dimanche, novembre 26, 2017

KNULP (Hermann HESSE)
 
"L'Allemagne, au début du XXè siècle,. Knulp, un vagabond vieillissant, sorti de l'hôpital, revient au village de son enfance; il est malade, épuisé par des années d'errance. Sans logis, il va de maison en maison , s'installe au gré de sa fantaisie chez l'un ou l'autre. Mais l'accueil qu'il reçoit est faussement chaleureux. Méfiance  et rancune sont dans les têtes. Ses anciens camarades lui reprochent d'avoir gâché les dons qu'il possédait et s'être abandonné à la vacuité de la vie de bohême...
Avec Knulp, Hermann Hesse a brossé l'un des plus beaux  portraits littéraires. Celui d'un être libre qui, pour orienter son existence , a préféré le rêve aux conventions sociales. Roman magique, apologie de la désinvolture et du désintéressement, Knulp est aussi une superbe méditation sur les blessures secrètes, la solitude et l'échec."
 
Knulp avait raison de suivre sa nature. En cela, peu de gens étaient capables de l'imiter, il avait raison de parler à tout le monde, comme un enfant et de gagner tous les cœurs , de raconter de belles histoires, à toutes les femmes et de croire que chaque jour est  dimanche. page 27
 
C'est à chacun de nous de se faire une idée de la vérité et de l'ordre du monde. Cela , on ne peut pas l'apprendre dans un livre, voilà mon avis. page 31
 
 
Par les petits carreaux de la fenêtre, un timide rayon de soleil entrait dans la pièce, glissait sur la table et les cartes,  jouait, capricieux et fragile,  avec les ombres vagues du plancher et formait sur le plafond badigeonné de bleu, des ronds de lumière tremblante. Knulp considérait toutes ces choses, en clignant des yeux : les jeux du soleil de février, la douce paix  de la maison, le visage d'honnête artisan de son ami, et les regards voilés  de la jolie femme. page 35
 
Il se mit à siffler:
Tu voudrais me suivre partout.
Moi, je n'y tiens pas du tout.
Apprends d'abord, en vérité,
A te conduire en société.
 
Il évoquait, non sans ironie, les propos sentencieux du tanneur sur la douceur du foyer et l'amour conjugal.
Il savait bien que ceux qui se vantent de leur bonheur ou de leur vertu, le font, le plus souvent sans motif....On peut se permettre d'observer les hommes , de rire de leur sottise ou d'en avoir pitié mais il faut les laisser libres de suivre leur chemin. page 43
 
Quel silence ! dis-je
- Oui, et s'il y avait un peu plus de silence, on entendrait parler les morts. ('Knulp et une jeune fille sont dans un cimetière) page 55
 
Quand deux jeunes gens s'aiment et se marient ou bien quand deux êtres se lient d'amitié, cela est beau précisément parce que cela est fait pour durer et non pour prendre fin aussitôt.
Knulp me regarda attentivement, puis cligna des cils noirs et dit pensivement:
- D'accord. mais cela prendra fin un jour nécessairement, comme toutes choses. Bien des choses peuvent détruire une amitié et un amour aussi.
- En effet, mais on n'y pense pas avant que ça se réalise.
- Je ne sais pas. Vois-tu, j'ai aimé deux fois dans ma vie, ce qui s'appelle aimer. Chaque fois , j'étais certain que ça durerait toujours et que ça ne cesserait qu'à la mort et, chaque fois ça a pris fin et je ne suis pas mort.
J'ai eu, aussi, un ami, chez nous, dans notre ville; je n'aurais jamais cru que nous pourrions nous séparer. Pourtant, nous nous sommes quittés depuis longtemps. "
Il se tut, je ne savais que dire. je ne connaissais pas encore la souffrance qui s'attache à toutes les relations humaines, et je ne savais pas encore qu'il existe toujours entre deux êtres, si unis soient-ils, un abîme sur lequel l'amour - et un amour sans défaillance  - ne peut que jeter une fragile passerelle. page 58
 
 Knulp: Ce que j'ai dit de l'amitié et de l'amour est peut-être vrai. Finalement, chacun de nous a en lui quelque chose d'unique qu'il ne peut avoir en commun avec les autres. page 59
 
Il parlait (Knulp) des gens instruits comme un enfant doué parle des adultes; tout en reconnaissant volontiers leur supériorité intellectuelle, il méprisait leur impuissance à passer aux actes et à résoudre le moindre problème. page 60
 
Knulp dit que nul ne peut mêler son âme à l'âme d'un autre. Deux êtres peuvent aller l'un vers l'autre, parler ensemble,  mais leurs âmes sont comme des fleurs enracinées, chacune à sa place; nul ne peut rejoindre l'autre, à moins de rompre ses racines; mais cela précisément est impossible. Faute  de pouvoir les rejoindre, elles délèguent leur parfum et leurs graines; mais la fleur ne peut choisir l'endroit où tombera la graine; c'est l'œuvre du vent et le vent va et vient à sa guise: il souffle où il veut.
J'ai souvent songé à mes parents. Ils croient que je suis leur enfant, que je suis comme eux. Mais , malgré l'affection que je leur porte, je suis pour eux un étranger qu'ils ne peuvent comprendre. Et ce qui fait que je suis moi, ce qui, peut-être,  constitue mon âme, c'est cela qu'il leur semble accessoire, et qu'ils mettent sur le compte de la jeunesse ou d'un caprice passager. Cela ne les empêche pas de m'aimer et de me vouloir du bien. Un père lègue à son enfant son nez, ses yeux et même son intelligence; il ne lui transmettra pas son âme. Tout être humain a une âme neuve. page 66

On est saint quand on prend vraiment au sérieux ses idées et ses actes. Il faut croire ce qu'on croit être bon. page 67

J'ai mené la vie qui me convenait. J'ai eu la part de liberté et de beauté, mais je suis toujours resté seul.

Tout ne convient pas à tous, c'est vrai, mais la vérité , elle, convient à tous. page 68

Où était maintenant mon ami? (Knulp) J'avais cru - négligemment ses paroles- comprendre un peu son âme et avoir part à sa vie. Et maintenant , il était loin, j'étais seul, déçu, reconnaissant ma faute; il ne me restait plus qu'à goûter cette solitude  où vit, selon Knulp, chacun de nous et à laquelle je n'avais jamais voulu croire vraiment. Elle fut amère et pas seulement le premier jour; par la suite, elle s'est faite quelquefois plus légère mais depuis lors, elle ne veut plus me quitter tout à fait. page 75
 
Sans hâte, il continua sa promenade, n'oubliant rien, ni le tilleul de l'église, ni le barrage du moulin, en haut de la ville, lieu d'élection de ses baignades d'enfant. Il fit halte devant la petite maison où son père avait habité autrefois et s'adossa un instant, tendrement à la vieille porte; il voulut revoir le jardin: par-dessus une clôture en fil de fer, d'aspect rébarbatif, il découvrit des plantations nouvelles.  Les les marches de pierre usées par la pluie et le gros cognassier rond à côté  de la porte étaient toujours là...Il avait goûté, en ces lieux, un bonheur complet, une joie sans mélange, une félicité sans ombre, des étés radieux, les délices secrètes du voleur de cerises, les plaisirs éphémères du jardinage, les soins attentifs que réclamaient ses fleurs: giroflées jaunes qu'il aimait tant, joyeux liserons, pensées de velours fin; dans son atelier, il avait construit des clapiers, des cerfs-volants, des aqueducs avec de la moelle de sureau, des roues de moulin avec des bobines de fil et leurs aubes, avec des  planchettes. Pas un toit dont il n'eût connu les chats, pas un jardin où il n'est goûté les fruits, pas un arbre où il n'eût grimpé pour cacher ses rêveries au milieu des frondaisons...pages 101, 102
 
Le lilas du voisin était desséché par l'âge et couvert de mousse et dans l'autre jardin, il ne restait presque plus rien de la cabane en planches: on pouvait bien construire à sa place ce qu'on voulait , rien ne serait jamais aussi beau, aussi bon , aussi juste  que ce qui avait été. page 104
 
Si elle (Franziska) ne m'avait pas laissé dans mes illusions aussi longtemps, pensait Knulp, les choses auraient  pris une autre tournure. Même ayant raté ses études, j'aurais eu la force et la santé de réussir. Comme la vie était simple et claire. Il s'était avili, avait tout rejeté et la vie avait accepté  qu'il se conduisît comme il l'avait fait, ne lui avait rien réclamé. Il était resté à l'écart, bohème, éternel spectateur; entouré dans sa jeunesse. Il se  retrouvait seul, l'âge et la maladie venus. page 105
 
 
Parfois, il achetait dans un village un morceau de pain; il se nourrissait aussi de noisettes. Il passait ses nuits dans les cabanes de rondins des bûcherons ou dans les champs entre les bottes de paille. page 110
 
Depuis quelques jours, il se voyait en présence de Dieu, lui parlant sans cesse; il savait que Dieu ne peut nous faire de mal. Ils parlaient ensemble, Dieu et Knulp, de la gratuité de la vie, de ce qui aurait pu en changer le cours, de l'orientation qu'elle avait prise. "Tout s'est joué, insistait Knulp, quand Franziska m'a abandonné. A ce moment-là, ma vie aurait pu prendre une autre tournure. Mais quelque chose s'est cassé en moi et je n'ai plus été  bon à rien. Au fond, tu as eu tort de ne pas me faire mourir à quatorze ans. Alors ma vie aurait été aussi belle et aussi parfaite qu'une pomme mûre " Dieu souriait et parfois sa face disparaissait complètement dans la tourmente de neige.
"Allons Knulp, disait-il pour l'apaiser, pense un peu à ta jeunesse, à l'été dans les forêts d l'Odenwald, au temps passé à Laechsetten! Ne dansais-tu pas alors comme un chevreuil, ne sentais-tu pas la vie palpiter en toi? Ne savais-tu pas chanter et jouer de l'harmonica? Ne voyais-tu pas les larmes de joie dans les yeux des filles? Te rappelles-tu les jours ensoleillés de Beauerswill? Et Henriette, ta première amie? Tout cela n'a-t-il pas existé?
Knulp réfléchissait: comme des feux allumés sur des montagnes lointaines, les plaisirs de sa jeunesse resplendissaient devant ses yeux, exhalaient un parfum lourd et sucré comme le mile et le vin, grondaient comme du dégel dans une nuit de printemps. Mon Dieu, oui, tout cela était bon, les peines comme les joies et comme il aurait été insensé de perdre un seul de ces jours!  Ah oui, c'était beau, c'était bon , admit-il, luttant encore, larmoyant comme un enfant malade. C'était une belle vie...C'était le bon temps. pages 111, 112.
 
"Tu ne regrettes plus rien, maintenant? " dit la voix de Dieu.
"Plus rien" répondit Knulp avec un petit air timide, en hochant la tête.
"Tout est-il bien? tout est-il juste? "
"Oui, dit-il, tout est juste.
La voix de Dieu se fit plus basse, elle lui rappelait tantôt la voix de sa mère, tantôt celle d'Henriette,  tantôtt la bonne et douce voix de Lisabeth. page 114

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