jeudi, mai 10, 2018

LE PETIT TERRORISTE  ( Omar Youssef Souleimane)
 
 
"Omar Youssef Souleimane dit ici adieu à son enfance, celle d'un petit Syrien élevé dans une famille  salafiste "normale", c'est-à-dire, comme la plupart des garçons autour de lui, en petit terroriste. Adieu à la Syrie gangrenée par l'état syrien. Adieu à la langue arabe par la mise au monde d'une écriture littéraire française. Adieu à l'Orient par la description minutieuse - comme pour ne rien oublier - des événements qui l'ont conduit à adopter, puis à rejeter son éducation, à devenir dissident, sur le long chemin des réfugiés vers la France.. Ce monde-là qu'il  dépeint n'est pas occidentalisé, il est pétri  d'islam, de sensibilité et d'humour. C'est le livre d'un voyage: entre deux pays, deux civilisations, deux langues. Le livre d'un Français. "
 
Première partie: La Rue de Paradis 
Il est quatre heures du matin. En descendant de l'avion, je regarde le ciel. Parmi toutes les lumières qui éclairent l'aéroport Charles-De-Gaulle flotte un  croissant de lune. En Syrie, c'est l'heure où ma mère se réveille. Où elle sort dans le jardin faire ses prières. ....Dans ma main, une petite feuille avec l'adresse où je me rends. cette adresse, c'est une chambre de bonne, rue de paradis.page 9
 
En mars 2012, je vis dans un grenier. Le plafond, lorsque je suis couché sur le matelas, est à un mètre et demi de ma poitrine. Cela fait trois mois que je me cache à Damas, changeant régulièrement de logis, impuissant alors que la Révolution arabe bat son plein. Page 13
C'est à ce moment que je décide  de quitter la Syrie, en me persuadant que je reviendrai vite,  dès que la situation s'améliorera. page 14
On ne m'a pas rendu ma carte d'identité, en guise de passeport, un simple papier me permet de me déplacer en Jordanie. page 23
 
De la langue française, je ne connais que six mots. "Bonjour", "au revoir", "merci", "pardon", et liberté. Ce dernier mot est le titre d'un poème de Paul Eluard....J'ai aussi lu Aragon, Baudelaire, Prévert....Je Franchis le pas: je deviens un étranger. La ,nation d'Aragon et d'Eluard sera la mienne quelque temps, et lorsque le  régime de  Bachar al- Assad sera renversé, je  reviendrai chez moi...d'un élan, j'appelle l'ambassade de France et demande un  rendez-vous en urgence page 34
L'ambassadrice me dit qu'il est dangereux pour moi de rester un jour de plus en Jordanie...Une heure plus tard, elle me donne un "laissez-passer" grâce auquel je pourrai circuler librement en France. page 37
Paris n'est pas une ville, mais un monde. Je ne sais pas où elle commence  et où elle finit...A Paris, chaque rue est une époque. des bâtiments, espacés de dix mètres, le sont de dix siècles. page 41
Au début de l'année 2013, la préfecture m'a inscrit à des cours de français. Je parle et lis l'anglais mais j'ai dû réapprendre les caractères et leur agencement pour assimiler cette langue latine. Si c'est là que j'ai appris la grammaire, la langue, c'est en parlant avec les gens autour de moi, et grâce à des chansons françaises. Jacques Brel ou Edith Piaf sont très écoutés dans les pays arabes. You Tube a perfectionné mon éducation. page 43
 
Je marche dans Paris. chaque pas me rend plus certain que ce n'est pas seulement, comme les Arabes l'imaginent, la ville des parfums, de la mode, des Champs Elysées. Paris, pour un exilé, ce sont les bureaux administratifs, le métro, les cafés,...Créer des ponts, c'est l'ambition de tout étranger qui vit entre deux chaises de café. page 45
 
Sur la place,  des manifestants brandissent des pancartes.....Des slogans résonnent: " Charlie- Charlie-Charliberté. ..je revis le rêve des premières manifestations en Syrie. La différence, c'est qu'ici, il n'y a pas de militaires qui ouvrent le feu face aux manifestants. En Syrie, nous manifestons contre une dictature; en France, après Charlie, contre un islam terroriste. Et finalement, c'est la même chose. Mais pour le peuple aussi, c'est la même chose: il cherche la lumière. page 49
 
Deuxième partie;: une ville de fer. 
(En Arabie saoudite) Le premier cours auquel j'ai assistai portait sur le monothéïsme le professeur nous parlait du principe islamique du sacrifice des animaux....page 55
Refusant de remettre les pieds au collège, je suis resté deux mois sans étudier. Il n'est pas facile de trouver un autre établissement en milieu d'année. Finalement, Rateb a parlé à mon père du collège  Al-Sanabol, "Les Blés". Le programme d'étude était coranique, le règlement intérieur très strict. Quatre de mes livres portaient sur la religion: la jurisprudence, le hadith; l'interprétation, le monothéisme. Les autres matières...étaient peu ambitieuses. Je me suis rendu rapidement compte  que j'avais déjà tout appris en Syrie. ...Ryad est sortie du désert au début du XXè siècle. Damas existait déjà il y a dix mille ans. Là-bas, quand on regarde par la fenêtre, on voit des terrasses, des oiseaux, des pierres qui parlent de civilisation . page 64
Depuis mon arrivée en Arabie saoudite,  je n'ai vu aucun visage de femme hormis celui de ma mère et de son assistante. page 68

Pendant l'été, nous ne sortions que le vendredi pour nous rendre à la mosquée. Mon père travaillait toute la semaine....J'ai profité de tout ce temps pour lire les livres de  Khali Gibran, les poèmes  d'amour de Paul Eluard et le Fou d'Elsa d'Aragon. Ces livres étaient interdits en Arabie saoudite.... Mon père m'avait encouragé à lire ces œuvres. pages 78, 79
Aucun de nos professeurs était saoudien, excepté  celui qui enseignait le monothéisme, la matière la plus importante. Pour cet enseignement, l'administration ne faisait pas confiance à un étranger. page 81
Mon père m'a tendu un autre cliché, celui d'un jeune homme glabre aux cheveux peignés avec soin. C'était lui.  Je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas de barbe. Il m'a  répondu que  cette photographie avait été prise en 1982, l'année de l'affrontement entre  Hafez-al-Assad et les Frères musulmans. A m'époque, tout signe religieux islamiste  suffisait à faire arrêter celui qui l'arborait et à l'accuser  d'appartenir à la confrérie. page 101
 
Troisième partie: Un chemin dans le néant.
Mon père a violemment poussé la porte de la salle à manger: "Le World Trade Center  a été bombardé"...." Allah s'est vengé des Américains pour les crimes commis en Palestine..." page 107
Quand elle se trouvait à la maison, ma mère  passait son temps à suivre les informations concernant Ben Laden...page 112
Ma famille m'a toujours appelé le petit Omar pour me différencier de mon oncle, le grand Omar. Ce surnom m'a accompagné alors que j'avais grandi. Et voilà que je décidai d'en changer: je m'appellerai  désormais le petit terroriste, en signe de la découverte de la vraie religion, dans ce monde du Mal. page 124
le nouveau professeur chargé du monothéisme était jeune, petit et frêle. J'ai demandé à Ahmed s'il avait des nouvelles de l'ancien enseignant. Il m'apprit que celui-ci avait été condamné à dix ans de prison et mille coups de fouet pour avoir collaboré avec al-Qaida. page 127
..."Les gens disent des djihadistes que ce sont des terroristes. Mais toi, quel est ton problème? (le professeur)
- Il ne faut pas dire cela, ils protègent les musulmans." (répond Ahmed , un élève) page 129
 
(Ahmed et le "petit terroriste passent devant  la base des forces aériennes à Ryad)  Cette base est pleine de militaires américains qui forment nos soldats saoudiens. Ils sont partout. Nous n'avons pas de  véritable armée. sans les Américains, Saddam  Hussein nous aurait envahi en deux jours lors de la guerre du Golfe.  Leurs officiers boivent  de l'alcool en compagnie de leurs concubines et personne ne peut rien leur dire. Tu sais  quel est le salaire d'un officier saoudien?  Dix mille riyals.  Celui d'un Américain est de trente mille...page 131
Depuis mon retour vers Allah, je jeûnais  le lundi et le jeudi pour apaiser ma soif de sexe. page 137
 
Quatrième partie: Dieu et le diable.
Nous avons pris une douche, coupé nos ongles, revêtu les deux pièces de tissu de la tenue du pèlerin et accompli nos génuflexions....Dans le car , les pèlerins venaient du monde entier...Il nous a fallu vingt-quatre heures pour atteindre La Mecque.  ..Il est interdit aux femmes de se couvrir le visage  pendant le pèlerinage.  page 147

Le tombeau a été bâti par le Messager à son départ de La Mecque pour Médine. ..Mon père , les larmes aux yeux et la voix tremblante, m'a dit :
- Le Messager de Dieu est ici, tu te rends compte?
Mais je ne ressentais rien. ...Nous avons déambulé  dans les rues étroites et tortueuses...Mais rien dans cette ville ne mène à lui, si ce n'est à sa tombe. pages 152, 153
j'ai effectué les sept tours ( de la Kaaba)... Cela m'a fait penser à un jeu de cache-cache de mon enfance. Sauf qu'ici, personne ne voulait attraper personne.
On payait cher ces  circonvolutions, alors que nous aurions pu faire  la même chose autour de n'importe quel bâtiment dans une ville quelconque. Quelle est la différence? Allah n'est-il  présent qu'à La Mecque? page 160
 
Cinquième partie: Le salut.
Après deux semaines loin de Ryad, rien n'avait changé.
Mon père est entré dans ma chambre  pour m'annoncer la mort de ma grand-mère.  De longues minutes de silence  ont suivi avant qu'il se lève. ...."Nous allons revenir au pays...Je ne peux plus rester ici, il y a trop de problèmes avec  le propriétaire du dispensaire (lui et son épouse sont dentistes). nous allons partir  pendant les vacances. page 177
"Je doute de l'existence du paradis, de l'enfer, et de la véracité du Coran. J'imagine Allah dans le ciel et je ne ressens pas sa présence dans ma vie".
" Allah n'a jamais répondu à mes prières...Je me suis dit que l'islam était une mafia: il suffisait d'une seule phrase - "Je témoigne qu'il n'y a  d'autre dieu qu'Allah et que Mahommed est son Messager-  pour y entrer, mais il est impossible d'en sortir. page 178
Mon père ajouta alors que le président syrien ne saluait en fait que des moukhabarats habillés en civil devant les caméras pour montrer au monde qu'il était ouvert et aimait son peuple. Soudain, il s'est tu. j'ai lu sur son visage qu'il était allé trop loin. Rien ne nous garantissait qu'il n'y ait pas d'agent syrien dans l'assistance....C'est la première fois que j'ai entendu mon père critiquer en public le régime de son pays. page 184
 
Mon père avait tenu sa promesse  et m'avait offert un ordinateur. page 186
Ceux qui attestent qu'il n'y a d'autre dieu qu'Allah, que Mohamed est son Messager et s'acquittent de la prière, du jeûne, de l'aumône et du pèlerinage ne resteront pas pour toujours en enfer....Donc, tous les élèves saoudiens s'y retrouveront....C'est un cauchemar. En revanche,  resteront dans les flammes tous les génies -  Aristote, Platon Einstein, Taha Hussein, Aragon, Eluard, Rimbaud - et toutes les belles actrices - Marilyn Monroe,  Cameron Diaz, ....J'étais un hérétique. sans aucun doute Allah était en colère contre moi. Je voulais qu'il me fasse mourir immédiatement, afin d'aller en enfer le plus vite possible et d'y rencontrer tous ces philosophes, ces poètes et ces femmes magnifiques. page 195
Mohammed n'était pas un simple prophète, il était aussi un chef d'état, un militaire, un juge. L'islam intervient  dans tous les domaines de la vie: de la façon d'entrer  dans les toilettes jusqu'au choix du dirigeant suprême. page 200
 
"C'est grâce au Coran que je suis devenu athée" (l'auteur à son interlocuteur Mohammed 99 lors d'un chat.) ...le musulman doit croire tout ce que dit le Coran. Comment faire pour supprimer les versets incitant les gens à la violence et limitant leur liberté individuelle? page 201
-  Mais nous aujourd'hui, on n' a rien apporté au monde, à part le sous-développement.
- C'est parce que nous nous sommes éloignés de l'islam.
 - Mais non, c'est parce que nous sommes restés fidèles! Les Arabes ont beaucoup répété ce slogan: "L'islam est la solution"; il est désormais temps de dire que "le problème , c'est l'islam."
..regarde  un peu notre histoire à l'époque du califat. Ce n'est pas l'Occident qui a massacré deux cent mille personnes pendant les guerres de conquête au début de l'islam, qui a violé des femmes et forcé des gens à  se convertir. Pas plus qu'il n'a opprimé les philosophes et les penseurs...Page 202
Puis Mohammed 99 s'est déconnecté. ...J'ai senti que la montagne qui reposait sur mes épaules avait disparu. Mon interlocuteur était la première personne au courant de mes pensées les plus secrètes. page 204
 
Le mois de juillet 2003 a été particulièrement chaud en Arabie saoudite... Mon père avait obtenu le renouvellement de nos passeports. J'avais suivi chaque étape avec inquiétude, craignant qu'une erreur ne nous oblige à rester ici plus longtemps. Le plus difficile était de préparer nos bagages...
Qu'allions-nous faire une fois rentrés en Syrie?
Nous avons passé toute une nuit à charger nos affaires dans le bus e tla maison s'est vidée peu à peu.  Mon père  s'était rasé la barbe: les services de renseignements syriens auraient pu penser qu'il était salafiste. s'il l'avait conservée. Je lui ai dit qu'il avait rajeuni. Il m'a répondu qu'il avait désobéi à Dieu. puis, je me suis regardé  dans le miroir brisé: j'y ai retrouvé un visage familier, celui qui était le mien à mon arrivée en Arabie saoudite. Mes yeux étaient limpides, vides de croyances et prêts à accueillir le monde tel qu'il était.
J'avais empaqueté tous mes livre sauf un....Sans Dieu, , c'est comme si désormais ma vie était pleine.
Nous serions à Damas dans vingt-quatre heures. ...Mon cœur était celui d'un oiseau, l'avenir était à moi....
Mon père m'a demandé où était le Coran  afin d'en lire quelques passages pendant le voyage....On aura beau le chercher, on ne le trouverait jamais. pages 205, 206, 207
 
 

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