vendredi, décembre 01, 2017

ELOGE DE LA VIEILLESSE (Hermann HESSE)
 
"Voici réunis pour la première fois en un volume, les plus beaux textes de Hermann Hesse. Son  oeuvre d'écrivain accomplie, il se consacre désormais à l'ultime défi de sa longue vie d'écrivain: accepter avec grâce la vieillesse et l'approche de la mort.
 
 
L'espace d'un instant, j'éprouve plus profondément que jamais la fugacité de mon être et me sens attiré vers un autre règne, celui des métamorphoses, celui de la pierre, de la terre, du framboisier, de la racine de l'arbre. Mon désir avide se fixe sur tout ce qui évoque le temps qui passe, sur la terre et l'eau et les feuillages flétris. Demain, après-demain, bientôt, je serai autre, je serai le feuillage, je serai la terre, je serai la racine, je ne coucherai plus des mots sur le papier, je ne respirerai plus le parfum de  la somptueuse giroflée jaune.....je serai le nuage qui flotte dans l'azur, je serai l'onde dans le ruisseau, je serai la feuille qui bourgeonne dans l'arbuste, j'entrerai dans l'oubli, je plongerai dans le cycle des métamorphoses si ardemment désirées. pages 8, 9

Lorsque l'homme commence à décliner, après avoir atteint le faîte de son existence, il se débat ainsi contre la mort, les flétrissures de l'âge, contre le froid de l'univers qui s'insinue en lui, contre le froid qui pénètre son propre sang. Avec une ardeur renouvelée, il se laisse envahir par les petits jeux, par les sonorités de l'existence, par les mille beautés gracieuses qui ornent sa surface, par les douces ondées de couleur, les ombres fugitives des nuages. Il s'accroche, à la fois souriant et craintif, à ce qu'il y a de plus éphémère, tourne son regard vers la mort qui lui inspire angoisse, qui lui inspire réconfort et lui apprend ainsi, avec effroi l'art de savoir mourir. C'est là que réside la frontière entre la jeunesse et la vieillesse....page 15

Durant cette première journée ( dans un lieu de cure), je jouis des moindres parcelles de mon bonheur, me rengorgeai d'un sentiment naïf d'autosatisfaction, et malgré tout, je pense que j'avais raison. page 26

Les dix années qui séparent la quarantaine de la cinquantaine constituent toujours une phase critique pour les hommes de tempérament, les artistes. C'est une période d'inquiétude et d'insatisfaction perpétuelles où l'on a , souvent, du mal à se sentir en accord avec soi-même. Mais ensuite, viennent les années d'apaisement...La jeunesse est le temps de l'effervescence et des combats restent merveilleux, mais la vieillesse et la maturité ont aussi leurs charmes et leurs bonheurs. ...A cinquante ans,...il apprend à attendre, il apprend à se taire, il apprend à écouter. page 30

Lorsque après de mois d'absence, je retrouve ma colline du Tessin, à chaque fois, je suis surpris et ému de sa beauté...Je suis d'abord obligé de me transplanter, de prendre à nouveau racine; je dois renouer des liens, retrouver mes habitudes, retrouver ça et là le contact avec mon passé et mon pays avant de recommencer à goûter les charmes de l'existence dans la campagne méridionale. Il ne suffit pas de défaire ses valises, de ressortir les chaussures de jardin, et les habits d'été. Il convient aussi d'aller voir si la pluie ne s'est pas trop infiltrée dans les chambres , pendant l'hiver, si les voisins sont encore en vie; il faut examiner ce qui a changé, pendant les six mois qui viennent de s'écouler. page 35

(Chez une amie) Dans son beau visage tout ridé de rapace, ses yeux perçants et intelligents jettent un regard à la fois triste et moqueur. Avec un air narquois, mais aussi de franche camaraderie, elle m'observe. Elle sait bien que je suis un Signore et un artiste, mais qu'en même temps, il ne se passe pas grand-chose dans ma vie.  Je me promène seul ici dans le Tessin et j'ai aussi peu réussi qu'elle à atteindre le bonheur, bien que nous l'ayons, tous deux, indiscutablement recherché avec beaucoup d'énergie. page 39

Le seul attribut réservé aux plus vieux est le pouvoir de manier avec plus de liberté, d'aisance, d'expérience et de bonté la faculté d'aimer. page 46

Jeunes et vieux peuvent se lier d'amitié, mais ils  parlent pas deux langages différents. page 47

Rien de ce qui se passe et de ce qui s'est passé, ne se perd. page 52
 
Etre vieux représente une tâche aussi belle et sacrée que celle d 'être jeune  ou de se familiariser avec la mort. Mourir constitue par ailleurs un acte aussi important que les autres -  à condition qu'il s'accomplisse dans le profond respect du sens et du caractère sacré de l'existence. page 64
 
Lorsque deux personnes âgées se rencontrent....elles devraient aussi des événements et les expériences qui les ont ravies et réconfortées, et ils sont nombreux. page 66
 
Regarder, observer, contempler devient progressivement une habitude, un exercice, et, insensiblement, l'état d'esprit, l'attitude que cela entraîne influence tout notre comportement. page 67
 
C'est seulement en vieillissant que l'on s'aperçoit que la beauté est rare, que l'on comprend l'épanouissement d'une fleur au milieu des ruines et des canons, la survie des œuvres littéraires au milieu des journaux et des cotes boursières. page 72.....Je crois vraiment , qu'entre ces deux pôles (jeunesse et vieillesse) , il faut qu'une existence spirituelle se développe, joue son rôle. La jeunesse a pour mission, pour aspiration, pour devoir le devenir; l'homme mûr doit se débarrasser de lui-même, ou, comme le disaient autrefois les mystiques allemands, "défaire son être". Il est nécessaire d'être un homme accompli, de posséder une véritable personnalité, d'avoir enduré les souffrances de cette individualisation pour pouvoir ensuite se sacrifier soi-même. page 72

Vivre devrait ressembler selon moi à un acte de transcendance, à une progression étape par étape. Il faut traverser les espaces les uns après les autres en les laissant chacun  derrière soi comme le musicien qui écrit, joue, achève puis abandonne les uns après les autres les thèmes et les tempi ; sans jamais de lassitude, de repos, toujours vif, pleinement présent. J'ai découvert l'existence de ces étapes, de ces espaces en analysant l'expérience de l'éveil à la nouveauté page 77
 
Vieillir dignement, avoir l'attitude ou la sagesse qui sied à chaque âge est un art difficile. Le plus souvent, notre âme est en avance sur notre corps, mais ces différences sont corrigées par les bouleversements que subit notre rapport intime à la réalité, par les tremblements et les angoisses qui nous agitent au plus profond de nous-mêmes lorsque surviennent, dans notre existence, un événement décisif, une maladie. Il me semble qu'on a alors le droit  de se sentir et de demeurer petit face à cela. page 81
 
D'après mon expérience, seule la paix produit un effet bienfaisant et fortifiant. page 82
 
Le monde nous gratifie de peu de choses à présent, il semble n'être que vacarme et angoisse; cependant l'herbe et les arbres continuent de pousser. Et même si un jour la terre entière est recouverte de blocs de béton, le grand ballet des nuages se poursuivra dans le ciel; et ici et là, des hommes continueront d'ouvrir grâce  à leur art la porte d'entrée au divin. page 108
 
Vieux, ça oui je l'étais. C'était vrai, j'étais vieux et usé, désabusé et las. Mais le mot "vieux" pouvait aussi exprimer tout autre chose. quand on parlait de vieilles légendes, de vielles maisons et de vieilles villes, de vieux arbres, de vieilles communautés et de vieux cultes, ce terme péjoratif n'avait rien de moqueur ou de méprisant. page 110


 (Il va recevoir un ami) En secret, je me sentais aussi préoccupé et tourmenté par une autre pensée singulièrement oppressante et humiliante.  Cet ami d'enfance qui fut d'abord  avocat, premier bourgmestre d'une ville, puis un temps fonctionnaire de l'Etat; cet homme aujourd'hui retraité qui occupait des charges honorifiques de toutes sortes, n'avait jamais vécu dans le confort ou l'opulence. Sous le gouvernement d'Hitler, il avait refusé en tan t que fonctionnaire, de se mettre au pas et avait  souffert de la faim avec toute sa famille. Puis il avait subi la guerre, les bombardements, la perte de son  foyer et de ses biens, et s'était résigné avec courage et bonne humeur à une existence d'une simplicité spartiate. Comment apprécierait-il le fait de me trouver ici, épargné par la guerre, habitant une maison spacieuse et confortable...Autrefois, j'éprouvais beaucoup de complexes et de difficultés parce que j'étais pauvre et que mes pantalons étaient usés, mais à présent, il me fallait avoir honte de mes biens et de mon confort. Cela avait débuté lorsque j'avais hébergé les premiers émigrants et les premiers réfugiés. pages 124, 125


Même lorsqu'ils ne s'en doutent pas, les gens âgés sont à la recherche du passé, et de ce qui semble irrémédiablement perdu et qui, pourtant n'est ni perdu ni forcément passé, car, dans certaines circonstances, par exemple à travers la littérature, ces choses peuvent être retrouvées, soustraites pour toujours aux époques révolues. page 141
 
 
 


 

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