au bord du fleuve. C'est là que s'accomplit l'ultime phase du cycle de son évolution. Dans le cadre d'une Inde recréée à merveille, écrit dans un style d'une rare maîtrise, Siddhartha, roman d'une initiation, est un des plus grands de Hermann Hesse, prix Nobel de littérature.
 
Pourquoi, lui, l'homme sans reproche ( son père ) , se croyait-il obligé de se purifier chaque jour des  fautes par des ablutions et toujours, toujours de nouveau? L'Atman n'était-il pas donc en lui? Cette source de vie ne coulait-elle donc pas dans son propre cœur? C'est cette source qu'il fallait posséder! Tout le reste n'était que vaines recherches, détours , également. page 25
 
Un but, un seul, se présentait aux yeux de Siddhartha: vider son cœur de tout son contenu, ne plus  avoir d'aspirations, de désirs, de rêves, de joies, de souffrances, plus rien. Il voulait mourir à lui-même, ne plus être soi, chercher la paix, dans le vide de l'âme, et par abstraction complète de sa propre pensée, ouvrir la porte au miracle qu'il attendait. page 32
 
Avec les Samanas, Siddhartha apprit beaucoup de choses, et nombreuses furent les voies qu'il suivit pour s'éloigner de son moi....Mais si toutes ses voies l'éloignaient de son moi, elles le ramenaient pourtant toujours à lui. page 33
 
Govinda (son ami) dit: " Nous avons appris bien des choses, Siddhartha, mais il nous reste encore beaucoup à apprendre. Nous ne tournons pas dans un cercle, nous nous élevons vers le ciel,  car ce cercle est une spirale et nous sommes déjà arrivés assez haut. " page 35
 
"Nous entendons aujourd'hui sa doctrine ( Boudha) de sa bouche" dit Govinda.
Siddhartha ne répondit pas. Il avait peu de curiosité pour une doctrine qui, croyait-il, ne lui apprendrait pas grand-chose; ne savait-il pas du reste, comme Govinda, le contenu de celle de Boudha. page 45
 
Maintenant, il n'était plus que Sddhartha, le réveillé, rien de plus. ...Siddhartha se raidit, se redressa plus fort, plus que jamais en possession de son moi. Il comprit  ce qu'il venait d'éprouver, c'était le dernier frisson du réveil, le dernier spasme de  la naissance. Alors, il se remit en marche, rapidement, avec l'impatience d'un homme pressé d'arriver où? Il ne savait, mais ce n'était mais ce n'était pas chez lui, ni chez son père. page 56
 
A chaque pas qu'il faisait sur la route, Siddhartha apprenait quelque chose de nouveau, car le monde , pour lui, était transformé et son cœur transporté d'enchantement. Il vit le soleil se lever au-dessus des montagnes boisées et se coucher derrière les lointains palmiers de la rive; il vit, la nuit, les étoiles, leur belle ordonnance dans le ciel et le croissant de la lune, tel un bateau flottant dans l'azur. Il vit des arbres, des astres, des animaux, des nuages, des arcs-en-ciel,  des rochers, des plantes, des fleurs, des ruisseaux et des rivières, les scintillements de la rosée le matin sur les buissons, de hautes montagnes d'un bleu pâle, au fond de l'horizon, des oiseaux qui chantaient, des abeilles, des rizières argentées qui ondulaient sous le souffle du vent. Toutes ces choses et mille autres encore, aux couleurs les plus diverses, elles avaient toujours existé, le soleil et la lune avaient toujours brillé, les rivières avaient toujours fait entendre leur bruissement et les abeilles leur bourdonnement; mais tout cela, Siddhartha ne l'avait vu autrefois qu'à travers un voile menteur et éphémère qu'il considérait avec méfiance et que sa raison devait écarter et détruire, puisque la réalité n'était point là, mais au-delà des choses visibles. Maintenant, ses yeux désabusés s'arrêtaient en deçà de ces choses, il les voyaient telles qu'elles étaient, se familiarisaient avec elles, sans s'inquiéter de leur essence et de ce qu'elles cachaient.. Comme il faisait bon de marcher ainsi, libre, dispos, sans souci, l'âme confiante et ouverte à toutes les impressions....Rien  de tout cela n'était nouveau ; mais il ne l'avait jamais vu, sa pensée l'en avait éloigné. Maintenant , il était auprès de ces choses, il en faisait partie....pages 61, 62

Il avait entendu une voix, une voix dans son propre cœur, qui lui ordonnait d'aller se reposer là, sous cet arbre, et il n'avait point recouru aux mortifications, ni aux sacrifices, ni aux bains, ni à la prière,  aux jeûnes, ni au sommeil, ni aux rêves; il avait obéi à la voix. Obéir ainsi non à un ordre extérieur mais  seulement à une voix, être prêt, voilà ce qui importait ; le reste n'était plus rien. page 63

(Son amie Kamala) "Chère Kamala, conseille-moi, où dois-je aller pour trouver le plus vite possible ces trois choses? (des vêtements, des souliers, de l'argent)
- Mon ami...utilise tes connaissances pour gagner de l'argent et t'acheter des vêtements et des chaussures. ...Qu'est-ce-que tu sais faire?
- Je sais réfléchir. je sais attendre. je sais jeûner" page 70

....Quand Siddhartha s'est proposé d'atteindre un but, d'exécuter un projet; il attend, il réfléchit, il  jeûne; il passe au travers les choses du monde  comme la pierre à travers l'eau, sans rien faire, sans bouger, attiré par son but, il n'a qu'à se laisser aller, car dans  son âme plus rien ne pénètre de ce qui pourrait l'en distraire...Chacun peut-être magicien et atteindre son but, s'il sait réfléchir, s'il sait attendre, s'il sait jeûner.  page 74

Si je ne possède rien, c'est de par ma volonté; je ne suis pas dans le besoin.
-Mais de quoi donc comptes-tu vivre si tu n'as rien?
- Maître, je n'y ai point encore réfléchi. Je n'ai rien possédé pendant )plus de trois ans et jamais je ne me suis demandé de quoi je vivrais. page 77

Ecrire est bien, penser est mieux; il est bon d'être habile, il est mieux d'être patient. page 79

Malgré la grande facilité avec laquelle il parlait aux uns et aux autres, il sentait cependant qu'il y avait en lui quelque chose  qui le séparait d'eux, et ce quelque chose c'était son ancien état de Samana. page 83

De temps en temps , il percevait , tout au fond de sa poitrine, une voix qui se lamentait, très faible, comme celle d'un mourant et qui l'avertissait  tout bas, si bas qu'il la distinguait à peine. Alors, pendant une heure, sa conscience lui reprochait de mener une existence bizarre, de ne s'occuper que de choses qui, au fond, ne méritaient pas d'être prises au sérieux. ...Il était bien obligé  de reconnaître que la vie, la véritable vie passait à côté de lui sans le toucher. Il jouait avec ses affaires, avec les personnes, de son entourage, comme un joueur avec des balles; il les suivait du regard et s'en divertissait; mais cela n'arrivait ni à son cœur, ni à la source de son âme, qui coulait, invisible et allait se perdre quelque part, loin de sa vie. page 84

Parmi tous les savants et les Samanas que j'ai connus, il n'en existe qu'un de cette sorte, un être parfait, dont je ne perdrai jamais le souvenir. C'est ce Gotama, le Sublime, le créateur  de la doctrine que  tu sais. Chaque jour, des milliers de jeunes gens l'écoutent...mais tous sont comme de feuilles qui tombent; aucun d'eux ne porte en lui-même sa doctrine et sa loi. Page 85

Le monde s'était emparé de lui, le plaisir, la convoitise, l'indolence et finalement le vice qui lui avait toujours semblé le plus méprisable de tous et, qu'il avait haï et tourné en ridicule: la cupidité. Le besoin de posséder, l'attachement aux richesses avaient fini de le dominer et n'étaient plus pour lui un jeu et une futilité comme autrefois, mais une chaîne, un fardeau. page 90

Sans hésiter, il brisa les liens qui l'attachaient à ses objets. Ce fut encore une chose qui mourut en lui...il se secoua comme pour se débarrasser d'une entrave et il dit adieu à ces choses. page 96

Siddarhtha marchait à travers la forêt. Il s'éloignait  de la ville, n'ayant qu'une idée: ne plus revenir en arrière. Cette existence qu'il avait menée pendant plusieurs années et dont il était saturé jusqu'au dégoût, était finie, bien finie. page 99
 
Il entendit un son, ce n'était qu'un mot, une syllabe, et sa voix l'avait prononcée instinctivement comme un souffle, c'était le mot par lequel commencent et finissent toutes les invocations à Brahma, le mot sacré Om qui veut dire perfection ou accomplissement. page 101
 
Autrefois, pensait-il, il s'était vanté devant Kamala de savoir trois choses: supporter la faim, attendre et penser.  C'était son bien, sa puissance et sa force, son appui le plus solide, ces trois arts qu'il avait appris au temps de sa laborieuse et dure jeunesse, c'était tout ce qu'il savait. Et maintenant de ces trois arts, il n'en possédait plus un seul. Il les avait sacrifiés à ...la luxure, au bien-être et à la richesse.! et maintenant, seulement maintenant il lui semblait devenir vraiment un homme. page 106
 
Siddhartha resta près du passeur et apprit à se servir lui aussi du bateau...La première chose qu'il apprit fut à écouter, à écouter d'un cœur tranquille, l'âme ouverte et attentive, sans passion, sans désir, sans jugement et sans opinion. Il vivait aux côtés de Vasudeva dans la plus étroite amitié et si parfois, ils échangeaient quelques propos, ce n 'était que pour se dire des choses brèves et mûrement réfléchies. Vasudeva n'aimait pas les longs discours et Siddhartha  arrivait rarement à le faire parler. page 120
 
Le vrai chercheur, celui qui a vraiment le désir de trouver, ne devait embrasser aucune doctrine. Par contre, celui qui avait trouvé pouvait les admettre toutes, comme il pouvait admettre toutes les voies, toutes les fins.  page 123
 
Les hommes! Il les considérait maintenant tout autrement qu'autrefois: il les jugeait avec moins de présomption, moins de fierté; mais en revanche, il se sentait plus près d'eux, plus curieux de leurs faits et gestes, plus intéressé à eux.  page 139

"Quand on cherche, reprit Siddhartha, il arrive facilement que nos yeux ne voient que l'objet de nos recherches; on ne trouve rien parce qu'ils sont inaccessibles, à autre chose, parce qu'on ne songe toujours qu'à cet objet, parce qu'on s'est fixé un but à atteindre et qu'on est entièrement possédé par  ce but. Qui dit chercher dit avoir un but. Mais trouver, c'est être libre, c'est être ouvert à tous, c'est n'avoir aucun but déterminé. Toi, Vénérable, tu es peut-être un chercheur, mais le but que tu as devant les yeux  et que tu essaies d'atteindre, t'empêche  justement de voir ce qui est proche de toi. " page 148

Tu sais, mon ami, qu'autrefois, alors que j'étais un tout jeune homme et que nous vivions dans la forêt, parmi les ascètes, je me méfiais beaucoup des doctrines et des maîtres et que j'ai fini même par leur tourner le dos. .Je n'ai pas changé d'opinion. page 149

Je te dis ce que j'ai trouvé. Le savoir peut se communiquer, mais pas la Sagesse. On peut la trouver, on peut en vivre, on peut en faire un sentier, on peut, grâce à elle, opérer des miracles., mais quant à  la dire et à l'enseigner, non, cela ne se peut pas. ...Tout ce qui est pensée est unilatéral et tout ce qui est unilatéral, tout ce qui est moitié ou partie, manque de totalité, manque d'unité, et pour le traduire, il n'y a que les mots. page 150

Mais je  t'ai assez dit. Les paroles servent mal le sens mystérieux des choses, elles déforment toujours, plus ou moins, ce qu'on dit, il se glisse souvent  dans les discours quelque chose de faux  ou de fou...Et ma foi, cela est très bien et n'est point pour me déplaire.....ce que je suis incapable d'aimer, ce sont les paroles. Et voilà pourquoi je ne fais aucun cas des doctrines. Elles n'ont ni dureté, ni mollesse, ni couleur, ni  odeur, ni goût, elles n'ont qu'une chose: des mots.  page 153

Analyser le monde, l'expliquer, le mépriser, cela peut être l'affaire des grands penseurs. Mais pour moi, il n'y a qu'une chose qui importe, c'est de pouvoir l'aimer, de ne pas le mépriser, de ne point le haïr tout en ne me haïssant pas moi-même, de pouvoir unir dans mon amour, dans mon admiration et dans mon respect tous les êtres de la terre sans m'en exclure. page 154



 
 
 
 
 
 
 







 
 

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